Effondrement de la civilisation maya: la sécheresse n’explique pas tout

En 5 secondes Selon une étude de Benjamin Gwinneth, certaines régions mayas ont vu leur population chuter sans connaître de sécheresse, ce qui remet en question les explications climatiques de ce déclin.
L’analyse de sédiments vieux de 3300 ans tirés du lac Laguna Itzan, dans le nord du Guatemala, remet en question l'hypothèse selon laquelle le déclin des Mayas soit essentiellement attribuable à des épisodes répétés de sécheresse.

Entre l’an 750 et l’an 900 de notre ère, la population des basses terres mayas a connu un déclin démographique et politique majeur qui coïncidait, selon la littérature scientifique, avec des épisodes répétés de sécheresse intense.  

Pendant des décennies, les scientifiques ont attribué l'effondrement de la civilisation maya à ces graves sécheresses récurrentes. Cette explication climatique est devenue dominante en archéologie. 

Or, l’analyse de sédiments vieux de 3300 ans tirés du lac Laguna Itzan, dans le nord du Guatemala, remet en question cette explication.  

En effet, le professeur Benjamin Gwinneth, du Département de géographie de l’Université de Montréal, n’a trouvé aucune trace de sécheresse dans cette région. Pourtant, la population locale a chuté au même moment que dans les autres zones touchées par la sécheresse au Guatemala et au Mexique à l’époque.

Que s’est-il donc passé?

Cinq évènements majeurs révélés par les sédiments

Avec son équipe, Benjamin Gwinneth, spécialiste des changements environnementaux et de leurs conséquences sur la civilisation maya d’Itzan, a prélevé par carottage des sédiments lacustres qui témoignent de l'activité humaine et des conditions climatiques passées dans cette région du Guatemala. 

Trois indicateurs géochimiques étaient dans la mire des chercheurs: les hydrocarbures aromatiques polycycliques, qui révèlent l'intensité des feux de défrichement; les cires de feuilles, qui indiquent le type de végétation et les niveaux de précipitations; et les stanols fécaux, qui permettent d'estimer la densité de population. 

Ces indicateurs ont ainsi permis de reconstituer simultanément l'évolution de la population, celle des pratiques agricoles et celle du climat à travers le temps, depuis les premières traces d'activité humaine autour du lac Laguna Itzan il y a 4000 ans jusqu'à l'abandon des lieux il y a environ 1000 ans. 

«Les données ont montré que les premières occupations permanentes sont apparues il y a 3200 ans, marquées par des incendies de défrichement et une augmentation de la population, signale Benjamin Gwinneth. Pendant la période préclassique, entre 3500 et 2000 ans avant aujourd'hui, les Mayas utilisaient massivement le feu pour pratiquer l'agriculture sur brûlis, défrichant la forêt puis cultivant sur les cendres fertilisantes.»  

Une agriculture qui évolue

Puis survient un changement radical pendant la période classique, soit entre 1600 et 1000 ans avant aujourd’hui: malgré des populations beaucoup plus denses, l'usage du feu diminue considérablement. «Cela signifie que la plupart des terres ont probablement été défrichées, ce qui pourrait indiquer un changement de stratégie agricole», précise Benjamin Gwinneth. 

Les données portent plutôt à croire à une intensification agricole majeure, notamment par la culture en billons et sillons pour réduire l'érosion et le jardinage intensif. «Le feu n'était plus un composant clé de la production agricole. Cette transformation témoigne d'une urbanisation progressive et d'une société capable d'innovation pour nourrir une population grandissante», ajoute le professeur. 

Cette évolution des pratiques est cohérente avec ce que les archéologues et anthropologues savaient de la civilisation maya à son apogée, soit qu’il s’agissait d’une société complexe, urbanisée, avec des spécialisations croissantes et des techniques agricoles avancées et adaptées à l’environnement. 

 

L'énigme du climat stable 

Toutefois, l’analyse des isotopes de l'hydrogène a permis de constater que, contrairement aux régions mayas situées plus au nord et ayant été affectées par la sécheresse, Itzan semble avoir connu une stabilité climatique qui s'explique par la géographie. 

«Itzan se trouve près de la Cordillère, qui apporte des précipitations orographiques régulières grâce aux courants atmosphériques des Caraïbes, mentionne Benjamin Gwinneth. Pendant que d'autres régions mayas subissaient des sécheresses dévastatrices, Itzan bénéficiait d'un approvisionnement stable en eau.» 

Selon lui, cette découverte est significative parce que certains archéologues proposaient que l'effondrement maya avait commencé précisément dans cette région du sud-ouest. Si la sécheresse n'y a pas sévi, elle ne peut pas avoir été la cause initiale du déclin. 

«Pourtant, malgré l'absence de sécheresse locale, la population d'Itzan a décliné de façon abrupte pendant la période du classique terminal, entre 1140 et 1000 ans avant le présent, poursuit le chercheur. Les marqueurs de population chutent brutalement, les signes d'agriculture disparaissent, le lieu est abandonné.» 

Comment expliquer qu'une communauté disposant d'eau et de conditions favorables ait connu le même sort que ses voisines frappées par la sécheresse? 

Une interdépendance fatale

«La réponse réside dans l'interdépendance des sociétés mayas, affirme Benjamin Gwinneth. Les cités ne vivaient pas en vase clos, elles formaient un réseau complexe d'échanges commerciaux, d'alliances politiques et de dépendances économiques et, lorsque les sécheresses se sont abattues sur les basses terres centrales, elles auraient pu déclencher une série de crises en cascade: guerres entre cités pour les ressources, effondrement de dynasties royales, migrations massives, perturbation des routes commerciales, etc.» 

Itzan aurait donc été emportée dans cette tourmente régionale non pas par manque d'eau, mais par l'écroulement du système dont elle faisait partie. 

Cette interdépendance explique pourquoi la sécheresse n'a pas à sévir partout pour provoquer un anéantissement généralisé: ses conséquences se propagent bien au-delà des zones directement touchées, créant un effet domino régional dévastateur. 

«L'effondrement de la civilisation maya n'est pas le résultat mécanique d'une catastrophe climatique uniforme, c'est un phénomène complexe où s'entremêlent climat, organisation sociale, réseaux économiques et dynamiques politiques, conclut Benjamin Gwinneth. Les facteurs sociopolitiques et économiques régionaux ont joué un rôle déterminant.» 

Selon lui, les résultats de cette recherche sont aussi d’actualité, puisqu’ils visent à comprendre comment les civilisations répondent aux changements environnementaux. 

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