S’investir dans le travail: un équilibre subtil entre l'engagement et l'épuisement

La dépendance au travail – aussi appelée «workaholisme» – entraîne une augmentation du nombre d'heures travaillées, une surcharge de travail et un risque de dépression et d’épuisement émotionnel.

La dépendance au travail – aussi appelée «workaholisme» – entraîne une augmentation du nombre d'heures travaillées, une surcharge de travail et un risque de dépression et d’épuisement émotionnel.

Crédit : Getty

En 5 secondes

La notion d’identité personnelle est au cœur de l’investissement professionnel intensif – et parfois toxique – que manifestent certaines personnes au travail, selon une étude de Marie-Colombe Afota.

Dans quelle mesure la notion d’identité personnelle intervient-elle chez ceux et celles qui s’investissent beaucoup dans leur travail? Et comment différents types d’investissement intensif au travail peuvent-ils influencer leur santé mentale?  

C’est ce qu’a cherché à comprendre Marie-Colombe Afota, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, dans un projet de recherche dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue Frontiers in Psychology

Son projet de recherche, réalisé avec ses collègues Véronique Robert, de l’Université Toulouse Capitole, et Christian Vandenberghe, de HEC Montréal, s'inscrit dans un contexte de numérisation accrue et de généralisation du télétravail qui, au cours des dernières années, ont considérablement modifié notre rapport au travail.  

«Avec la démocratisation des téléphones intelligents et du courriel, nous observons depuis une quinzaine d’années une érosion des frontières entre vie personnelle et vie privée qui se traduit pour beaucoup par une augmentation des heures travaillées, explique Marie-Colombe Afota. Lorsque la pandémie est arrivée, de nombreuses personnes ont pensé que l’accès au télétravail permettrait d’inverser cette tendance. C’est le contraire qui s’est produit: maintenant, un grand nombre de télétravailleurs se sentent obligés d'être disponibles et réactifs en permanence afin de démontrer qu’ils sont engagés et productifs.»

Trois formes distinctes d'investissement professionnel

Marie-Colombe Afota

Marie-Colombe Afota

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

La recherche, menée sur une période de huit mois auprès de 544 personnes diplômées d'une école de commerce française, distingue trois types d'investissement au travail: le surinvestissement toxique – ou dépendance au travail –, l'engagement au travail et l'engagement affectif organisationnel. 

La dépendance au travail est caractérisée par «une pression interne constante et des pensées obsessionnelles centrées sur les tâches professionnelles», selon les trois auteurs. L'engagement au travail représente, quant à lui, un état positif marqué par l'énergie, la passion et la concentration. Enfin, l'engagement affectif traduit un attachement émotionnel à l'organisation elle-même. 

L'étude met ainsi en évidence la façon dont les différentes facettes du concept de soi influencent ces formes d'investissement. «Dans notre recherche, les trois formes d'engagement sont prédites par la tendance à se définir en fonction d'un soi collectif, souligne Marie-Colombe Afota, c’est-à-dire par la tendance à se définir en fonction de son appartenance à des groupes sociaux.»  

En revanche, le soi individuel n’est associé qu’à la dépendance au travail.  

«La dépendance au travail – aussi appelée workaholisme - est surtout motivée par des buts plus sombres et moins positifs, comme le besoin de prouver sa valeur, tant à soi qu’aux autres, ajoute-t-elle. Et le problème, c'est que ça n'a jamais de fin et que ça finit par devenir destructeur.»

Des conséquences contrastées sur la santé mentale

Les résultats de l’étude sont éloquents quant aux effets de ces différentes formes d'investissement intensif au travail. 

«La dépendance au travail n’annonce que du négatif, résume Marie-Colombe Afota. Les données montrent qu'elle entraîne une augmentation du nombre d'heures travaillées, une surcharge de travail et un risque de dépression et d’épuisement émotionnel.» 

À l'inverse, l'engagement au travail n'est pas lié au nombre d’heures ni à la surcharge, et il a un effet protecteur contre la dépression et l'épuisement. 

«Cette découverte remet en question l’idée reçue selon laquelle les organisations gagnent à employer des personnes travaillant de longues heures, indique la professeure. Dans les faits, ce n'est pas nécessairement bon signe.» 

Pour ce qui est de l'engagement affectif envers l'organisation, il n'y a aucune relation significative avec les indicateurs de santé mentale étudiés.

Des répercussions importantes pour le monde du travail

Avec environ 14 % des travailleuses et travailleurs touchés par la dépendance au travail selon certaines estimations, la distinction entre un investissement sain et une dévotion excessive devient un enjeu majeur de santé publique. 

«Dans un monde professionnel où la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle est de plus en plus poreuse, nos résultats appellent à une remise en question des pratiques managériales valorisant le présentéisme numérique et les longues heures de travail», mentionne Marie-Colombe Afota. 

Selon elle, les organisations ont tort de croire qu’elles tirent profit du fait que les personnes qu’elles emploient travaillent sans cesse ou sont toujours disponibles. 

«Le défi est particulièrement présent pour les professionnels dont les tâches sont larges et difficiles à mesurer, ajoute-t-elle. On évalue la quantité, le temps passé à travailler, mais c’est un raccourci cognitif de croire que, si l’on travaille beaucoup, on est compétent!»

Vers une approche plus équilibrée du travail

L'étude souligne l'importance, pour les gestionnaires, d'apprendre à reconnaître les signes avant-coureurs de la dépendance au travail et de promouvoir l'engagement au travail comme une forme positive d'investissement.  

«Les organisations sont invitées à mettre en place des pratiques de gestion qui encouragent un équilibre sain entre vie professionnelle et vie personnelle, conclut Marie-Colombe Afota. La qualité de l'engagement importe davantage que sa quantité, et l'équilibre entre passion professionnelle et bien-être personnel reste plus que jamais un art subtil à maîtriser.»

À propos de cette étude

L’article «Workaholism, work engagement, and affective commitment: relationships to self-concept levels and work outcomes», par Marie-Colombe Afota, Véronique Robert et Christian Vandenberghe, a été publié dans la revue Frontiers in Psychology.