La pandémie, parenthèse dans la recherche ou tremplin?

Benoît Mâsse, Caroline Quach-Thanh et Andrés Finzi

Benoît Mâsse, Caroline Quach-Thanh et Andrés Finzi

Crédit : Benoît Mâsse (Amélie Philibert, Université de Montréal), Caroline Quach-Thanh (Véronique Lavoie, CHU Sainte-Justine) et Andrés Finzi (Stéphane Lord)

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Cinq ans plus tard, trois chercheurs témoignent des effets de la crise sanitaire sur leurs travaux.

Tout laisser tomber (ou être forcé de le faire) pour se focaliser sur la COVID-19 et ses effets. En ce jour anniversaire des cinq ans de la pandémie, des chercheurs reviennent sur les conséquences – positives ou non – de la crise sur leurs projets de recherche.

La COVID-19 sur toutes les lèvres

«Ç’a été l’hécatombe. On avait plein de projets de recherche en cours – notamment sur l’asthme pédiatrique – qu’on a dû arrêter du jour au lendemain», se rappelle Benoît Mâsse, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal. Même si certains de ces projets ont repris, l’interruption des essais cliniques a mis en péril la fiabilité et la validité de ces études.

Avec sa collègue Sylvana Côté, aussi de l’École de santé publique, il s’est donc penché sur les répercussions de la COVID-19 et de la fermeture des écoles sur les enfants. «On a remarqué que les élèves qui réussissaient bien n’ont rien perdu, alors qu’à l’inverse, ceux qui étaient en difficulté ont été affectés encore davantage», observe-t-il. Il s’est par ailleurs intéressé aux effets de la COVID longue même si de nouveaux projets non liés à la COVID-19 s’amorcent progressivement.

Certaines structures héritées de la pandémie perdurent toutefois. L’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants, par exemple, a été formé pendant la crise sanitaire pour entre autres étudier l’incidence de celle-ci sur les enfants. «Les travaux de cet observatoire continuent. On profite de ce réseau mis en place durant la COVID-19 pour non seulement s'attaquer aux difficultés en éducation qui ont été aggravées par les perturbations scolaires, mais aussi pour aborder d’autres problèmes comme la sédentarité, qui n’est pas une pandémie en soi, mais qui peut mener à des maladies chroniques à l'âge adulte», affirme-t-il. 

Un catalyseur de nouvelles collaborations

La professeure du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’UdeM Caroline Quach-Thanh est du même avis. «La pandémie aura surtout été le catalyseur de nouvelles collaborations, plus particulièrement avec les immunologues», confie-t-elle. 

Comme pour la grande majorité des scientifiques, ses recherches ont été interrompues ou réorientées durant la crise. Certaines de ses études internationales, pour lesquelles elle venait d’obtenir du financement, ont été mises en pause ou interrompues, puisque les collaborations à l’étranger étaient difficiles en raison des voyages suspendus. «Je venais d’obtenir deux financements: le premier pour une étude sur l’épidémiologie des infections invasives à pneumocoque avec le Maroc et le Sénégal et un autre pour une étude avec la Belgique sur la prévention des infections nosocomiales», raconte-t-elle.

Malgré tout, son expertise sur les infections évitables par la vaccination et sur la prévention des infections nosocomiales a été rapidement mise à profit dans des projets sur la COVID-19. Les connaissances acquises dans ces deux années de crise sanitaire serviront également à se préparer à la prochaine pandémie. «La pandémie nous a permis de mettre en place une plateforme de recherche qui profite maintenant à la recherche pédiatrique, plus particulièrement à la préparation pandémique – la plateforme POPCORN que je dirige et qui a été financée par les IRSC [Instituts de recherche en santé du Canada], puis par le Fonds de recherche biomédicale du Canada», ajoute-t-elle.

S’adapter pour la COVID-19 et pour les autres virus

Spécialiste du VIH/sida, le virologiste Andrés Finzi a basculé naturellement vers ce nouveau virus au printemps 2020: le SRAS-CoV-2. Mais ses travaux antérieurs ont été grandement utiles dans la recherche sur ce coronavirus et la course vers le vaccin et les réponses immunitaires à celui-ci. «Nous travaillions sur la glycoprotéine, qui est la clé d’entrée du VIH dans la cellule. Nous avons donc commencé à étudier le SRAS-CoV-2. Même si leurs clés sont différentes, le changement n’était pas trop compliqué», indique-t-il. 

Andrés Finzi et ses collègues ont ainsi énormément contribué à la recherche sur la COVID-19: efficacité des vaccins et de certains traitements comme celui à l’aide de plasma de personnes convalescentes, immunité hybride, (re)découverte d’une molécule pour combattre le virus. «L’une des expertises de mon laboratoire, c'est notre travail sur la capacité des anticorps à reconnaître la clé d’entrée du virus et à appeler à l’aide d’autres cellules du système immunitaire pour éliminer les cellules infectées», précise-t-il.

Loin d’être une parenthèse, les travaux menés durant la pandémie ont fait avancer les connaissances qui pourront à leur tour servir dans la recherche sur le VIH, mais aussi sur d’autres virus, estime Andrés Finzi. «C’est sûr qu’on aurait préféré éviter le stress associé!» remarque-t-il. Mais les outils adaptés pour le SRAS-CoV-2 le sont à nouveau pour étudier la grippe aviaire. «On travaille sur ce qui pourrait être la prochaine pandémie. On ne veut pas revivre ce qui est arrivé il y a cinq ans, ç’a été brutal», dit-il. Benoît Mâsse va dans le même sens: la grippe aviaire pourrait dans un futur plus ou moins rapproché se transmettre entre humains.

Mais au-delà des avancées pour la recherche, on aimerait avoir tiré certaines leçons de la pandémie. D’abord, que la recherche fondamentale est essentielle: «C’est très difficile de dire ce qui va être utile dans le futur. C’est pourquoi la liberté universitaire, qui permet aux chercheurs et chercheuses d’explorer librement des avenues variées sans contrainte immédiate d’application, est indispensable à l’avancement des connaissances», souligne Benoît Mâsse. Ensuite, que la collaboration internationale l’est tout autant pour faire rapidement progresser les connaissances. Or, dans le contexte politique actuel, il y a lieu d’être soucieux. «L’inquiétude de mon côté ne concerne pas la recherche biomédicale. Elle se situe plutôt sur le plan sociétal», note-t-il. Entre la montée de la désinformation et le démantèlement d’organisations américaines reconnues et fiables, ce qui complexifiera les collaborations internationales, les défis seront nombreux. «On risque d’avoir beaucoup plus de difficulté à créer une solidarité dans la population», conclut-il.

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