Près d'un jeune sur deux est touché par l'insécurité alimentaire au Québec

En 5 secondes Une étude dévoile l'ampleur de l’insécurité alimentaire chez les jeunes adultes au Québec, une réalité qui mine la santé physique et psychologique de près de la moitié d’une génération.

L'insécurité alimentaire a connu une hausse marquée chez les jeunes adultes du Québec. Selon un rapport réalisé par des chercheuses de l'Université de Montréal, elle touchait en 2017 18 % des jeunes nés au Québec au tournant des années 2000, alors qu’en 2023 ils étaient 28 % à avoir vécu une telle situation au cours de l’année précédente. Mais ces résultats ne racontent qu'une partie de l'histoire: entre 19 et 25 ans, 45 % de ces jeunes avaient vécu au moins un épisode d'insécurité alimentaire – une période cruciale pour bâtir les fondations de leur vie adulte.

Ce rapport, dont les auteures principales sont Véronique Dupéré, de l'École de psychoéducation, Rosanne Blanchet, du Département de médecine sociale et préventive, Clémentine Courdi, conseillère à la recherche, et Geneviève Mercille, du Département de nutrition, s'appuie sur les données de l'Étude longitudinale du développement des enfants du Québec, 1re édition (ELDEQ 1), une cohorte de jeunes suivis par l'Institut de la statistique du Québec depuis leur naissance il y a 25 ans.

C’est ce qui a permis aux chercheuses de brosser un tableau des parcours d’insécurité alimentaire chez les jeunes, au-delà des campus collégiaux et universitaires.

Un phénomène en forte croissance

Dans l’ELDEQ 1, l'insécurité alimentaire est définie comme l'expérience d'avoir craint de manquer de nourriture, de ne pas en avoir eu suffisamment ou de ne pas avoir mangé des aliments de la qualité désirée en raison d'un manque d'argent.

Entre 2017 et 2023, soit à 19, 21, 23 et 25 ans, environ 1300 jeunes ont été interrogés à quatre reprises sur leur situation alimentaire au cours des 12 mois précédents. À 19 ans, 18 % des jeunes avaient été confrontés à l'insécurité alimentaire. À 25 ans, cette proportion avait grimpé à 28 %. En considérant tous ceux et celles ayant vécu au moins un épisode d’insécurité alimentaire entre 19 et 25 ans, ce taux atteint 45 %.

Ces tendances s'inscrivent dans un contexte de forte hausse des coûts liés à l’alimentation et au logement à partir de 2021.

Les résultats indiquent aussi que l'insécurité alimentaire est une situation qui évolue dans le temps. «Les jeunes qui vivent une expérience d’insécurité alimentaire sont susceptibles d’en connaître d’autres, insiste Véronique Dupéré. Cependant, personne n’est à l’abri, et un jeune peut en souffrir pour la première fois à tout moment dans sa transition vers la vie adulte.»

Un cycle intergénérationnel inquiétant

«La force de notre étude réside dans son caractère longitudinal, souligne Véronique Dupéré. Comme ces jeunes ont été suivis depuis leur naissance, nous avons pu examiner non seulement l'évolution de l'insécurité alimentaire pendant la transition vers l'âge adulte, mais aussi ses racines dans l'enfance et ses répercussions plus tard.»

Les résultats montrent que l’insécurité alimentaire s’enracine dès l’enfance et se prolonge à l’âge adulte, contribuant à la reproduction des inégalités sociales. Les jeunes ayant vécu cette situation dans leur famille durant l’enfance étaient beaucoup plus susceptibles d’en refaire l’expérience au moment de leur transition vers la vie adulte. Parmi eux, deux jeunes sur trois y sont confrontés de nouveau pendant les premières années de la vie adulte.

«Si votre famille était pauvre et n'avait pas les capacités de vous aider à aller à l'école, vous avez plus de risques de faire face à l'insécurité alimentaire à l'âge adulte, illustre Geneviève Mercille. Si vos parents n'ont pas d'argent, vous n’avez pas le même soutien.»

Toutefois, pour une majorité des jeunes exposés à l'insécurité alimentaire au début de l'âge adulte, il s'agit d'une nouvelle réalité, ce qui reflète la hausse généralisée du phénomène au Québec et l’accroissement de la vulnérabilité particulière à cette période de la vie.

Les parcours atypiques, particulièrement à risque

Certains groupes de jeunes sont touchés de manière disproportionnée par l’insécurité alimentaire. Les jeunes qui suivent des parcours éducatifs ou d'insertion professionnelle atypiques – c'est-à-dire qui s’écartent de la progression standard – présentent des taux d'insécurité alimentaire nettement plus élevés. 

