Un cimetière oublié refait surface

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Pas de vacances pour la science! Article 35 / 40
Entre le 22 avril et le 17 mai derniers, une équipe de 15 étudiants et étudiantes en archéologie dirigée par Isabelle Ribot, professeure et bioanthropologue à l’Université de Montréal, a mené une campagne de fouilles sous les pelouses verdoyantes qui bordent l’église de La Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, dans le secteur du Sault-au-Récollet. Son équipe était composée de Jean-Christophe Ouellet, archéologue responsable de l’école de fouilles de l’UdeM, de Jennifer Bracewell, postdoctorante, de Sarai Barreiro-Argüelles, doctorante spécialisée en archéologie historique, et d’une quinzaine d’étudiants et étudiantes bénévoles.
Subventionné par un fonds Exploration de l’Université de Montréal (2023-2025) et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), ce chantier est aussi le fruit d’une collaboration avec Patrick Goulet et Philippe Barrucand de la paroisse du Sault-au-Récollet et Emilie Desrosiers de la Ville de Montréal .
Au terme de ces fouilles, les archéologues ont confirmé la présence de sept sépultures intactes, vestiges d’un ancien cimetière paroissial actif entre 1751 et 1873.
Des fouilles méthodiques guidées par géoradar

C’est grâce aux recherches historiques et archéologiques antérieures ainsi qu’aux images fournies par un relevé au géoradar effectué en 2024 que l’équipe a pu établir les zones à explorer. «Le géoradar, ça ressemble à une tondeuse qu’on passe au-dessus du gazon. On ne fait aucune intervention destructrice. La machine envoie des ondes, un peu comme la radio, et ça permet de voir s’il y a eu des perturbations dans le sol ou s’il existe des structures», explique Isabelle.
Sur les flancs est et ouest de l’église, six tranchées de 1 mètre sur 3 mètres ont été ouvertes. «On a fouillé de la fin avril jusqu’à la mi-mai. C’était beaucoup de travail et le temps était très mauvais au début. Il pleuvait sans cesse. Malgré tout, les résultats de ces premiers sondages sont très positifs. Dans la partie ouest, qui longe l’église, on a trouvé des sépultures à une grande profondeur, entre 1,20 mètre et 1,50 mètre», poursuit-elle.
Les fouilles ont aussi permis de dégager dans la partie nord-ouest un alignement de pierres qui pourrait correspondre à l’ancien mur d’enceinte du cimetière.
Pour l’heure, aucune des sépultures intactes n’a été complètement fouillée. L’équipe s’est contentée de confirmer leur présence et leur bon état de conservation. Les tranchées ont été soigneusement rebouchées en prévision de fouilles plus approfondies prévues en 2026 dans le cadre d’une école de fouille. «On a tout laissé en place, précise Isabelle Ribot. Il est essentiel, d’un point de vue éthique et scientifique, de ne pas perturber inutilement ces sépultures.»
Vestiges d’un passé mouvementé
Si certaines sépultures demeurent intactes, d’autres traces témoignent d’importants remaniements du sol. Dans un des sondages, les archéologues ont découvert une grande fosse contenant de nombreux ossements humains désarticulés et fragmentés, sans doute déplacés lors de travaux antérieurs.
«Il y avait des fragments d’ossements d’adultes, mais aussi d’enfants, parfois même de bébés, mélangés à des artefacts comme des tessons de poterie, des fragments de jouets d’enfant, des billes en verre ou en terre cuite. Certaines pièces datent de la Nouvelle-France, d’autres de la période anglaise», raconte la chercheuse.
Le site a révélé quelques artefacts bien plus anciens. «Quand des firmes de spécialistes ont fouillé sous le parvis de l’église il y a quelques années, elles ont retrouvé des objets datant de l’époque archaïque, soit plusieurs milliers d’années avant notre ère», indique Isabelle Ribot. «Ça montre que ce lieu a attiré des groupes autochtones longtemps avant l’arrivée des colons européens.»
Témoins matériels d’un cimetière disparu
Parmi les découvertes figure également la présence d’éléments liés à l’ornementation des cercueils. «On a retrouvé beaucoup de quincaillerie funéraire: des poignées de cercueil, des clous, parfois des appliques. Quand les sépultures sont restées en place, on peut retrouver ces appliques bien alignées, car même si les planches du cercueil se désagrègent, les appliques demeurent souvent en position. Elles ont parfois coulé légèrement dans le sol», décrit la professeure.
Elle précise qu’au 19e siècle, surtout dans sa seconde moitié, l’industrie funéraire s’est développée, entraînant une multiplication des décorations sur les cercueils. «Il existe toute une typologie des ornements. Il faudra consulter les catalogues de l’époque pour voir si les appliques que nous avons retrouvées permettent de dater plus précisément certaines sépultures.»
Des sépultures sans nom… pour l’instant
Pour le moment, les sept sépultures d’adulte découvertes demeurent anonymes. «Beaucoup de gens viennent nous voir sur le site, intrigués, raconte Isabelle. Certains me disent qu’ils ont peut-être des ancêtres dans ce cimetière. Mais il est presque impossible de retrouver tous les membres de la descendance ou d’identifier précisément chaque personne inhumée.»
L’absence de pierres tombales complique l’identification. «On espérait en retrouver, mais pour l’instant, aucune n’a été mise au jour. D’après les archives, notamment celles de M. Goulet, de la paroisse, des pierres tombales avaient été déplacées et laissées sur les lieux, mais nous ne les avons pas trouvées. À l’époque, il n’y avait pas toujours de pierres tombales. Souvent, il s’agissait simplement de petites croix en bois.»
À l’horizon 2026, l’Université de Montréal compte ouvrir sur ce site une école de fouilles en bioarchéologie. «Nous espérons également mener des analyses d’ADN ancien. Nous avons un projet pour expérimenter de nouvelles méthodes de séquençage plus rapides, directement sur le terrain, afin d’éviter la contamination des échantillons», confie Isabelle Ribot, qui compte collaborer avec divers spécialistes de la génétique au Québec. «Bien sûr, il s’agira d’un projet expérimental. Peut-être que cela fonctionnera, peut-être pas. Mais si nous parvenons à obtenir des données génétiques, cela pourrait apporter des éclairages inestimables sur la population inhumée ici.»

