Parler aux représentations virtuelles de ses démons intérieurs pour retrouver la paix
- UdeMNouvelles
Le 2 juin 2025
- Virginie Soffer
Hallucinations, dépendances, dépression: la thérapie Avatar aide les patients à affronter leurs souffrances en les faisant dialoguer avec des figures de réalité virtuelle.
Et si l’on pouvait dialoguer avec ses angoisses? Mettre un visage sur ses traumatismes? Regarder ses blessures intérieures dans les yeux, leur parler… et enfin les faire taire? Ce n’est pas de la science-fiction.
Mise au point par l’équipe du Dr Alexandre Dumais, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, la thérapie Avatar utilise la réalité virtuelle pour recréer les voix intérieures que des patients entendent et permettre à ceux-ci de leur parler dans un cadre sécurisé. Après avoir fait ses preuves auprès de personnes souffrant d’hallucinations auditives que les traitements existants ne parviennent pas à éliminer, cette thérapie est aujourd’hui explorée pour traiter des troubles liés à l’usage de substances ainsi qu’à la dépression majeure.
Donner un visage à ses démons
L’approche Avatar permet de donner corps aux voix intérieures qui tourmentent les patients afin qu’ils puissent mieux les affronter. «L’avatar est une figure virtuelle contrôlée par le thérapeute et qui incarne une voix entendue par le patient – souvent critique, dévalorisante, parfois violente», explique le Dr Dumais.
Dans le cas de personnes souffrant d’hallucinations auditives, cela signifie littéralement recréer «le démon» qu’elles entendent: une voix qui les insulte, les rabaisse, les harcèle au quotidien. Ensemble, patient et thérapeute donnent forme à cette entité. L’apparence, le ton, les propos: tout est ajusté pour refléter au plus près l’expérience subjective de la voix intrusive. «Le démon me dit que je suis un imbécile, que je ne vaux rien», rapportera par exemple un patient. L’avatar projeté dans un casque de réalité virtuelle répétera ces phrases mot pour mot avec une voix modifiée pour coller à celle perçue lors des hallucinations.
La thérapie suit une structure en trois temps: une phase de préparation à l’immersion, une immersion avec l’avatar, puis une discussion en personne avec le ou la psychiatre. «On ne se contente pas d’exposer la personne à la violence de la voix, précise Alexandre Dumais. Le but est de changer le dialogue, de transformer cette interaction intérieure.»
Au fil des séances, qui s’étendent sur environ neuf semaines, le dialogue évolue. D’abord fidèle à la voix initiale, l’avatar devient plus nuancé. Le thérapeute incite le patient à répondre, à s’affirmer. Peu à peu, le démon se déstabilise, conteste ses propos. C’est là que l’effet thérapeutique se joue: le patient commence à remettre en cause les croyances négatives qu’il entretient sur lui-même. «Parfois, le patient va jusqu’à transformer l’avatar. Il ne le voit plus seulement comme un démon, mais comme le reflet de sa maladie. Il prend du recul. Il commence à se dire: “Et si c’était moi qui me dévalorisais autant?”» souligne le Dr Dumais.
De la schizophrénie aux dépendances
Si cette approche a d’abord été conçue pour les patients atteints de schizophrénie souffrant d’hallucinations auditives résistantes aux médicaments, ses créateurs y ont vu un potentiel plus large. L’équipe du Dr Dumais a ainsi lancé une étude pilote pour adapter la méthode aux troubles liés à l’usage du cannabis.
«On a adapté l’approche pour les gens qui luttent avec leur consommation, et les résultats sont très encourageants», rapporte le chercheur. Ici, l’avatar ne représente plus une hallucination, mais une figure extérieure influente, comme un ami. Cette personnification permet au patient d’exprimer ses résistances et de mieux comprendre les déclencheurs psychologiques de sa consommation. Après huit séances, les participants ont réduit leur usage de cannabis d’environ 50 %.
Un nouvel espoir pour faire face aux dépressions réfractaires
Plus récemment, l’approche a fait l’objet d’un troisième projet pilote, destiné aux patients souffrant de dépression majeure réfractaire, c’est-à-dire qu’ils ne répondent pas ou répondent mal aux antidépresseurs et aux psychothérapies traditionnelles.
Dans ce contexte, la thérapie Avatar permet d’aborder des dimensions souvent négligées: les conflits non résolus, les pertes non intégrées, les liens traumatiques. «Ces personnes ont souvent déjà tout essayé, rappelle Alexandre Dumais. On utilise un avatar pour créer un espace relationnel où le patient peut dire ce qu’il n’a jamais pu exprimer.» L’avatar prend alors les traits d’un être cher disparu, d’un parent critique, d’un ex-conjoint ou de toute autre figure ayant laissé une empreinte douloureuse.
Cette confrontation simulée offre un lieu sécurisé pour explorer des sentiments ambivalents, clore des dialogues inachevés. L’équipe de recherche s’inspire ici des fondements de la thérapie interpersonnelle et y ajoute une dimension expérientielle immersive.
Le Dr Dumais évoque par exemple une scène fictive inspirée d’un cas réel: celui d’un patient dont la conjointe est décédée subitement, alors qu’il l’aimait passionnément et qu’ils avaient de nombreux projets d’avenir. Grâce à la thérapie Avatar, cet homme a reconstitué la figure de sa partenaire et a confié: «Tu me manques tellement. Je pense à toi. Comment j'organise ma vie maintenant que tu n’es plus là? J'ai l'impression de te trahir en allant vers d'autres choses.» Après avoir discuté avec l’avatar de la personne décédée, le patient a continué d’explorer ce dialogue libérateur avec son thérapeute. «Cette approche permet de redéfinir le lien avec le défunt et de le laisser partir», mentionne Alexandre Dumais.
Une tierce personne qui libère la parole
Ce qui étonne les thérapeutes, c’est à quel point les patients se confient davantage à l’avatar qu’à eux. Sabrina Giguère, doctorante à l’Université de Montréal, qui travaille sur ce sujet, est toujours surprise de la profondeur des confidences. «C’est comme si certaines défenses tombaient», observe-t-elle. La présence d’un tiers – même fictif – semble créer un espace émotionnel plus libre, où le jugement du thérapeute est suspendu. «On apprend des choses en immersion qui n’étaient jamais apparues en face à face. Et cela nourrit les séances suivantes», ajoute-t-elle.
Ce phénomène, les chercheurs commencent à le théoriser. Alexandre Hudon, psychiatre et professeur adjoint de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM, est à modéliser ces interactions grâce à l’intelligence artificielle. «On analyse les thèmes abordés. On veut comprendre les types de dialogues qui mènent aux meilleures réponses cliniques», indique-t-il.
À terme, certains avatars pourraient intégrer des réponses automatisées, nourries par une base de données de contenus thérapeutiques validés. L’objectif n’est pas de remplacer le thérapeute, mais d’adapter plus finement l’avatar aux besoins du patient. Ces «avatars augmentés» resteraient sous supervision humaine, mais pourraient offrir des interactions plus fluides.
Symposium sur les avancées de l’approche Avatar
À l’occasion du Colloque de la recherche pour la santé mentale au Québec, il sera possible de participer au symposium, présidé par Alexandre Dumais, sur les avancées de l’approche Avatar, élaborée au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, le jeudi 12 juin.
Sabrina Giguère présentera une communication intitulée «Thérapie Avatar pour le traitement du trouble dépressif réfractaire au traitement» et Alexandre Hudon se demandera si l’on peut se baser sur les données expérientielles pour automatiser les soins.