Comment sont promus les standards de construction pour la décarbonation des bâtiments?
- UdeMNouvelles
Le 27 janvier 2025
- Martin LaSalle

Malgré les discours qui en font la promotion, les standards de décarbonation des bâtiments ne permettent pas de parvenir à une véritable réalité postcarbone parce qu'ils se concentrent sur des solutions techniques et marchandes et négligent ainsi les changements plus fondamentaux dans notre façon de concevoir et d'habiter les bâtiments.
Crédit : GettyLa doctorante Lisa Hasan a analysé la façon dont les standards de bâtiments carboneutres ont été promus à l’échelle internationale, ainsi que les paradoxes que soulèvent ces standards.
Quels sont les forces et les discours qui en viennent à légitimer, à l’échelle internationale, l’établissement de standards pour des bâtiments carboneutres? Et quels sont les paradoxes et les limites de ces standards qui pourraient ne pas suffire à transformer réellement le secteur de la construction?
Ce sont des questions auxquelles répond Lisa Hasan dans sa thèse de doctorat réalisée sous la codirection des professeurs Gonzalo Lizarralde et Erick Lachapelle, respectivement de l’École d’architecture et du Département de science politique de l’Université de Montréal.
Son analyse a fait l’objet d’une publication récente dans la revue Construction Management and Economics.
L'émergence d'un acteur mondial: le WorldGBC
L’analyse de Lisa Hasan repose notamment sur les principes du World Green Building Council (WorldGBC), une organisation née de la fusion de différents conseils nationaux.
«Au départ, il y avait plusieurs green building councils, dont celui des États-Unis, qui a lancé la certification LEED [Leadership in Energy and Environmental Design] en 1998, relate la chercheuse. Pour étendre leur crédibilité et prendre part aux forums internationaux, ces conseils se sont regroupés sous l’appellation WorldGBC.»
Dix-sept ans plus tard, lors de la COP21 tenue à Paris en 2015, le WorldGBC a élaboré et promu le programme Advancing Net Zero (ANZ), visant à rendre carboneutres tous les nouveaux bâtiments d'ici 2030 et tous les bâtiments existants d'ici 2050.
Ce programme promeut trois axes clés:
la réduction maximale des émissions de CO2 liées à l'énergie en exploitation;
la production et l’utilisation d'énergies renouvelables à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments;
la compensation des émissions résiduelles incompressibles.
L'ANZ propose des certifications, des outils et un accompagnement aux conseils du bâtiment durable locaux pour atteindre ces objectifs ambitieux de décarbonation.
Or, la doctorante soulève que tous ne s’entendent pas sur la définition de ce qu’est la décarbonation ni sur les détails de son application concrète.
«Les discussions et mésententes à ce sujet ne sont pas terminées et ne le seront peut-être jamais, car pour le WorldGBC, le problème se situe à l'échelle du bâtiment: il est plus facile pour cette organisation de vendre une certification à des promoteurs immobiliers qu'à un gouvernement, mais cette approche marchande favorise des changements ponctuels plutôt qu'une transformation profonde du secteur», souligne Lisa Hasan.
Elle doute d’ailleurs que cette segmentation des actions permette réellement de réduire la dépendance sociétale aux combustibles fossiles.
Une stratégie de légitimation complexe et limitante
L'étude, où sont analysés 110 publications du WorldGBC et 22 entretiens avec des gens ayant participé à l’élaboration de ces standards, révèle une stratégie de légitimation sophistiquée reposant sur six discours principaux.
Le premier situe le secteur du bâtiment comme un acteur légitime de la gouvernance climatique mondiale. Le deuxième intègre la décarbonation dans le narratif plus large du développement durable. Le troisième redéfinit la décarbonation comme une transformation du marché. Le quatrième présente les standards comme précurseurs des futures politiques publiques. Le cinquième met l'accent sur l'investissement responsable, tandis que le dernier lie les bâtiments carboneutres à la reprise des activités après la COVID-19.
«J'ai découvert que les discours prônent des approches différentielles et segmentées, indique Lisa Hasan. C’est-à-dire que les standards comportent des actions plus restreintes que les discours de développement durable, à portée plus large, auxquels ils sont associés. De cette façon, on intègre les discours segmentés dans des discours plus holistiques et l’on bâtit leur légitimité sur cette base.»
Ainsi, elle désigne trois mécanismes qui limitent le potentiel transformateur de ces standards.
«L'imbrication narrative verticale présente les solutions segmentées comme si elles étaient systémiques, explique-t-elle. L'ambivalence des discours permet aux acteurs d'adapter les standards selon leur contexte tout en évitant les conflits qui pourraient nuire à la légitimité de l’ANZ. Finalement, l’élimination des exigences de divulgation masque les différences entre les standards et la performance des projets qui les adoptent: cela donne l’impression d’un large consensus sur la solution des bâtiments carboneutres.»
Une recherche qui va à la racine du problème
Il importe de préciser que, dans son article, la doctorante porte son regard sur le processus de légitimation des standards de bâtiments carboneutres, mais pas sur leur légitimité elle-même. Cette distinction est cruciale, car elle permet de comprendre comment les standards actuels, malgré les bonnes intentions qui ont guidé leur élaboration, pourraient paradoxalement entraver une véritable transformation du secteur.
«J’ai constaté que les standards actuels ne permettent pas d'imaginer ni de parvenir à une véritable réalité postcarbone, conclut-elle. En se concentrant sur des solutions techniques et marchandes, on néglige les changements plus fondamentaux dans notre façon de concevoir et d'habiter les bâtiments et, dans ce sens, mes constats appellent à une réflexion plus profonde sur notre vision de la décarbonation et à la désignation de pratiques permettant un changement véritablement transformateur.»
À propos de cette étude
L’article «The legitimation of private net zero emission building standards in the context of global decarbonization goals», par Lisa Hasan, Gonzalo Lizarralde et Erick Lachapelle, a été publié dans l’édition de décembre de la revue Construction Management and Economics.