Gangs de rue: une forme de marketing d’influence sur les médias sociaux?
- UdeMNouvelles
Le 17 janvier 2025
- Béatrice St-Cyr-Leroux

Selon l’enquête de Francesco Carlo Campisi, c’est sur X que la promotion des chansons et des «mixtapes» ou compilations a été le plus observée. Le hip-hop et le rap servent de support à la crédibilité de la rue, puisque bon nombre des artistes les plus populaires de ces genres sont des membres de gangs autoproclamés.
Crédit : GettyÀ quoi ressemble l’utilisation des médias sociaux par les membres des gangs de rue canadiens? Servent-ils vraiment à faire du recrutement? Une nouvelle étude analyse le phénomène.
«Au lieu de taguer les coins de rue, ils commencent à taguer les médias sociaux.»
Voilà une phrase qui illustre bien la présence en ligne des gangs de rue canadiens, telle que formulée par Francesco Carlo Campisi, étudiant de doctorat dirigé par Francis Fortin, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.
Dans une nouvelle étude, le doctorant s’est appliqué à scruter une cinquantaine de profils d’utilisateurs de Facebook et de X – anciennement Twitter – liés à des membres de gangs de rue canadiens ainsi qu’une dizaine de vidéos musicaux sur YouTube produites par de tels membres afin d’évaluer le comportement de ces utilisateurs particuliers des médias sociaux.
«Les forces de l’ordre, les médias et certaines publications universitaires laissent entendre que les gangs de rue ont commencé à utiliser les médias sociaux pour rechercher et recruter de nouveaux membres. Or, on ne possède pas suffisamment de contextes pour décrire ce à quoi cela ressemble réellement en ligne», estime le chercheur.
Car la réalité serait plus nuancée, le résultat le plus révélateur étant, selon lui, la prédominance des contenus non criminels observés sur X et sur Facebook.
Un recrutement plus indirect
Francesco Carlo Campisi a ainsi voulu explorer le cyberréseautage criminel (cyberbanging) – un terme générique qui fait référence à la relation interactive en ligne entre les membres d’un gang et les autres utilisateurs.
Ses résultats indiquent que le type de contenu le plus important de ce cyberréseautage serait la promotion des modes de vie des gangs, plutôt que le recrutement à proprement parler. Les membres des gangs de rue feraient ainsi rayonner la «culture de gang» en mettant de l’avant l’argent, les armes, les femmes, l’alcool, les partys, les drogues.
«Ces formes promotionnelles constituent un recrutement indirect, car elles peuvent inciter des individus crédules attirés par ces modes de vie à chercher à y adhérer. La responsabilité du recrutement incombe alors à l’individu plutôt qu’au gang», note le doctorant.
Le chercheur ajoute que le fait d’être membres d’un gang n’est qu’une facette de la personnalité de ces utilisateurs et ne semble pas dominer leur présence en ligne ni influencer fortement le contenu qu’ils publient.
«Les utilisateurs échantillonnés sur X et sur Facebook sont peut-être des membres de gangs de rue, mais ils sont aussi des fils, des sœurs, des pères, des étudiants, etc., avec des champs d’intérêt en dehors des gangs. Ils recourent, comme vous et moi, aux médias sociaux pour communiquer et maintenir des liens sociaux», indique-t-il.
Des contenus qui varient en fonction des plateformes
Selon l’enquête de Francesco Carlo Campisi, c’est sur X que la promotion des chansons et des mixtapes ou «compilations» a été le plus observée. Il précise que le hip-hop et le rap servent de support à la crédibilité de la rue, puisque bon nombre des artistes les plus populaires de ces genres sont des membres de gangs autoproclamés.
En revanche, la dimension du cyberréseautage criminel qui prédomine sur Facebook est «l’affichage des couleurs et des symboles des gangs», peut-être parce que le public est composé d’amis et de membres de la famille. «Des études ont montré que Facebook est principalement utilisé pour obtenir des réactions positives, alimentant ainsi un sentiment de vanité générale à travers le contenu affiché», précise le chercheur.
Sur YouTube, poursuit le doctorant, l’exposition de drogues, d’armes ou d’argent et la glorification des aspects du mode de vie du gang serviraient à améliorer le statut social de ce dernier.
«C’est une forme de marketing de contenu au final, analogue à celle utilisée par les influenceurs d’extrême droite pour “vendre” leurs idées, remarque Francesco Carlo Campisi. Et ceux qui vont chercher ce genre de style de vie vont le trouver facilement parce qu’il n’est pas nécessaire que les individus vulnérables habitent dans le même quartier que le gang pour s’y exposer.»
À propos de cette étude
L'article «Unveiling the Digital Underworld: Exploring Cyberbanging and Recruitment of Canadian Street Gang Members on Social Media», par Francesco Carlo Campisi, a été publié dans The Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice.