Soutenir les femmes en informatique: le pari de Samy Bengio et Elaine McMurray

Par UdeMNouvelles
En 5 secondes Devant la sous-représentation des femmes en informatique, Samy Bengio et Elaine McMurray font un don de 200 000 $ pour soutenir les étudiantes dans ce domaine.
Daniel Jutras, Elaine McMurray et Samy Bengio

«En 1983, quand nous nous sommes rencontrés sur les bancs de l’Université de Montréal, il y avait près de 40 % de femmes dans le département d’informatique. Aujourd’hui? Elles ne sont plus que 20 %…», déclarent Elaine McMurray et Samy Bengio. Un recul qui les attriste profondément, mais qui les pousse à agir.

Installé en Californie, le couple de diplômés vient de faire un don de 200 000 $ à son alma mater pour appuyer les femmes en informatique. Le don, destiné au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO) de l’UdeM, servira à financer des bourses pour les étudiantes de premier cycle et à encourager leur participation à des conférences avec l’objectif de renforcer leur sentiment d'appartenance et leur légitimité dans un domaine trop masculin. 

«Nous sommes issus de milieux modestes, explique Elaine McMurray, donc nous dépendions beaucoup des prêts et des bourses dans notre jeunesse. À l’époque, le Québec considérait l’accès à l’éducation comme un investissement fondamental pour se développer. Et ça a marché! Nous avons réussi! Il nous semble donc normal de redonner. Les bourses qu’on offrira ne seront pas énormes, mais elles peuvent contribuer au succès des parcours d’études!»

 

D’un projet familial à un engagement durable

C’est leur fille, étudiante en informatique et mathématiques à l’Université McGill, qui leur a inspiré ce geste. «On nous a proposé de faire un don pour favoriser la féminisation de la discipline. Comme nous avions en tête de donner de façon égale aux deux universités – la sienne et la nôtre –, nous avons immédiatement contacté l’UdeM», racontent Elaine McMurray et Samy Bengio. 

Pour Samy Bengio, aujourd’hui directeur de la recherche en intelligence artificielle chez Apple, ce don s’inscrit dans la continuité d’un long engagement en faveur de la diversité. Figure reconnue du domaine de l’apprentissage profond – tout comme son frère, Yoshua Bengio –, il a toujours cherché à bâtir des équipes paritaires. «Mais les stéréotypes de genre demeurent des adversaires redoutables», reconnaît-il.

Sa conjointe, ancienne spécialiste en traduction de logiciels, y voit aussi une conséquence culturelle. «Dans les années 1980, la programmation s’est popularisée grâce au jeu vidéo, un univers alors très masculin et souvent toxique. Beaucoup de filles ont été exclues de cet écosystème et la tendance s’est renforcée avec le temps», dit-elle. 

Cette exclusion a culminé avec le Gamergate, en 2014, une vague de harcèlement en ligne contre des développeuses de jeux vidéos.

 

Une histoire d’argent et d’image

Samy Bengio pointe lui un autre suspect: l’argent. Pendant longtemps, rappelle-t-il, l’informatique n'a pas été considérée comme une profession d’avenir ni comme un champ d’expertise valorisant, et le milieu était alors assez féminisé. On le sait peu, mais le terme computer («ordinateur») vient du métier que les femmes étaient nombreuses à exercer dans la première moitié du 20e siècle et qui consistait à effectuer des calculs complexes (to compute en anglais). 

Mais à mesure que la programmation a gagné en popularité, les hommes ont progressivement pris le dessus. «Le basculement s’est produit au milieu des années 1980, quand l’industrie technologique a commencé à promettre des carrières très rémunératrices», souligne-t-il.

Enfin, il y a l’image, la communication, la publicité, tout ce qui a contribué à forger notre imaginaire, ajoute Sylvie Hamel, directrice du DIRO, elle aussi très engagée dans cette cause. «Lorsque mon père nous a acheté un ordinateur dans les années 1980, il nous a dit à ma sœur, mon frère et moi: “C’est pour vous trois!” Mais il l’a installé dans la chambre de mon frère. Il faut dire qu’à l’époque toutes les publicités pour l’informatique visaient surtout les garçons. C'est symptomatique: en 2025, l'image du programmeur est toujours celle d’un nerd à lunettes dans son garage!» illustre-t-elle. 

Promouvoir des modèles féminins

Cette représentation stéréotypée inquiète d’autant plus Samy Bengio et Elaine McMurray qu’elle est encore alimentée par certains discours publics. Quand on leur cite une récente déclaration de Mark Zuckerberg vantant une «culture d’entreprise plus combative», ils bondissent.

«Vous avez cité la phrase qui m’a le plus énervée ces dernières années», s’esclaffe Elaine McMurray. «Ce message m’a effaré, relance Samy Bengio. Quand je l’ai entendu, j'ai eu une pensée pour notre Québécoise Joëlle Pineau, qui dirigeait alors le laboratoire d'intelligence artificielle de Meta…»

Pour eux, la présence de modèles féminins comme Joëlle Pineau est essentielle à l’évolution du milieu. «Si les technologies d’apprentissage profond sont conçues seulement par des hommes blancs, elles finiront par les favoriser, insiste-t-il. On l’a déjà vu avec des logiciels biaisés. Le risque est de reproduire ces erreurs à plus grande échelle et ça aura un effet dommageable sur la société!»

 

Il IA de l’espoir

Heureusement, un vent d’optimisme souffle du côté de l’intelligence artificielle (IA). Selon Sylvie Hamel, les étudiantes du DIRO se montrent particulièrement attirées par ce domaine. «Elles veulent avoir une influence concrète, changer le monde. L’IA, utilisée de manière responsable, s’applique à des questions qui leur parlent: le climat, la santé, la biologie, les sciences sociales», indique-t-elle.

Cette volonté d’action expliquerait pourquoi les femmes sont encore peu nombreuses au doctorat: elles souhaitent passer rapidement à l’application des connaissances.

Pour Samy Bengio et Elaine McMurray, il faut s’attaquer à ce problème dans toutes ses dimensions, à l’université bien sûr, mais pas seulement. «Il faut donner, mentorer, encourager, distribuer des bourses, agir sur tous les fronts, dit Elaine McMurray. C’est un problème de société, pas seulement universitaire.»

Et peut-être qu’un jour, grâce à la mobilisation de la communauté universitaire et à des dons comme le leur, les femmes écriront l’avenir du numérique à parts égales, guidées par un désapprentissage profond des réflexes qui freinent encore l’égalité.

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