Argilos: quand des étudiants contribuent à écrire une histoire vieille de 2600 ans!

En 5 secondes Une soixantaine d’étudiantes et d’étudiants ont pris part cet été à un stage en archéologie de quatre à six semaines sur le site d’Argilos, en Grèce, sous la direction du professeur Jacques Perreault.

Six heures du matin, face au 14, rue du 25-Mars à Asprovalta, près de 60 étudiantes et étudiants s'apprêtent à monter à bord des navettes qui les conduiront sur le site archéologique d'Argilos, dans le nord de la Grèce. L'excitation est palpable malgré l'heure matinale: une nouvelle journée de découvertes les attend!

Cette cohorte enthousiaste fait partie des quelque 1000 jeunes qui, depuis plus de 30 ans, ont eu la chance de se former sur ce terrain de jeu scientifique unique, dirigé de main de maître par le professeur du Département d'histoire et du Centre d’études classiques de l'Université de Montréal Jacques Perreault, spécialiste en archéologie méditerranéenne.

En ce 23 juin, la moitié des stagiaires amorcent la dernière semaine d'un stage qui en aura compté quatre au cours desquelles ils se sont familiarisés avec la rigoureuse démarche scientifique qu'impliquent les fouilles sur un site archéologique aussi exceptionnel que celui d'Argilos.

Une cité antique d'exception

Fondée il y a plus de 2600 ans, Argilos a été l'une des premières colonies grecques établies dans le nord de la Grèce. Elle se distinguait par son urbanisation planifiée – rues, système de drainage, architecture d’influence cycladique –, son centre commercial sophistiqué avec sa stoa archaïque et sa vie artisanale florissante, notamment autour de l'extraction de l'huile d'olive et de la métallurgie.

«Nos fouilles nous ont jusqu’ici permis d'apprendre comment fonctionnait l'organisation communautaire, commerciale et urbanistique d'Argilos, et elle était déjà très avancée», s'enthousiasme Jacques Perreault.

Ce qui rend Argilos véritablement unique, c'est son état de conservation remarquable. «Comme il n'y a pas eu d'occupation postérieure à 357 avant notre ère, ce qui s'y trouve est intact, poursuit le professeur. Si vous prenez une photo de l'ensemble de la cité avec un drone, vous aurez devant les yeux les structures d'une ville qui existait dans cet état de 500 à 600 ans avant Jésus-Christ! Vous verrez ses rues, son agora, ses magasins, ses maisons, ses fortifications, la porte d'entrée de la ville, tout est là!»

Quand la chaleur défie la passion

Si certains stagiaires retrouvent Argilos après y avoir séjourné auparavant, la plupart vivent leur baptême des fouilles archéologiques. Supervisés par une douzaine d'habitués du site – pour la plupart des étudiants et étudiantes de maîtrise et de doctorat du professeur Perreault –, ils viennent majoritairement de l'UdeM, tandis que 16 étudient au Cégep de Rosemont ou au Collège Lionel-Groulx. Tous partagent la même passion: percer les mystères du passé, pic, truelle ou pinceau-balayeur à la main. 

Dès 6 h 30 le matin, le groupe s'attèle à la tâche dans une lutte contre la montre. Au fil des heures qui s'égrènent jusqu'à la fin du quart de travail – à 14 h –, un soleil de plomb s'installe et fait grimper le thermomètre.  

Dans un crescendo caniculaire, le mercure affichait 32 °C le lundi en après-midi et montait jour après jour… Le vendredi, les prévisions météorologiques annonçaient 38 °C! Ce matin-là, par mesure préventive, le gouvernement grec a diffusé un avis obligeant les personnes travaillant à l'extérieur à cesser leurs activités à midi. 

Mais cette chaleur accablante n'a pas freiné l'ardeur des apprentis archéologues, bien au contraire! 

Des trésors qui se dévoilent grain par grain

Durant la première semaine de stage, le travail consistait pour plusieurs à excaver les couches de terre argileuse accumulées au fil des siècles sur les vestiges de la cité. Puis, au fil des jours, leurs efforts ont porté leurs fruits: les artéfacts ont commencé à livrer leurs secrets.

