L’UdeM a une conseillère aux relations avec les Premiers Peuples

  • Forum
  • Le 18 février 2020

  • Dominique Nancy
Caroline Gélinas

Caroline Gélinas

Crédit : Benjamin Seropian

En 5 secondes

Entretien avec Caroline Gélinas, conseillère principale aux relations avec les Premiers Peuples à l’UdeM.

Niioieren, qui signifie «ce qu’elle fait», est le nom mohawk de Caroline Gélinas. La conseillère principale aux relations avec les Premiers Peuples à l’Université de Montréal est entrée en fonction le 15 octobre dernier avec le mandat de représenter et de faire rayonner l’engagement de l’Université auprès des communautés autochtones. Il s’agit d’un rôle «transversal» auprès des vice-rectorats, facultés et chercheurs.

«Je suis là pour les conseiller au besoin, par exemple sur la façon d’intégrer un thème autochtone dans des cours, ou encore pour vérifier la légitimité d’une personne-ressource invitée à une conférence», explique Mme Gélinas.

Elle a aussi la responsabilité de coordonner le plan d’action en ce qui a trait aux relations avec les Premiers Peuples et de voir à sa mise en œuvre. Ce plan d’action est issu d’une table de consultation et d’un comité de rédaction paritaire autochtone-allochtone constitué par le Vice-rectorat à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation à la suite des appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2015. «Il vise à guider l’Université dans son projet d’autochtonisation et de décolonisation, indique Caroline Gélinas. Cela signifie l’inclusion des perspectives et des valeurs autochtones dans toutes les sphères du milieu d’enseignement.»

Concrètement, des efforts conscients sont déployés pour «accroître la représentativité des peuples autochtones, leurs philosophies, leurs connaissances et leurs cultures» dans les plans stratégiques et les pratiques institutionnelles, comme le recommandait la Commission, qui a permis de sensibiliser la population au système de génocide culturel des pensionnats indiens au Canada.

«Vous savez, les premiers colons français arrivés au cours du 17e siècle n’auraient jamais pu survivre sans le transfert de connaissances des peuples autochtones, signale Mme Gélinas. Le projet d’autochtonisation privilégie une proximité établie par le partage des savoirs et le renouvellement des relations dans un esprit d’égalité et de respect mutuel.»

Décolonisation

À l’UdeM, six champs d’action ont été ciblés afin d’engendrer un changement significatif: la reconnaissance et la gouvernance; le recrutement, la rétention, le soutien et la réussite des étudiants; le recrutement et le soutien du personnel; la formation; la recherche et le partage des savoirs; ainsi que les partenariats et les services à la collectivité.

Chacun de ces champs d’action comprend des mesures, des stratégies et des activités échelonnées sur trois ans, précisées par le plan d’action Place aux Premiers Peuples. Ces champs représentent les principaux objectifs de l’Université et la conseillère a pour mandat d’aider l’UdeM à les atteindre. «Le plan Place aux Premiers Peuples est un cadre qui nous donne une direction vers des initiatives tangibles pour répondre à l’appel de la Commission de vérité et réconciliation», dit Mme Gélinas.

Mais la tâche est complexe. Encore aujourd'hui, les Autochtones ne font pas d'études postsecondaires dans la même proportion que les autres groupes de la population au Canada. «Les taux d'obtention d’un diplôme postsecondaire chez les étudiants autochtones s'améliorent, mais ils demeurent plus faibles que chez les étudiants allochtones, affirme la conseillère. Il est de plus très difficile de recruter des employés autochtones; les raisons sont socioéconomiques, géographiques et historiques.»

À son avis, pour que les établissements universitaires deviennent des lieux accessibles et accueillants qui favorisent la réussite des Autochtones, la mise en œuvre d’un soutien approprié aux étudiants et étudiantes autochtones doit être vue comme un investissement à long terme. «Il faut également bâtir des relations de confiance, apprendre à mieux connaître les membres des communautés autochtones et leur permettre de nous connaître.»

Pour ce faire, l’éducation des allochtones aux réalités et à la culture autochtones s’inscrit dans une démarche collective enrichissante, continue et nécessaire afin que le processus d’ouverture et d’accueil ne soit pas que théorique.

Ce rapprochement vise à appuyer les efforts déployés vers la «réconciliation», un terme contesté par plusieurs Autochtones, signale la conseillère. «Le mot “décolonisation” est davantage utilisé par les membres des Premiers Peuples, car il reconnaît l’apport des cultures autochtones et permet de se défaire de l’idée qu’une culture est supérieure à l’autre.»