À 19 ans, 35 % des jeunes qui n’étaient pas aux études vivaient de l'insécurité alimentaire, contre 13 % chez ceux et celles qui fréquentaient le cégep. Les jeunes en formation professionnelle ou en formation générale des adultes affichaient des taux élevés à tous les âges, le phénomène atteignant 46 % des jeunes de 25 ans. Parmi celles et ceux qui étudiaient toujours au cégep à 25 ans – un âge où la fréquentation collégiale est devenue rare –, 52 % avaient vécu un épisode d’insécurité alimentaire.

«L’insécurité alimentaire vient alourdir des parcours éducatifs déjà complexes et non linéaires», fait remarquer Véronique Dupéré.

Chez les jeunes qui ne sont plus aux études, l’insécurité alimentaire touche particulièrement ceux et celles dont la situation en emploi est précaire. À 25 ans, la moitié des jeunes qui travaillaient moins de 20 heures par semaine étaient confrontés à cette difficulté. «Avec la montée du chômage chez les jeunes à laquelle on assiste actuellement, les situations d’insécurité alimentaire liées à la précarité d’emploi sont probablement en hausse», précise Véronique Dupéré.

La situation résidentielle, un facteur déterminant

Le contexte de vie joue un rôle crucial. Les jeunes qui n'habitent plus chez leurs parents, surtout s’ils vivent seuls, sont nettement plus touchés par l'insécurité alimentaire que ceux et celles qui logent au domicile familial.

L'endettement constitue un autre facteur de risque majeur. Les jeunes qui ont contracté des dettes, particulièrement pour couvrir des besoins de base comme le logement et la nourriture, présentaient des taux d'insécurité alimentaire pouvant atteindre 60 %.

«L'insécurité alimentaire n’est que la pointe de l'iceberg des besoins de base non comblés: se loger accapare une énorme partie du budget, ajoute Geneviève Mercille. Être étudiant et manger du Kraft Dinner n'est pas quelque chose de romantique: la situation financière des jeunes est plus que jamais fragilisée en raison d’un cumul de facteurs macroéconomiques.»

Des conséquences qui vont bien au-delà de la faim

Sans surprise, l'insécurité alimentaire s'accompagne de difficultés dans plusieurs sphères de la vie. Même après avoir pris en compte des conditions familiales et psychosociales vécues avant l’âge adulte, elle reste liée à une perception négative de sa situation socioéconomique, à une moins bonne santé physique et mentale, à un soutien social plus faible et à une satisfaction réduite quant à la vie menée.

«Peu importe leur parcours – universitaire, en formation professionnelle ou pas du tout aux études –, les répercussions sont les mêmes. Autrement dit, l’insécurité alimentaire, ce n’est jamais bénin», signale Véronique Dupéré.

Devant ce constat, les chercheuses proposent des pistes de solution. Les approches les plus efficaces, selon les écrits scientifiques, combinent des mesures structurelles – comme la bonification des prêts et bourses ou l'instauration d'un revenu minimum – avec des solutions d'urgence rapidement accessibles et non stigmatisantes.

Parmi les mesures prometteuses, des interventions consistant à offrir des repas gratuits sur les campus, accessibles par la carte étudiante, ou des coupons pour des aliments frais ont des effets positifs sur la santé, le bien-être et la réussite scolaire. Mais leur mise en œuvre dépend d’un engagement politique réel.

Les solutions ne peuvent cependant se limiter aux populations étudiantes des cégeps et des universités, avertissent les chercheuses. Il importe qu’elles s’adressent à tous les jeunes confrontés à l’insécurité alimentaire, incluant ceux et celles en formation professionnelle, en formation générale des adultes ou qui ne sont plus aux études et peinent à intégrer le marché de l’emploi – des groupes peu visibles dans l’espace public.

«Ce que nos résultats révèlent, c'est que, même si l’on vante notre accès à l'éducation postsecondaire comparativement au reste du Canada, si les besoins de base ne sont pas comblés, il faut revisiter certains programmes, car nous assistons actuellement à une tempête parfaite, avec la hausse du coût de la vie et la rareté des logements», conclut Geneviève Mercille.

Intitulé Transitions vers la vie adulte et insécurité alimentaire : une analyse longitudinale des jeunes adultes nés au Québec, ce rapport a été rendu possible grâce au soutien du Centre de recherche interdisciplinaire sur la justice intersectionnelle, la décolonisation et l'équité, du Centre de recherche en santé publique, de Myriagone – Chaire McConnell-Université de Montréal en partenariat jeunesse, de la Chaire de recherche du Canada sur la transition à l'âge adulte et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

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