Pour une immunothérapie encore plus précise
- UdeMNouvelles
Le 14 avril 2025
- Catherine Couturier
Une équipe de recherche réussit à créer une cellule immunitaire plus efficace qui combat les cancers sans toucher aux tissus sains.
«C’est une histoire qui a débuté il y a près de 20 ans», dit d’emblée Paul François, professeur au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal. Au carrefour de plusieurs disciplines, le biophysicien et bio-informaticien s’intéresse à l’apprentissage automatique. «J’essaie surtout de modéliser mathématiquement ce qui se passe en biologie pour mieux la comprendre», indique-t-il.
Tout commence lorsque Paul François assiste à un séminaire sur le modèle de détection de la réponse immunitaire donné par l’immunologue franco-américain Grégoire Altan-Bonnet (de l’Institut national du cancer des États-Unis): «D’un point de vue mathématique, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je me suis donc intéressé au système immunitaire», raconte le professeur.
Des années de collaboration plus tard, les deux chercheurs ainsi que l’immunologue Naomi Taylor (aussi de l’Institut national du cancer des États-Unis) et leurs équipes (François Bourassa, Sooraj Achar et Taisuke Kondo) peuvent dire mission accomplie. Les résultats de leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue Cell.
«C’est vraiment un travail d’équipe», insiste Paul François. Grâce à la plateforme robotique conçue en collaboration avec le laboratoire de Grégoire Altan-Bonnet – «une espèce de microscope immunitaire» –, les scientifiques ont pu étudier la réaction des cellules du système immunitaire contre des cellules cancéreuses et construire un modèle mathématique expliquant et prédisant les observations ensuite faites en laboratoire. Ils ont par la suite travaillé avec le groupe de Naomi Taylor pour concevoir de nouvelles immunothérapies anticancers.
Judo immunitaire
Depuis quelques années, les traitements d’immunothérapie par cellules à récepteurs chimériques (CAR) ont changé le visage de la lutte contre le cancer. Utilisé en combinaison avec d’autres traitements (chimiothérapie, radiothérapie), ce type d’immunothérapie reprogramme les cellules immunitaires du patient (les cellules T) pour qu’elles s’attaquent elles-mêmes aux cellules cancéreuses. «C’est un peu comme un judo immunitaire», compare Paul François.
En laboratoire, on modifie les cellules T pour y ajouter un récepteur synthétique, le CAR. Ce récepteur permet aux cellules T de s’activer pour détruire les cellules cancéreuses, mais son mécanisme de reconnaissance des tumeurs n’est pas très précis: les cellules T s’attaquent souvent aussi aux tissus sains. L’immunothérapie CAR-T est ainsi très efficace dans le cas des leucémies, où le manque de spécificité des CAR n’est pas fatal, mais elle fonctionne moins bien quand il s’agit de cancers solides, comme celui des ovaires. «Les cellules CAR-T attaquent la tumeur dans l’ovaire, mais elles détruisent par le fait même les tissus sains, en particulier les poumons. Vous soignez le cancer, mais vous tuez la patiente», constate Paul François.
Mettre la pédale douce
Comment alors moduler ces réponses du système immunitaire? L’équipe de scientifiques a utilisé à son profit les récepteurs naturellement présents dans les cellules T (TCR). Ces TCR ont la capacité de distinguer les cellules saines de celles cancéreuses, en reconnaissant les protéines distinctes à leur surface. Mais les cellules T ne sont pas très efficaces pour combattre les tumeurs.
Les chercheurs ont découvert qu’ils pouvaient utiliser les TCR comme une pédale de frein à la réponse trop enthousiaste des CAR dans les tissus sains, combinant deux stratégies pour concevoir des cellules CAR qui intègrent des TCR. «On a longtemps pensé que les TCR étaient uniquement des “accélérateurs”, mais on a montré qu’on pouvait les moduler pour freiner la réponse immunitaire au lieu de l’activer», précise Paul François.
Paul François et son étudiant François Bourassa ont conçu le modèle mathématique théorique qui a permis de comprendre comment moduler la réponse immunitaire à l’aide des récepteurs présents naturellement sur les cellules T, pour une réponse plus «nuancée». «On a expliqué mathématiquement que, pour avoir une meilleure réponse immunitaire, il faut avoir un équilibre entre la pédale de frein et l’accélérateur de la cellule T», souligne-t-il.
Cette idée a permis à l’équipe de mettre au point un concept d’immunothérapie nommé AEBS (Antagonism-Enforced Braking System). «On n’est pas les seuls à essayer de reprogrammer la cellule CAR pour la rendre davantage efficace dans la lutte contre les tumeurs, mais on est les premiers à exploiter cette idée d’utiliser les récepteurs naturels comme pédale de frein», estime Paul François.
En laboratoire, l’équipe de Naomi Taylor a ensuite réussi à fabriquer et à tester des cellules T qui peuvent à la fois mettre les freins dans les tissus sains et fonctionner à plein régime quand elles rencontrent une tumeur.
Devant ces résultats forts encourageants, une demande brevet a été déposée et des essais cliniques pourraient être effectués. «Cela a commencé par un problème assez théorique et l’on a finalement réussi à exploiter l’idée pour un traitement», résume Paul François. Le long chemin semble enfin porter ses fruits.
À propos de cette étude
L’article «Engineering TCR-controlled Fuzzy Logic into CAR T-Cells Enhances Therapeutic Specificity», par Paul François et ses collègues, a été publié dans la revue Cell.