Le camp de jour ThérAMI: quand la réalité virtuelle transforme la réadaptation d'enfants

En 5 secondes Au Centre de réadaptation Marie Enfant du CHU Sainte-Justine, un camp de thérapie intensif intègre des technologies interactives pour encourager la participation des enfants en situation de handicap.

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Pas de vacances pour la science! Article 33 / 40

Dans la Technothèque du Centre de réadaptation Marie Enfant du CHU Sainte-Justine (CRME/CHU), Thierno, 8 ans, tend sa main droite vers un écran coloré. Atteint d’hémiplégie du côté droit, il renforce sa préhension en jouant à un jeu vidéo actif, encouragé par les étudiantes en réadaptation à l’Université de Montréal Anne Li Laporte-Blackburn (ergothérapie) et Marilou Malo (physiothérapie). 

À quelques pas de là, Constance, du même âge, s’immerge dans une séance de réalité mixte, accompagnée par l’étudiante en ergothérapie Jenna Argue et l’assistante de recherche Audrey Ferron. 

Ces scènes se déroulent dans le cadre du camp de thérapie par apprentissage moteur intensif (le camp ThérAMI), une initiative collaborative clinique-recherche sous forme d’un camp de jour de deux semaines où dix enfants âgés de 6 à 12 ans, ayant tous une hémiplégie, ont pris part à un projet de recherche visant à documenter la faisabilité et l’efficacité de l’utilisation des technologies interactives en réadaptation pédiatrique.  

Au cœur de cette approche se trouve la Technothèque, un local au Technopôle en réadaptation pédiatrique du CRME/CHU Sainte-Justine équipé de systèmes de réalité virtuelle et de jeux vidéo actifs conçus pour la réadaptation et pour le grand public. Dirigée par Danielle Levac, professeure à l’École de réadaptation de l’Université de Montréal depuis 2021, cette installation unique au Canada vise à surmonter les obstacles à l’utilisation thérapeutique et récréative des technologies interactives pour l’ensemble de la clientèle pédiatrique en réadaptation.  

«La Technothèque teste l’hypothèse selon laquelle le recours aux jeux vidéo et à la réalité virtuelle accentue la motivation des enfants à participer dans les activités thérapeutiques parfois répétitives et exigeantes, en les transformant en jeux ludiques ayant un niveau de défi individualisé», explique Danielle Levac qui est aussi chercheuse régulière au CHU Sainte-Justine et directrice de la Technothèque.

Une approche intensive basée sur les données probantes

L’hémiplégie est une forme de paralysie cérébrale présente depuis la naissance qui affecte un côté du corps, causant des difficultés de mouvement et de sensation. Face à ces limitations, les enfants atteints développent des stratégies de compensation qui leur permettent d’accomplir leurs activités quotidiennes de manière autonome. 

«Ils délaissent progressivement leur membre supérieur hémiparétique, réduisant ainsi leur capacité à stimuler fonctionnellement le bras atteint et à développer leurs habiletés bimanuelles, précise Danielle Levac. Le but consiste donc à obtenir un dosage élevé de répétitions de mouvements ciblés à un niveau de défi approprié, ce qui aide l’enfant à atteindre ses objectifs individuels d’activités bimanuelles.»  

Les jeux sont ainsi utilisés pour cibler les mouvements ou habiletés spécifiques qui limitent la capacité des enfants à réaliser des activités bimanuelles, comme faire de la bicyclette, couper leur nourriture, attacher leurs lacets ou porter un cabaret à la cafétéria de l’école. 

L’intégration de ces technologies interactives dans le cadre du camp ThérAMI se traduit par 70 heures de thérapie intensive concentrées sur deux semaines, comparativement à une heure par semaine étalée sur plusieurs mois dans le cadre thérapeutique traditionnel.  

«Cela correspond aux données probantes selon lesquelles l’intensité permet d’atteindre des objectifs très ciblés, basé sur le “just right challenge”, précise Allison Grangé, doctorante en sciences de la réadaptation à l’UdeM. Cette approche consiste à proposer un défi suffisamment difficile, sans décourager l’enfant.» 

«Les enfants comprennent que ces technologies sont utilisées dans un contexte thérapeutique, mais s’engagent et se concentrent sur l’aspect ludique et compétitif, ce qui nous permet souvent de les stimuler davantage et plus longtemps, poursuit Danielle Levac. La réalité virtuelle et les jeux vidéo permettent d’obtenir une rétroaction immédiate tout en offrant plusieurs possibilités de personnaliser les défis pour accentuer l’intérêt et la variété.»  

Pour valider scientifiquement cette approche lors du camp ThérAMI, les enfants sont assignés de façon aléatoire dans deux groupes: le groupe traitement, qui bénéficie des jeux vidéo et de la réalité virtuelle dans la Technothèque à raison de deux heures par jour pour ensuite rejoindre leurs pairs pour le reste de la journée de camp, et le groupe témoin qui participe uniquement aux activités régulières du camp. Diverses mesures fonctionnelles sont réalisées avant, après et six mois après le camp pour évaluer l’effet réel de cette thérapie intensive.

Un environnement thérapeutique complet

Au-delà de la Technothèque, le camp ThérAMI propose un programme diversifié de réadaptation sous forme de jeux ciblant les activités fonctionnelles impliquant des activités bimanuelles: piscine, yoga, préparation de repas, parcours à vélo adaptés en intérieur et en extérieur. Bien que ce camp se veuille thérapeutique, il vise aussi à offrir aux jeunes des moments agréables de plaisir à travers des activités variées en groupe. 

Une étudiante bénévole en physiothérapie ou en ergothérapie de l’UdeM accompagne chaque enfant. Elle est soutenue par une équipe de physiothérapeutes, ergothérapeutes et éducatrices spécialisées au CRME. Les enfants reçoivent ainsi une attention individualisée durant les activités qui leur sont adaptées pour augmenter le défi au fur et à mesure qu’ils développent leurs habiletés.  

«Ce qui est unique à cette offre de service et nous semble déjà bénéfique, c’est qu’en prenant part au camp ThérAMI, les participantes et participants côtoient d’autres enfants qui font face à des défis semblables aux leurs, observe Danielle Levac. Cette socialisation, plus riche que celle vécue à l’école, se manifeste notamment par l’entraide entre les plus grands et les plus petits. Nous constatons que les enfants transposent leurs nouvelles habiletés dans leur environnement familial et qu’ils montrent avec fierté à leurs parents comment ils peuvent se débrouiller de façon autonome.»

Un laboratoire vivant au service de la réadaptation

L’ambition de l’équipe dépasse les murs de la Technothèque. Par l’entremise de son site Web, l’équipe souhaite partager les connaissances acquises au cours des projets de recherche, notamment avec des centres de recherche français en Bretagne pour établir, au bénéfice du milieu de la réadaptation pédiatrique, les meilleures pratiques en matière d’usage de jeux vidéo et de réalité virtuelle dans la pratique clinique. 

«Les technologies interactives ont beaucoup de potentiel en réadaptation, mais nous devons nous assurer qu’elles soient utilisées de façon efficace et durable, et que les thérapeutes et les familles aient accès aux ressources requises pour prendre des décisions éclairées sur les jeux à employer, conclut Danielle Levac. Notre objectif est que la Technothèque fournisse les équipements et le soutien nécessaires pour réaliser le plein potentiel de ces technologies de s’intégrer à une approche de réadaptation holistique afin de soutenir les capacités fonctionnelles des enfants dans leurs activités de la vie quotidienne.»

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