Comment préserver les yeux et la vision des astronautes qui iront sur Mars?

En 5 secondes Deux chercheurs de l’UdeM pilotent une étude pour protéger la vision des astronautes qui effectueront de longues missions dans l’espace. L’expérience est financée par l'Agence spatiale canadienne.
En microgravité, les fluides corporels se redistribuent dans le corps. Sur Terre, la pression sanguine est élevée dans les pieds et basse dans la tête. Dans l'espace, cette pression s'équilibre, créant une accumulation de liquide dans la tête qui exerce une pression sur les structures oculaires.

Imaginez que votre vision devienne floue au fil des mois, que vos yeux s'aplatissent progressivement et que des plis apparaissent sur votre rétine. C'est la réalité vécue par près de 75 % des astronautes au cours de missions de longue durée à bord de la Station spatiale internationale. Le syndrome neuro-oculaire associé aux vols spatiaux (SANS), découvert il y a une quinzaine d'années, constitue l'un des défis de santé majeurs pour l'avenir de l'exploration spatiale habitée. 

«Le fonctionnement de l'œil peut être comparé à celui d'une caméra connectée au cerveau, explique le professeur Santiago Costantino, du Département d'ophtalmologie de l'Université de Montréal. Le SANS provoque trois problèmes préoccupants: un œdème du nerf optique, analogue à une surchauffe des câbles reliant l'œil au cerveau; un aplatissement du globe oculaire, comme une mise au point défaillante de la caméra; et des rides dans la rétine, comparable à un écran endommagé.» 

La cause? En microgravité, les fluides corporels se redistribuent dans le corps. Sur Terre, la pression sanguine est élevée dans les pieds et basse dans la tête. Dans l'espace, cette pression s'équilibre, créant une accumulation de liquide dans la tête qui exerce une pression sur les structures oculaires. Au retour sur Terre, si 80 % des astronautes touchés par le syndrome retrouvent une vision normale, les changements anatomiques de leurs yeux ne se résorbent pas complètement – un élément crucial pour comprendre les effets des missions répétées. 

Un projet mené à bord de la Station spatiale internationale 

Le projet scientifique que mènent Santiago Costantino, Mark Lesk et leur équipe constitue la deuxième phase de l’étude SANSORI, dont les résultats publiés dans le Journal of Engineering in Medicine and Biology et dans la revue Investigative Ophthalmology & Visual Science ont révélé des changements importants dans la biomécanique oculaire. Cette étude est financée par l’Agence spatiale canadienne (ASC).  

Analysant les données de 13 astronautes ayant séjourné de 157 à 186 jours à bord de la Station spatiale internationale, l'équipe du professeur Costantino avait enregistré une diminution de 33 % de la rigidité oculaire, une baisse de 11 % de la pression intraoculaire et une réduction de 25 % de l'amplitude du pouls oculaire. «L'œil se fragilise dans l'espace, de manière analogue aux os et aux muscles», résume le chercheur. 

Joshua Kutryk, astronaute de l’ASC, sera le prochain Canadien à se rendre dans la Station spatiale internationale pour une mission de longue durée. Il sera l’un des sujets de quatre nouvelles expériences scientifiques sur la santé humaine, dont celle de l’équipe de Santiago Costantino, SANSORI-2.

SANSORI-2: prédire le risque des astronautes

En tant que physicien, le professeur Costantino aborde le problème sous l'angle des propriétés mécaniques de l'œil: «Il s'agit de déterminer si l'œil ressemble plus à un ballon de soccer rigide ou à un ballon gonflable souple et quelle structure est préférable pour les voyages spatiaux», illustre-t-il. 

L’étude SANSORI-2 comporte plusieurs nouveautés par rapport à la première phase. D'abord, elle élargit son échantillon à 18 astronautes, permettant d'obtenir un ensemble de données plus robuste. Ensuite, elle permettra d’examiner comment les vaisseaux sanguins de l'œil se contractent lors de retenues du souffle ou d'efforts pour établir si ce facteur contribue au SANS. Surtout, elle se concentre sur les changements à long terme des propriétés mécaniques de l'œil, particulièrement chez les astronautes ayant déjà souffert du syndrome. 

«Les changements observés dans les propriétés mécaniques de l'œil pourraient servir de biomarqueurs pour prédire le développement du syndrome et pourraient éventuellement aider à désigner les astronautes à risque avant qu'ils souffrent de problèmes oculaires sérieux au cours de missions prolongées», précise le professeur Costantino, qui est aussi chef de l’axe Santé de la vision et directeur de l'unité de recherche en biophotonique de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont 

Les chercheurs collectent des données avant, pendant et après les vols spatiaux en utilisant des rétinographes mesurant les déformations causées par le flux sanguin, des mesures de la pression intraoculaire dans le temps et des analyses des changements anatomiques du globe oculaire. Le partage de données avec les agences spatiales internationales permet d'accéder à l'historique médical complet des astronautes.

Un enjeu crucial pour Mars et la Lune

Pour les séjours de six mois à un an à bord de la Station spatiale internationale, les modifications causées par le syndrome neuro-oculaire associé aux vols spatiaux ne sont généralement pas inquiétantes. Le port de lunettes adaptées suffit à traiter les symptômes dans la plupart des cas. Mais qu'en sera-t-il pour une mission vers Mars, qui pourrait durer trois ans? Ou pour des séjours prolongés sur la Lune? 

«Cette recherche est cruciale pour la vision des astronautes, particulièrement pour des missions longues comme un voyage vers Mars, où maintenir une vision optimale est essentiel à la sécurité et au succès de la mission», souligne le professeur Costantino. Actuellement, aucune mesure préventive ou palliative n'existe pour contrer ces effets. 

Santiago Costantino collabore avec son collègue Mark Lesk, également professeur au Département d’ophtalmologie de l’UdeM, dans ces travaux menés par l'unité de recherche en biophotonique de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Le projet, qui a débuté en septembre, se poursuivra jusqu'en 2031.

Trois autres expériences canadiennes se dérouleront à bord de la Station spatiale internationale d’ici 2030: C-STARS (Université de la vallée du Fraser) sur le bien-être mental, Home-Base (Université York) sur le sens de l’orientation en microgravité et SPA2 (Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa) sur l'anémie chez les astronautes.

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