Humour et communautés culturelles: un mélange explosif?

  • Forum
  • Le 26 octobre 2019

  • Mathieu-Robert Sauvé
Les sketchs d’humour qui mettent en scène des personnages issus des communautés culturelles contribuent-ils aux stéréotypes ou, au contraire, permettent-ils d’apaiser les tensions ethniques?

Les sketchs d’humour qui mettent en scène des personnages issus des communautés culturelles contribuent-ils aux stéréotypes ou, au contraire, permettent-ils d’apaiser les tensions ethniques?

Crédit : Getty

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Est-ce que l’humour apaise les tensions sociales ou les exacerbe? C’est ce que cherche à savoir Emmanuel Choquette dans son doctorat.

Les sketchs d’humour qui mettent en scène des personnages issus des communautés culturelles contribuent-ils aux stéréotypes ou, au contraire, permettent-ils d’apaiser les tensions ethniques?

C’est la question que pose Emmanuel Choquette dans son doctorat en science politique à l’Université de Montréal sous la direction de Frédéric Bastien. «Je n’ai pas de réponse définitive à cette question, car mes travaux ne sont pas terminés, mais je peux vous dire que l’humour est considéré par plusieurs comme une catharsis. La dérision et l’autodérision, ça fait du bien, car ça dédramatise. Ça permet de jeter des ponts, comme on dit. Mais on ne peut pas rire de tout et certains groupes ethniques sont surreprésentés là où ils ne devraient pas nécessairement l’être», dit le doctorant, membre de l’Observatoire de l’humour.

La base de données qui constitue le corpus de sa recherche est composée de 76 courts métrages qu'on peut voir sur YouTube et qui présentent des extraits de spectacles d’humour où les relations des Québécois avec les minorités culturelles sont abordées. Certains mettent en vedette de grands noms de la scène (Mario Jean, Mariana Mazza, Mike Ward, Sugar Sammy, pour ne nommer que ceux-là), d’autres des artistes émergents. Le chercheur a complété sa recherche par des entretiens semi-dirigés avec 20 personnes de l’industrie de l’humour: producteurs, administrateurs, agents artistiques.

Dans sa thèse, le chercheur se penche sur le contenu des blagues. Les transcriptions textuelles sont analysées afin d’extraire les références à la diversité ethnique, aux relations interculturelles, etc. Dans son répertoire, il note que les Arabes et les Noirs sont souvent mentionnés. Un gag sur deux les concernerait. «Je constate qu’on cible souvent les mêmes groupes comme s’il y avait un consensus. Cela m’étonne un peu, je dois dire.»

L’identité québécoise n’est pas épargnée. «Quand on veut présenter un Québécois de souche, on lui met un juron dans la bouche.»

L’humour, acte politique

L’humour est-il un acte politique? Le chercheur a exprimé son point de vue sur cette question dans «L’humour: entre actes politiques et intérêts communs», un chapitre d’un collectif dirigé par Julie Dufort et Lawrence Olivier intitulé Humour et politique: de la connivence à la désillusion, paru aux Presses de l’Université Laval en 2015. Quand Charlie Chaplin visse des boulons à s’en rendre fou dans une chaîne de montage ou quand Yvon Deschamps scande son amour pour son «boss», nul n’ignore le véritable sens du propos. «La question qu’il pose en filigrane demeure on ne peut plus actuelle et comporte une véritable portée politique, écrit Emmanuel Choquette. Comment, en dépit de ses contraintes, de son héritage culturel, social et politique, un peuple peut-il s’affranchir? Et l’on peut ultimement se poser la question: quelle place occupe l’humour dans ce processus?»

L’humour, c’est aussi une industrie! L’auteur cite des statistiques selon lesquelles les humoristes attirent plus de spectateurs que la chanson francophone; quelque 1,5 million de personnes se seraient déplacées pour assister à un spectacle d’humour en 2012. Et cela n’inclut pas les prestations télévisées…

Après avoir étudié les présentations de 13 humoristes ou groupes dont Rachid Badouri, Guy Nantel, Les Zapartistes et Lise Dion, le chercheur note que «les questions entourant le “vivre-ensemble”, les rapports à l’identité et aux intérêts collectifs sont des thèmes fortement présents dans le discours humoristique, du moins dans les exemples présentés dans cette analyse».

Quant à savoir quelle est la portée de ces discours sur le public, le chercheur ne se prononce pas. Il faudrait mener des études précisément là-dessus avec des groupes de discussion, des questionnaires détaillés, etc. Des moyens qui ne sont pas à sa portée.

Doctorant à 40 ans

Emmanuel Choquette ne cache pas qu’il s’intéresse à l’aspect politique de l’humour depuis longtemps. On pourrait presque dire depuis toujours, car il a remporté un prix pour un monologue qu’il a interprété à l’âge de sept ans sur les promesses électorales non tenues!

Après avoir fait mille métiers et bourlingué sac au dos pendant quelques années, il est retourné aux études et a obtenu une maîtrise en science politique. Puis, attiré par les arts de la scène, il a voulu entrer à l’École nationale de l’humour. En 2013, il a été confronté à un choix déchirant lorsqu’il a été accepté par l’établissement qui a formé les Michel Courtemanche, Louis-José Houde et François Bellefeuille. Mais attiré également par une carrière universitaire et conscient de la précarité de la carrière d’humoriste, difficilement compatible avec ses responsabilités familiales, il a décliné l’offre. À 40 ans, il entamait un doctorat.

Il n’a pas de regret, car il arrive à concilier ses deux champs d’intérêt principaux. Cet excellent communicateur a produit, réalisé et animé pendant cinq ans, de 2011 à 2016, une émission sur les grands enjeux politiques du Québec sur les ondes de Savoir média. Et il intervient régulièrement dans les médias à titre de politologue. Son doctorat, espère-t-il, lui ouvrira la voie d’une carrière de professeur.

Et ça, ce n’est pas une blague!

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