La vie des Allemands en ex-RDA au-delà des clichés

Crédit : Open Memory Box

En 5 secondes

La plus grande collection de films familiaux d’Allemands de l’Est a été numérisée et est désormais accessible à tous. Au-delà des clichés totalitaires, des histoires oubliées ont ainsi été restituées.

À quoi ressemblait la vie dans l’ancienne République démocratique allemande (RDA)?

Dans cet état sous surveillance, comment se déroulait un mariage? Comment les enfants jouaient-ils? Comment les Allemands de l’Est regardaient-ils la frontière? Il est désormais possible de consulter des vidéos, qui ne sont pas des vidéos de propagande, répondant à ces questions.

La plus grande collection de films familiaux présentant la vie en RDA vient d’être numérisée et rendue accessible au public sur OpenMemoryBox. Ce projet colossal a requis plus de six ans de travail effectué par une trentaine d’employés. Au total, 149 cinéastes de 102 villes de l’ex-RDA ont envoyé des archives privées.

Genèse du projet

Laurence McFalls est professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal. Il y a 30 ans, alors qu’il finissait son doctorat à l’Université Harvard, le mur de Berlin est tombé. Il a obtenu un postdoctorat qui lui a permis d’aller en Allemagne de l’Est interviewer des personnes sur leur vie en RDA. Pendant une dizaine d’années, il a suivi leur parcours.

En 2011, le professeur a revu certaines de ces personnes au cours d’une sabbatique à Berlin. Il s’est alors rendu compte avec stupeur que «leur manière de répondre aux questions était devenue stéréotypée, leur mémoire était déformée par ce qu’elles avaient vu dans les journaux ou à la télé. Rien de nouveau n’était exprimé. C’était comme si leur mémoire était aplatie.»

À cette même époque, il accompagne sa fille au soccer. Sur les bancs du terrain, un autre père regarde sa fille jouer: Alberto Herskovits, cinéaste documentariste suédois. Au moment où Laurence McFalls faisait ses enquêtes sur la chute du mur, Alberto Herskovits tournait son premier long documentaire sur le même sujet. Les deux hommes s’aperçoivent qu’ils s’intéressent aux mémoires supprimées, réprimées, oubliées. Réalisant que des souvenirs refont surface à la vue de photos et que ces souvenirs sont encore plus présents lorsqu’ils montrent des films, ils décident de partir à la recherche de films de famille.

Ils feront des demandes de subvention pendant deux ans et recevront un premier financement en 2014, qui leur permettra d’aller chercher des films familiaux. Et là tout commencera en grand.

Un retentissement immense et inespéré pour un projet mené par deux étrangers

Cette année-là, Laurence McFalls et Alberto Herskovits ont tenu une conférence de presse qui a résonné dans les médias et auprès du public allemand. En quelques semaines, plus de 2200 films et au-delà de 415 heures de films de famille leur sont envoyés.

Dans un contexte tendu entre Allemands de l’Est et Allemands de l’Ouest, un Canadien et un Suédois étaient paradoxalement les mieux placés pour recueillir les témoignages.

Les Allemands de l’Est avaient perdu leur pays et se sentaient dévalorisés dans leur propre histoire. On aurait pu les accuser de complaisance avec un régime passé. Quant aux Allemands de l’Ouest, qui occupaient presque toutes les positions de pouvoir, on aurait pu les accuser de dénigrer les Allemands de l’Est. Ce fut plus facile de confier ces récits à des personnes de l’extérieur.

Un travail colossal

Ce travail a pris plus de deux ans de numérisation et plus de quatre ans d’indexation.

Un projet d’une telle ampleur était une première. Comment organiser des archives dont personne ne connaissait le contenu?

Un ingénieur a élaboré un outil qui permettait de saisir ce qu’on voyait à l’écran. Et par la suite, des spécialistes en Allemagne de l’Est qui connaissaient le contexte ont pu indexer le contenu.

On a ajouté 50 000 marqueurs indiquant le temps, les lieux et les thématiques pour faciliter les recherches dans ces archives.

Un projet démocratique

Aucun tri de films n’a été fait.

Laurence McFalls n’a pas voulu imposer une lecture, une histoire, un fil conducteur. Il a souhaité redonner le pouvoir à ces gens en dévoilant les films qu’ils avaient eux-mêmes réalisés.

Rendre visible la vie en RDA

«Il n’y a rien de plus ennuyeux que de regarder les photos de vacances des autres. Les films de famille, c’est encore pire. Il fallait trouver une manière de rendre ces témoignages intimes intéressants», dit Laurence McFalls.

Ainsi est née l’idée de réunir sur un thème donné des extraits de deux secondes de différents films d’archives pour créer un nouveau film de deux minutes. Par exemple, pour le thème du sport, on peut voir des Allemands de l’Est courir, sauter, mais également faire du ski nautique, de la planche à voile, du volleyball, etc.

Il est ensuite possible de cliquer sur un extrait particulier pour sortir du thème et voir le film original. Dans une autre section, on peut entreprendre une recherche par mot clé, par période.

On peut ainsi réaliser l’incroyable diversité de la vie en Allemagne de l’Est et voir la vie en ex-RDA au-delà des clichés.

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