Briser le cycle de transmission de la maladie de Lyme
- UdeMNouvelles
Le 20 mai 2025
- Catherine Couturier
Une étude examine l’effet d’appâts d’acaricide pour les rongeurs sur la population de tiques, vecteurs de la maladie de Lyme.
Dans la lutte contre la maladie de Lyme, il est primordial d’avoir plus d’un outil dans son sac. Une équipe de recherche de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal a ainsi entrepris de poser des appâts contenant un acaricide destiné aux souris, principal réservoir du pathogène. «Les tiques qui grimpent sur les souris et les piquent contractent la bactérie qui cause la maladie de Lyme et c’est ce qui fait en sorte que la maladie se maintient dans l’environnement. On veut briser ce cycle», explique Jérôme Pelletier, vétérinaire épidémiologiste.
Il a consacré ses études de maîtrise et de doctorat à la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM à la mise sur pied de ce projet qui s’est déroulé à Bromont, une des municipalités les plus à risque pour la maladie de Lyme. «Les travaux de Jérôme [dans une première étude à Farnham] avaient démontré l’effet de cette technique, mais c’est la première fois qu’on utilisait ce type d’intervention dans un vrai milieu, fréquenté par le public», précise Cécile Aenishaenslin, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Les résultats de ces quatre années de recherche de terrain viennent d’être publiés dans la revue Ticks and Tick-borne Diseases.
Des lieux hautement fréquentés
«Nous avons mis en place et évalué un programme préventif intégré qui comprenait un volet communautaire pour améliorer les comportements préventifs et les connaissances de la population», relate Cécile Aenishaenslin. Depuis 2008, la chercheuse travaille sur des interventions cohérentes avec l’approche Une seule santé destinées à prévenir et limiter les zoonoses émergentes, dont les maladies transmises par les tiques.
Les appâts ont été installés à plusieurs endroits (cours privées, bordures de sentiers) dans la ville de Bromont, un partenaire de recherche important. L’équipe de recherche y a inclus du fluralaner, un acaricide utilisé pour protéger les chiens et les chats domestiques des piqûres de tiques. Les tiques qui piquent les souris qui en ont consommé meurent, ce qui brise la chaîne de transmission.
L’étude comprenait également des lieux témoins, où aucun appât n’avait été posé. «Nous voulions montrer que la quantité de tiques et la proportion de celles infectées par la maladie de Lyme seraient moindres là où il y avait des appâts, comparativement à nos emplacements témoins», résume Jérôme Pelletier.
Des données robustes
Les appâts ont été posés du printemps à l’automne en 2019, 2020, 2021 et 2022, et l’échantillonnage s’est fait à l’été et à l’automne des mêmes années, question d’observer tous les stades de développement de la tique (larve, nymphe, adulte). En 2020, on a enregistré une quantité inhabituellement faible de tiques, mais les recherches se sont heureusement poursuivies. «Ce sont les aléas des tiques, et c’est une des raisons pour lesquelles il demeure très difficile de développer ce type d’intervention. On jongle avec énormément de facteurs environnementaux qui complexifient les analyses statistiques», indique Jérôme Pelletier. L’équipe a finalement noté une diminution d’environ 39 % en 2021 et 2022 de la densité de tiques dans les lieux avec appâts.
En plus d’échantillonner ces lieux, l’équipe a pris des mesures en s’éloignant progressivement des zones traitées. Elle a relevé que cette densité diminuait aussi autour des endroits où les appâts se trouvaient. «Plus on s’éloignait du lieu traité, plus la densité de tiques augmentait. L’effet se diffuse donc dans l’espace», précise Jérôme Pelletier.
De plus, les scientifiques ont enregistré une réduction significative des chances de rencontrer une tique infectée dans les zones traitées avec les appâts par rapport à celles non traitées. «On peut dire que l’intervention fonctionne bien. Mais il faut rester prudent – la réduction du nombre de tiques infectées ne se traduit pas automatiquement par une réduction des cas de la maladie chez les humains», nuance le vétérinaire.
Un morceau du casse-tête
«C’est le morceau qu’il nous reste à examiner. Nous voyons une réduction notable de la densité de tiques, mais est-ce suffisant pour diminuer le nombre de personnes exposées à des piqûres et, à long terme, le nombre de cas ? Nous estimons que l’effet demeure quand même faible», enchaîne Cécile Aenishaenslin. Parce que dans la lutte contre la maladie de Lyme, c’est la protection individuelle qui demeure la première ligne de défense – d’autant plus que l’utilisation du fluralaner de cette manière n’est pas encore approuvée en dehors du contexte expérimental et de la prescription pour les animaux domestiques.
Les études se poursuivent, notamment avec le projet PARCS en santé, qui s’intéresse au rôle des cerfs de Virginie dans l’équation. «Dans les prochaines étapes, nous essaierons de combiner plusieurs types d’interventions pour maximiser les effets», dit Cécile Aenishaenslin. Ainsi, certaines interventions sont plus appropriées dans certains contextes: «Si vous avez une possibilité de croiser une tique chaque fois que vous sortez de chez vous, les mesures de protection individuelles deviennent compliquées à appliquer. C’est là où des mesures environnementales comme celle-ci pourraient devenir intéressantes», souligne Jérôme Pelletier.
À propos de cette étude
L’article «Rodent-targeted fluralaner baiting reduces the density of Borrelia burgdorferi-infected questing Ixodes scapularis ticks in a peri-urban setting in southern Canada», par Jérôme Pelletier, Cécile Aenishaenslin et leurs collègues, a été publié dans la revue Ticks and Tick-borne Diseases.