«En 1983, quand nous nous sommes rencontrés sur les bancs de l’Université de Montréal, il y avait près de 40 % de femmes dans le département d’informatique. Aujourd’hui? Elles ne sont plus que 20 %…», déclarent Elaine McMurray et Samy Bengio. Un recul qui les attriste profondément, mais qui les pousse à agir.
Installé en Californie, le couple de diplômés vient de faire un don de 200 000 $ à son alma mater pour appuyer les femmes en informatique. Le don, destiné au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO) de l’UdeM, servira à financer des bourses pour les étudiantes de premier cycle et à encourager leur participation à des conférences avec l’objectif de renforcer leur sentiment d'appartenance et leur légitimité dans un domaine trop masculin.
«Nous sommes issus de milieux modestes, explique Elaine McMurray, donc nous dépendions beaucoup des prêts et des bourses dans notre jeunesse. À l’époque, le Québec considérait l’accès à l’éducation comme un investissement fondamental pour se développer. Et ça a marché! Nous avons réussi! Il nous semble donc normal de redonner. Les bourses qu’on offrira ne seront pas énormes, mais elles peuvent contribuer au succès des parcours d’études!»
D’un projet familial à un engagement durable
C’est leur fille, étudiante en informatique et mathématiques à l’Université McGill, qui leur a inspiré ce geste. «On nous a proposé de faire un don pour favoriser la féminisation de la discipline. Comme nous avions en tête de donner de façon égale aux deux universités – la sienne et la nôtre –, nous avons immédiatement contacté l’UdeM», racontent Elaine McMurray et Samy Bengio.
Pour Samy Bengio, aujourd’hui directeur de la recherche en intelligence artificielle chez Apple, ce don s’inscrit dans la continuité d’un long engagement en faveur de la diversité. Figure reconnue du domaine de l’apprentissage profond – tout comme son frère, Yoshua Bengio –, il a toujours cherché à bâtir des équipes paritaires. «Mais les stéréotypes de genre demeurent des adversaires redoutables», reconnaît-il.
Sa conjointe, ancienne spécialiste en traduction de logiciels, y voit aussi une conséquence culturelle. «Dans les années 1980, la programmation s’est popularisée grâce au jeu vidéo, un univers alors très masculin et souvent toxique. Beaucoup de filles ont été exclues de cet écosystème et la tendance s’est renforcée avec le temps», dit-elle.
Cette exclusion a culminé avec le Gamergate, en 2014, une vague de harcèlement en ligne contre des développeuses de jeux vidéos.
Une histoire d’argent et d’image
Samy Bengio pointe lui un autre suspect: l’argent. Pendant longtemps, rappelle-t-il, l’informatique n'a pas été considérée comme une profession d’avenir ni comme un champ d’expertise valorisant, et le milieu était alors assez féminisé. On le sait peu, mais le terme computer («ordinateur») vient du métier que les femmes étaient nombreuses à exercer dans la première moitié du 20e siècle et qui consistait à effectuer des calculs complexes (to compute en anglais).
Mais à mesure que la programmation a gagné en popularité, les hommes ont progressivement pris le dessus. «Le basculement s’est produit au milieu des années 1980, quand l’industrie technologique a commencé à promettre des carrières très rémunératrices», souligne-t-il.
Enfin, il y a l’image, la communication, la publicité, tout ce qui a contribué à forger notre imaginaire, ajoute Sylvie Hamel, directrice du DIRO, elle aussi très engagée dans cette cause. «Lorsque mon père nous a acheté un ordinateur dans les années 1980, il nous a dit à ma sœur, mon frère et moi: “C’est pour vous trois!” Mais il l’a installé dans la chambre de mon frère. Il faut dire qu’à l’époque toutes les publicités pour l’informatique visaient surtout les garçons. C'est symptomatique: en 2025, l'image du programmeur est toujours celle d’un nerd à lunettes dans son garage!» illustre-t-elle.