Les murs qui ceinturaient jadis les habitations où vivaient et commerçaient les Argiliens, les restes d'amphores, de lampes à l'huile ou de vases (pithos) qu'ils utilisaient, des pointes de flèches ainsi que quelques pièces de monnaie en bronze et en argent, des ossements, de la céramique décorative, des coquillages: chaque découverte raconte une histoire.

«Plus on avance dans le stage, plus on comprend ce qu'on fait et ce qu'on trouve, explique Sébastien Puel, étudiant de troisième année au baccalauréat en histoire de l'UdeM. Au début, c'est mystérieux, mais plus on creuse, plus on trouve!»

Les artéfacts mis au jour révèlent parfois des détails de la vie quotidienne des Argiliens. «On a découvert avec les objets trouvés que les Argiliens réparaient leurs vases brisés ou craqués avec du plomb, ce qui permettait de sceller le récipient», note Laure-Sarah Ethier, conseillère à la réussite étudiante au Département d'histoire et doctorante sous la direction de Jacques Perreault.

La science du détail

Une fois les pièces exhumées, chacune est photographiée in situ et ses données géomatiques sont soigneusement consignées. Pendant les fouilles, des équipes sont chargées de tenir un journal de bord dans lequel doivent figurer tous les détails relatifs aux objets découverts: schémas et croquis, élévation du sol, photos, éléments de triangulation qui permettent de situer exactement l'endroit où ils ont été trouvés afin que d'autres chercheurs puissent s'y référer.

Puis les pièces sont délicatement transportées vers les installations que Jacques Perreault a fait ériger derrière le Musée archéologique d'Amphipolis. C'est là qu'une autre équipe s'affaire à les nettoyer, les classifier et les cataloguer. Le nettoyage des pièces mises au jour permet d'établir leur origine – attique ou corinthienne par exemple.

Jacques Perreault fait ensuite le tri de ce qui fera l'objet d'une reconstitution et un dessinateur s'affaire à reproduire sur papier les trois dimensions de l'artéfact, que ne peut capturer une photographie en deux dimensions. Les pièces ainsi traitées rejoignent les salles de conservation du Musée, rangées dans des tiroirs qui serviront à de futures recherches.

Écrire l'histoire au présent

«Dater la durée de vie d'un site, sa naissance et sa destruction – par la guerre ou par une catastrophe naturelle – fait de l'archéologie un complément de l'histoire écrite… lorsqu'elle existe, souligne Saskia Deluy, archéologue et responsable du catalogage. Or, il existe peu de références écrites sur l'existence d'Argilos, ce qui signifie que le travail qui se fait sur ce site permet littéralement d'écrire son histoire au fil des découvertes qu'on y fait.»

Cette mission prend une dimension particulière, selon Keven Ouellet, titulaire d’un doctorat en histoire réalisé sous la supervision de Jacques Perreault, chargé de cours en histoire à l'UdeM et responsable d’un des secteurs de fouilles à Argilos.

«Argilos est un site unique qui renferme un très haut potentiel sur le plan des découvertes qui restent à faire – plus on fouille, plus elles nous semblent en nombre infini! –, mais aussi sur le plan de l’enseignement: les fouilles permettent à des étudiants et des chercheurs de retracer la vie de cette colonie grecque. Ici, l'archéologie permet d'écrire l'histoire!» lance le spécialiste en fortifications.

L'ampleur du travail qui reste à accomplir donne le vertige. «Au rythme où vont les fouilles, et compte tenu de l'étendue de la cité – elle occupe une colline qui s'étend jusqu'à la mer Égée –, on aura terminé de fouiller ce site d'ici 200 à 225 ans», illustre Jacques Perreault.

Ainsi, chaque artéfact révélé contribue à reconstituer le casse-tête de cette cité antique, transformant les stagiaires en détectives du temps!

L'art de transmettre

«Jacques aurait pu décider d'embaucher des professionnels pour scruter Argilos, mais il a préféré emmener des étudiants et étudiantes pour leur transmettre son savoir, piquer leur curiosité, élargir leur culture générale. C'est un véritable passeur», observe Mylène Desautels, professeure en histoire et civilisation au Collège Lionel-Groulx et ancienne étudiante de maîtrise en histoire.

