Communication d’urgence
11 h 36 | 31 août

Apprendre une langue étrangère… avant même d’être né!

En 5 secondes Une étude montre qu’une brève écoute prénatale d’une langue étrangère suffirait à la rendre familière à la naissance.
Faire entendre à un fœtus une langue étrangère quelques semaines durant la grossesse suffirait à moduler ses réseaux langagiers du cerveau.

Peut-on commencer à se familiariser avec une nouvelle langue… avant même d’être né? Une équipe de chercheuses en neuropsychologie vient de montrer que oui: faire entendre à un fœtus une langue étrangère quelques semaines durant la grossesse suffirait à moduler ses réseaux cérébraux du langage. Dès les premières heures de vie, le traitement de la langue étrangère à laquelle il a été soumis suivrait le même patron que le traitement de sa langue maternelle, alors qu’une langue avec laquelle le nouveau-né n’aurait jamais été en contact serait traitée différemment dans son cerveau. 

Cette étude a bénéficié d’une subvention du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Elle a fait l’objet d’un article scientifique dans la revue Communications Biology dont les auteures principales sont Andréanne René et Laura Caron-Desrochers, doctorantes en psychologie à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, dirigées par la professeure Anne Gallagher. 

 

Une histoire de «Martine»… en trois langues

Soixante femmes enceintes francophones, dont la grossesse se déroulait normalement, ont été recrutées pour participer à cette étude. On leur a fourni un lecteur MP3 contenant une courte histoire de la série Martine. À la 35e semaine de grossesse, elles ont fait écouter à leur bébé cette histoire en français et dans une langue étrangère: l’allemand ou l’hébreu. 

Pourquoi ces langues? «Nous cherchions des langues différentes du français sur les plans acoustique et phonologique qui pourraient être parlées par la même personne afin d’éviter un biais lié à la voix, précise Andréanne René. Nous avons eu la chance de trouver une locutrice trilingue.» 

Les futures mères ont placé des écouteurs sur leur ventre, dans un environnement calme, sans musique, et ont répété l’expérience en moyenne 25 fois pendant les dernières semaines de leur grossesse. 

Observer le cerveau à la naissance

Une fois les bébés nés, entre les 10 et 78 premières heures de vie, les chercheuses sont venues leur faire entendre la même histoire, cette fois dans trois versions: en français, dans la langue étrangère entendue in utéro et dans une autre langue étrangère jamais entendue. 

Pour mesurer les réactions cérébrales, elles ont utilisé la spectroscopie proche infrarouge fonctionnelle, une technique non invasive qui permet d’enregistrer l’oxygénation sanguine dans le cortex cérébral. «C’est un peu comme un bonnet de bain garni de sources lumineuses qu’on place sur la tête du nourrisson, décrit Andréanne René. La lumière proche du spectre de l’infrarouge traverse les tissus pour se rendre au cortex et les détecteurs captent les variations liées au niveau d’oxygénation sanguine.» 

«Nous savons que, lorsqu’une région du cerveau est activée, il y a une augmentation de l'oxygénation sanguine, puisque le cerveau a besoin d'énergie, accompagnée d’une diminution de l'hémoglobine désoxygénée. Nous sommes capables de mesurer ces variations dans les régions du cerveau responsables du langage. Nous souhaitions savoir s’il est possible de changer les réseaux cérébraux du langage en modifiant l’environnement linguistique de la mère pendant la grossesse en comparant chez des nouveau-nés les mécanismes d’activation du cerveau lors de l'écoute de leur langue maternelle, d’une langue étrangère entendue durant la gestation et d’une langue étrangère non entendue pendant la période prénatale», ajoute Anne Gallagher. 

Des réseaux cérébraux déjà spécialisés

Lorsque les bébés entendent le français, leur cortex temporal gauche s’active de même que d’autres régions du langage, principalement dans l’hémisphère gauche: un schéma identique à celui observé chez l’adulte. Un patron d’activation comparable apparaît pour la langue étrangère entendue pendant la grossesse. 

En revanche, la langue étrangère totalement inconnue déclenche beaucoup moins d’activité cérébrale, sans latéralisation marquée. Autrement dit, les bébés de quelques heures traitent déjà différemment une langue familière et une langue étrangère inconnue. 

«Nous ne savions pas si une écoute si brève aurait un effet mesurable, admet Anne Gallagher. Mais nous voyons clairement que même quelques minutes d’écoute par jour pendant quelques semaines suffisent à moduler l’organisation des réseaux cérébraux.» 

Ces résultats confirment la plasticité exceptionnelle du cerveau humain avant même la naissance. «Cela montre à quel point les réseaux langagiers sont malléables, dit Anne Gallagher. Mais cela rappelle aussi leur fragilité: si un environnement positif peut avoir une influence, on peut supposer qu’un environnement négatif en aurait aussi.» 

Pour l’instant, il est trop tôt pour dire si ces traces prénatales ont un effet durable. «Nous suivons les enfants au fil du temps, indique Andréanne René. Peut-être que, quand ils auront quatre mois, huit mois, l’effet aura disparu ou au contraire qu’il persistera.» 

Et demain?

Cette recherche ouvre des pistes passionnantes, tant pour la compréhension générale du développement du langage que pour d’éventuelles interventions précoces. «On n’en est pas encore là, prévient Anne Gallagher, mais on peut imaginer qu’un jour, ce type d’approche serve aussi à mieux accompagner des enfants plus vulnérables ou atteints de troubles du développement.» 

En attendant, une chose est claire: avant même de prononcer leur premier mot, les bébés ont déjà commencé à se familiariser avec le langage, bien au chaud dans l’utérus. 

Partager