Les incitatifs financiers pour retenir les travailleurs âgés: des résultats modestes

En 5 secondes Les gouvernements ont multiplié les mesures pour encourager les Québécois de 60 ans et plus à rester en emploi. Or, ces incitatifs financiers n’ont pas entraîné les effets escomptés, selon une étude.
La majorité des personnes en âge de la retraite souhaitent prolonger leur carrière, mais à temps partiel et avec plus de flexibilité. Le cumul salaire-prestation de retraite facilite d'ailleurs cette transition.

Depuis une quinzaine d'années, le Québec et le Canada ont radicalement changé leur fusil d'épaule à l’endroit des travailleurs âgés. Alors que dans les années 1980 les politiques publiques encourageaient les départs hâtifs à la retraite pour libérer des emplois dans un contexte de chômage élevé, le vieillissement démographique et les craintes de pénuries de main-d'œuvre ont complètement inversé la tendance. Aujourd'hui, on multiplie les mesures pour convaincre les aînés – pardon, les «travailleurs d'expérience» – de prolonger leur vie active. 

Mais ces efforts portent-ils vraiment leurs fruits? C'est la question à laquelle s'est attaqué Pierre Tircher, professeur adjoint à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal, dans une vaste étude analysant quatre types d'incitatifs financiers mis en place depuis 2008. 

 

Une batterie de mesures incitatives 

En parcourant les budgets et les réformes des dernières années, le chercheur a recensé quatre grandes catégories d'incitatifs. D'abord, l'autorisation de cumuler revenus d'emploi et prestations de retraite, instaurée progressivement à partir de 2008 dans les régimes complémentaires, le programme de la Sécurité de la vieillesse et le Régime de rentes du Québec. Ensuite, le crédit d'impôt pour prolongation de carrière, lancé en 2012, qui visait à éliminer l'impôt sur une partie du revenu de travail des 60 ans et plus (depuis l’année d’imposition 2025, seules les personnes âgées de 65 ans et plus au 31 décembre y sont admissibles). 

S'ajoutent à cela un mécanisme de bonus-malus permettant de bonifier sa pension en reportant le début des versements et un crédit d'impôt destiné aux entreprises pour réduire leurs cotisations patronales lorsqu'elles emploient des travailleurs de 60 ans et plus (cette dernière mesure a toutefois été abolie en 2024). 

Pris isolément, ces changements peuvent sembler anodins. Mais leur accumulation révèle une reconfiguration majeure de la logique incitative du système de retraite, orienté désormais vers le maintien prolongé des personnes âgées en emploi. 

Des effets positifs, mais modestes

Pour évaluer l'efficacité réelle de ces mesures, Pierre Tircher a analysé les données de l'Enquête sur la population active de Statistique Canada de 2000 à 2023, correspondant à quelque 600 000 observations, représentatives de l’ensemble de la population. En comparant l'évolution au Québec avec celle en Ontario, où n'ont pas été mises en place toutes ces mesures, il a pu isoler les effets précis de plusieurs d’entre elles. 

Le verdict? «En général, ces programmes ont peu d'effet: chaque programme créé a engendré moins d'un point de pourcentage d’accroissement du taux d'activité chez les gens âgés», confie le professeur. Combinées, toutes ces mesures auraient contribué à une hausse de 5,3 points de pourcentage du taux d'activité des 60 ans et plus entre 2000 et 2023. À titre de comparaison, le taux d'activité de ce groupe d'âge au Québec est passé de 10,4 à 24,7 % durant cette période – une augmentation de 14,3 points. 

La mesure la plus efficace s'avère être la possibilité de cumuler revenus d'emploi et prestations de retraite, avec une hausse de 2,5 points de pourcentage. À l'opposé, le mécanisme de bonus-malus n'a entraîné qu'une augmentation de 0,5 point. 

 

Travailler plus longtemps, mais pas nécessairement plus intensément 

L'étude révèle un paradoxe intéressant: si ces mesures encouragent davantage de personnes âgées à rester sur le marché du travail, elles n'augmentent pas nécessairement – et parfois même réduisent – le nombre d'heures travaillées. «Ça encourage plutôt les gens à travailler à temps partiel, dans des emplois de transition qui permettent un passage plus en douceur vers la retraite», explique Pierre Tircher. 

Cette tendance correspond effectivement aux aspirations des travailleurs âgés. Des sondages montrent que la majorité d’entre eux souhaitent prolonger leur carrière, mais à temps partiel et avec plus de flexibilité. Le cumul salaire-prestations de retraite facilite justement cette transition: en combinant une pension avec un revenu d'emploi réduit, les travailleurs peuvent maintenir leur niveau de vie tout en diminuant leur rythme de travail. 

 

Le maillon faible: les conditions de travail 

C'est sur le plan des conditions de travail que le bât blesse, selon le chercheur. «Le gouvernement souhaite favoriser le maintien en emploi, mais peu de choses sont mises en place par celui-ci pour améliorer les conditions de travail, l’immense majorité des mesures concernant les travailleurs, pas les entreprises. Or, si l'on veut garder les gens âgés plus longtemps sur le marché du travail, il faudrait également s'intéresser aux conditions du travail», dit-il. 

Les consultations menées par Emploi et Développement social Canada révèlent que deux tiers des travailleurs âgés seraient prêts à travailler plus longtemps si des accommodements étaient offerts: horaires flexibles, télétravail, postes de travail ergonomiques, modification des tâches. Pourtant, au Canada, contrairement à certains pays européens, les initiatives gouvernementales se limitent essentiellement à des guides pour les entreprises, laissant la responsabilité de l'adaptation aux individus et aux employeurs. 

«La majorité des politiques publiques se préoccupent assez peu des conditions dans lesquelles les gens sont accueillis», déplore Pierre Tircher. Certains employeurs perçoivent les accommodements comme un fardeau administratif, alors que plusieurs études montrent que les avantages – réduction du roulement de personnel, satisfaction accrue – pourraient l'emporter sur les inconvénients. 

 

Des effets inégaux selon les profils 

Le professeur soulève aussi une préoccupation d'équité. Certaines mesures, comme le bonus-malus, privilégient davantage les personnes à revenus élevés, qui peuvent se permettre de reporter leur pension, notamment en puisant dans leur épargne privée. Pour les travailleurs précaires, avec une espérance de vie plus courte et peu d'économies, reporter ses prestations de retraite n'est pas nécessairement envisageable, voire rationnel. 

«Les aînés ne forment pas un bloc uniforme. Mettre de la pression pour travailler plus longtemps peut être dommageable pour certains», prévient-il. Cette question des effets différenciés orientera ses prochaines recherches. 

 

Et maintenant? 

Avec la hausse récente du chômage, le contexte économique pourrait basculer à nouveau. Les crédits d'impôt, facilement ajustables, pourraient être modifiés, tandis que les changements aux régimes de retraite devraient perdurer. 

Pour Pierre Tircher, l'avenir passe par une intervention plus ciblée sur les entreprises afin d'encourager l'adaptation des milieux de travail. Une approche nécessaire dans un contexte où plus de 50 % des Canadiens de 60 ans et plus déclarent travailler «par nécessité». 

Les incitatifs financiers ont leur rôle à jouer, mais sans amélioration des conditions de travail, leur efficacité restera limitée. Un constat qui invite à repenser la stratégie gouvernementale pour véritablement soutenir les travailleurs d'expérience. 

Partager

Demandes médias

Université de Montréal
Tél. : 514 343-6111, poste : 67960