Cette approche pédagogique n'est pas le fruit du hasard. «Si l’on ne m'avait pas donné ma chance à l’époque, je ne serais pas archéologue… C'est pourquoi je trouve si important de faire participer des étudiantes et étudiants aux fouilles à Argilos, soutient Jacques Perreault. Mais il y a plus: je les place tout de suite en situation où ils sont responsables de ce qu'ils font et ça, c'est ce qu'il y a de plus formateur. À Argilos, ils font tout: ils fouillent, ils tiennent leurs carnets de fouilles, ils rédigent des fiches descriptives, ils lavent les objets qu'ils ont découverts, ils les cataloguent…»

Une leçon de vie

Pour Jacques Perreault, l'archéologie va bien au-delà de la simple découverte d'objets anciens. 

«L'archéologie, c'est un peu l'enfance qui remonte en soi, comme à l'époque où l’on découvrait le monde à travers son carré de sable! Chaque découverte constitue un morceau d'un grand puzzle dont on ne connaît pas encore la finalité. Et ça me permet de côtoyer cette jeunesse qui vous confronte et vous force à vous remettre en question. J'aime ça!» déclare-t-il.

Au-delà de l'aventure scientifique, le professeur Perreault voit aussi dans l'archéologie un moyen de comprendre le monde contemporain.

«L'archéologie, comme l'histoire, ça donne quoi? Bien, la seule façon de comprendre le monde dans lequel on vit, c'est de le comparer et, pour ce faire, on a le monde d'hier. Comparer les mondes d'hier et celui d'aujourd'hui permet de comprendre ce qui se passe maintenant et de pouvoir critiquer pour participer au monde de demain. Étudier l'histoire de l'Antiquité, ça donne des gens allumés, ouverts d'esprit, capables d'analyser et de comprendre le monde qui les entoure!» dit-il.

Ainsi, sous le soleil implacable de la Grèce du Nord, une soixantaine d'étudiants et étudiantes ont contribué à écrire l'histoire d'Argilos – et peut-être, un peu, la leur.

La mission archéologique d'Argilos: 30 ans de collaboration internationale

Depuis 1992, la mission archéologique gréco-canadienne d'Argilos unit l'Université de Montréal et l'Éphorie des antiquités préhistoriques et classiques de Serres, pilotée par Dimitra Malamidou, sous la gouverne de l'Institut canadien en Grèce, que dirige Jacques Perreault aux côtés de Zisis Bonias.

Cette alliance réunit une équipe multidisciplinaire d'archéologues, d'architectes, de céramologues, de zooarchéologues, d'archéobotanistes, d'informaticiens et de techniciens spécialisés.

Chaque spécialiste apporte ainsi son expertise pour comprendre comment cette cité grecque, fondée au 7e siècle avant notre ère, s'est développée en territoire thrace, comment les colons ont interagi avec les populations locales et quels facteurs ont influencé son évolution économique et culturelle.

Bon an, mal an, de 1000 à 1500 objets émergent du sol d’Argilos, révélant progressivement l'organisation urbaine, les activités commerciales et artisanales ainsi que la vie quotidienne des habitants de cette cité archaïque. Les fouilles ont notamment permis de mettre au jour une grande artère reliant le port à l'acropole, des bâtiments publics, un quartier commercial et des ateliers diversifiés.

Cette aventure scientifique bénéficie d'un soutien diversifié, dont celui du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, du gouvernement du Québec, de l'Université de Montréal, du ministère grec de la Culture et des Sports, de l'Institut canadien en Grèce, de l'ambassade du Canada en Grèce, du Musée archéologique d'Amphipolis, d’Hellas Gold, sans oublier UdeM international, qui contribue depuis de nombreuses années au financement annuel des stages et de l’école de fouilles d’Argilos.

Cette collaboration de grande envergure a permis l'organisation de colloques internationaux et la publication de nombreux travaux de recherche, diffusant les découvertes d'Argilos bien au-delà des frontières grecques.

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