Initiatives en cours

Plusieurs initiatives d’autochtonisation sur les plans tant administratif et communautaire qu’à l’échelle de l’enseignement et de la recherche sont en cours à l’Université. En 2018-2019, l’UdeM a notamment révisé son plan directeur d’aménagement qui prévoit la mise en valeur des cultures autochtones dans l’environnement bâti et les lieux publics, entre autres, pour le bien-être et l’affirmation des membres des Premiers Peuples qui y étudient et y travaillent.

Le site Web Place aux Premiers Peuples, lancé le 21 juin 2019 à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones, exprime la volonté affirmée de l’Université de Montréal d’«améliorer la représentativité, l’accueil et l’intégration des Premiers Peuples au sein de l’institution dans le cadre de sa mission». Un programme d’appui à la participation de personnes-ressources autochtones dans les activités de formation figure d’ailleurs parmi les priorités.

La création d’un jardin des Premières Nations sur le campus a aussi été proposée et fait l’objet d’une réflexion.

Enfin, soulignons que l’UdeM est membre du Comité de programmation pour le Forum sur la réconciliation 2020, dont la tenue aura lieu au Québec en novembre.

«Mon désir est qu’il y ait une conscientisation et un respect à l’égard des cultures autochtones, de leurs contributions et de l’histoire qu’on partage, car finalement, c’est un plus pour tout le monde», conclut Caroline Gélinas.

Voilà ce que Niioieren veut faire!

Une Mohawk à l’UdeM!

Née d’une mère mohawk et d’un père québécois, Caroline Gélinas a grandi à Kanesatake, près d’Oka, avant de déménager avec sa famille à Loretteville à l’âge de 14 ans. «Mon père a été diplômé en 1958 de l'Institut agricole d'Oka de l’Université de Montréal. Il était agronome-conseil pour les agriculteurs mohawks de Kanesatake. Il a ensuite obtenu un poste au ministère de l’Agriculture à Québec.»

Après ses études en traduction et en enseignement de l’anglais, langue seconde, à l’Université Laval, Mme Gélinas a occupé divers postes à titre de coordonnatrice et gestionnaire principale responsable de politiques et programmes nationaux destinés aux Autochtones. Elle a aussi assumé les fonctions de directrice de l’éducation pour le conseil de bande de Kanesatake et a été employée par TransCanada Pipelines, où elle veillait entre autres à intégrer les considérations autochtones dans la conception du projet Énergie Est. Elle avait auparavant travaillé à l’Assemblée des Premières Nations à Ottawa auprès des chefs nationaux Phil Fontaine et Shawn Atleo.

«Au cours de mon premier mandat à l’Assemblée des Premières Nations, je suis allée aux Nations unies, à Genève, pour participer à la rédaction de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Ce fut une très belle expérience de travailler avec des autochtones de partout dans le monde», raconte avec dynamisme la conseillère. Avant d’être engagée par l’Université, Caroline Gélinas était coordonnatrice du Centre de service en emploi et formation de Montréal pour les Autochtones en milieu urbain.

Son curriculum vitæ témoigne de sa vaste expérience en matière de conseils stratégiques relativement aux politiques et aux communications auprès des cadres supérieurs des ministères fédéraux, des organisations sociales et politiques autochtones et du secteur privé, sur des questions complexes relatives aux peuples autochtones sur les plans international, national et régional.

Pourquoi être retournée vivre à Kanesatake? «Mes parents ont gardé la fermette où j’ai grandi avec mon frère aîné et ma sœur cadette même lorsque nous étions à Québec. Aujourd’hui, ma mère vit dans une résidence pour personnes âgées dans la réserve», confie Mme Gélinas, dont la maison a été inondée en 2017. Elle habite depuis dans la communauté d’Oka avec sa fille, Kaiatanoron ‒ «un esprit sacré» ‒, son fils, Taiothoratie ‒ «il annonce l’arrivée du temps froid» ‒, et sa chienne, Lula.  

Un long trajet chaque matin pour se rendre à l’UdeM… «Oui, mais c’est tellement valorisant de pouvoir travailler à la mise en œuvre d’un projet aussi important. Ça compense les trois heures quotidiennes de transport», indique Mme Gélinas.

L’Université de Montréal n’est pas le seul lieu où vous pourriez la voir. La conseillère figure dans deux films de réalisatrices mohawks en compagnie de ses enfants. Dans Rustic Oracle, un long métrage de la cinéaste Sonia Bonspille Boileau, actuellement présenté dans les festivals, elle interprète le rôle d’une directrice d’école. Dans Beans, réalisé par Tracey Deer, elle incarne une défenseuse du territoire. La sortie du film au grand écran est prévue pour l’automne 2020.