Le stress des allers-retours quotidiens

En 5 secondes Les déplacements entre le domicile et le travail pèsent parfois si lourd sur la difficile conciliation travail-famille qu’ils ébranlent la santé mentale des travailleurs.
Annie Barreck

Imaginez. Votre patron s’attend à ce que vous participiez à une importante réunion dès 8 h 30 ce matin. Manque de pot, en vous attardant quelques minutes avec la petite au moment de la laisser à la garderie, vous avez raté votre autobus. Puis, pour couronner le tout, une panne de métro a retardé votre arrivée au travail. En fin de journée, ce sera de nouveau la course pour arriver à temps à la garderie. Votre niveau de stress est élevé, dites-vous? À la longue, une véritable détresse psychologique pourrait s’emparer de vous. 

«Les chercheurs et spécialistes des politiques publiques se sont beaucoup intéressés à la santé mentale, aux facteurs de stress au travail – les risques psychosociaux – et à la conciliation travail-famille, mais ils ont rarement intégré l’influence du navettage, soit les déplacements domicile-travail, dans leurs analyses», souligne Annie Barreck, dont les recherches viennent de faire l’objet d’une publication dans la revue britannique Journal of Transport & Health.

La chercheuse a soutenu sa thèse de doctorat sur cette question à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal l’an passé, réalisée sous la direction d’Alain Marchand. Les membres du jury, soulignant à la fois le caractère novateur et la rigueur de la méthodologie de la recherche, l’ont jugée «exceptionnelle». 

Les travaux de la chercheuse apportent un éclairage inédit sur les liens entre le navettage, le conflit travail/famille et la santé mentale.

 

La durée du trajet, un facteur clé

Premier constat, la durée des trajets est le facteur déterminant. «Plus les travailleurs passent du temps à se déplacer, plus ils rapportent des conflits travail/famille et plus leur santé mentale s’en trouve affectée, déclarant plus de symptômes de détresse psychologique. Dans un monde de plus en plus minuté, le temps passé à se déplacer est du temps que nous n’avons pas pour effectuer d’autres activités personnelles, familiales, sociales, sportives, etc.», résume Annie Barreck. 

Un court trajet pourrait avoir des effets bénéfiques, par exemple permettre de se décharger du travail et se préparer au rôle de père ou de mère, mais d’après ses recherches à la maîtrise, le point de rupture survient rapidement, puisqu’après 20 minutes l’épuisement professionnel commence à montrer le bout de son nez.  

Selon Statistique Canada, la durée moyenne d’un trajet en auto est de 44 minutes, comparativement à 53 en transport en commun et à 26 en transport actif. Pour près de 10 % des travailleurs, la durée des trajets dépasse les 60 minutes. Et la tendance est nettement à la hausse.

L’auto avant le métro

Si l’effet de la durée des trajets est universel, tous les types de déplacements ne sont pas égaux pour autant. Ainsi, l’utilisation du transport en commun met davantage à mal la conciliation travail-famille. Les trajets sont souvent plus longs, moins flexibles et plus imprévisibles.  

En revanche, la voiture semble agir comme facteur de protection. Possiblement que son recours entraîne un sentiment de contrôle chez le conducteur sur son trajet ou que le véhicule est vu comme un espace de distraction, avec la radio ou la musique. À l’heure actuelle, un peu plus de la moitié des travailleurs canadiens, soit 53 %, se déplacent en auto, comparativement à 38,9 % pour le transport en commun et 8,2 % pour les modes de transport actif comme la marche ou le vélo. 

Enfin, l’utilisation d’un mode actif de déplacement ne prémunit pas contre la détérioration de la santé mentale. Cet aspect de la recherche a suscité un vif intérêt, car on pense souvent que le transport actif et le transport en commun s’avèrent moins stressants que la conduite de l’auto. 

Comment alors inciter les individus à laisser de côté leur voiture pour des modes de transport plus durables comme le transport en commun, la marche ou le vélo? Selon Annie Barreck, les spécialistes gagneraient à unir leurs efforts afin de réfléchir à des actions concertées qui tiennent compte à la fois des impératifs de développement durable en transport et des enjeux de santé des individus. 

Les hommes sont plus nombreux que les femmes à prendre la voiture, soit 59,8 % contre 47,8 %. 

Avant et après la pandémie

Les données, pancanadiennes, proviennent de l’Étude longitudinale de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail, menée auprès de 1830 employés issus de 65 milieux de travail diversifiés. Elles ont été recueillies entre 2019 et 2020, soit avant la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire, avec la hausse du télétravail, a potentiellement réglé le problème, non? Pas du tout, explique Annie Barreck, puisqu’au Canada le nombre de personnes qui se déplacent pour se rendre au travail est plus élevé aujourd’hui, partiellement en raison de l’augmentation du nombre de travailleurs. Cela dit, à son avis, une enquête sur les déplacements après la pandémie reste pertinente. 

«Dans les faits, la pandémie a mis en lumière que les déplacements liés au travail constituent un enjeu crucial. Ils font partie du contexte de travail et ils altèrent l’équilibre mental des travailleurs», dit la chercheuse en souhaitant que cet aspect soit pris en compte dans les politiques publiques et les décisions d’entreprise. 

Elle conclut: «Le Québec se distingue en matière de santé mentale au travail, avec notamment la récente réforme majeure de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail intégrant les aspects psychosociaux du travail, ainsi que les engagements gouvernementaux en matière de développement durable lié au transport. Toutefois, l’influence des déplacements entre le domicile et le travail sur la santé mentale demeure l’angle mort de cet enjeu.» 

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