Des chercheurs traquent l’ennemi jusque dans ses gènes
- Forum
Le 24 mars 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
L’équipe de Julie Hussin, composée d’une dizaine de chercheurs en bio-informatique, s’attaque à la caractérisation génétique du coronavirus responsable de la COVID-19.
Des chercheurs montréalais en bio-informatique utiliseront l’intelligence artificielle pour tracer le profil génétique du coronavirus responsable de la pandémie actuelle. «Depuis son apparition en Chine, le virus a connu une évolution que nous devons comprendre pour mettre au point un vaccin ou des traitements personnalisés», explique Julie Hussin, professeure à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, dont le laboratoire à l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) vient d’être mobilisé dans cette bataille sans précédent.
En collaboration avec le chercheur Jean-Claude Tardif, de l’ICM, qui a lancé cette semaine l’étude COLCORONA, destinée à tester un médicament contre les effets du nouveau coronavirus auprès de 6000 patients canadiens atteints de la COVID-19, la professeure Hussin et ses collègues mettront toute leur énergie à traquer l’ennemi jusque dans ses gènes. «L’image la plus appropriée est celle d’un arbre dont la base du tronc est le premier virus passé de la chauve-souris à l’humain, illustre-t-elle. Depuis, il a connu de multiples mutations qui donnent naissance à de nouvelles versions formant autant de branches. Nous tenterons d’en donner le tableau le plus exact possible à partir de l’ARN recueilli directement des souches vivantes dans différentes parties du globe et notamment au Québec.»
S’appuyant sur leurs expertises en génétique des populations, génétique statistique et apprentissage profond (deep learning) et en vertu de leurs collaborations avec Mila (Institut québécois d'intelligence artificielle) et la jeune pousse InVivo AI, les chercheurs mèneront des analyses des séquences virales à divers stades de leur évolution.
Comme il est indiqué dans la description du projet de recherche, on ciblera des indices associés à des régions géographiques où des malades ont été déclarés positifs à la COVID-19. «Plus précisément, nous nous intéressons aux interactions virus-hôte des souches du virus qui peuvent affecter les humains différemment selon leur ethnicité, leur sexe, leur âge, leurs comorbidités, les médicaments prescrits et leur profil génétique», peut-on lire. De telles connaissances sont essentielles pour comprendre comment l'épidémie évolue et pour concevoir des solutions thérapeutiques.
Des bio-informaticiens prêts
Comme son nom l’indique, la bio-informatique cherche à résoudre des problèmes biologiques par des calculs informatiques. Comme un virus est un organisme vivant, les bio-informaticiens estiment pouvoir préciser sa composition génétique et ses différentes mutations à l’aide de puissants ordinateurs. On ne peut rien conclure pour l’instant, mais le virus est l’objet d’une attention mondiale dans des milliers de laboratoires spécialisés.
Les membres du laboratoire de la professeure Hussin se sont d’abord plongés dans l’abondante littérature scientifique portant sur la COVID-19, qui se compte déjà par dizaines d’articles; pas moins de 400 ont été publiés sur le génome des coronavirus. «De nombreuses équipes chinoises se sont concentrées sur ce coronavirus et ont diffusé leurs résultats dans un temps record. Cela nous est très utile, mais nous devons amorcer des recherches de façon plus large, car ces études sont souvent limitées à une ou deux mutations.»
Un virus efficace
Dans un sens, ce nouveau coronavirus fascine les chercheurs par l’efficacité de son mode de propagation. En quelques mois, il s’est étendu à une bonne partie des nations et continue de progresser. Un très grand nombre de paires de bases qui composent son matériel génétique ont déjà muté. Répondant au processus de la sélection naturelle, les mutations les mieux adaptées survivent et se propagent à leur tour, rendant potentiellement le virus encore plus efficace…
Ce processus constitue justement le champ de recherche de Julie Hussin, qui a réalisé sa maîtrise avec Damian Labuda sur les processus de sélection naturelle des populations humaines et qui s’est spécialisée par la suite avec Philip Awadalla sur d’autres aspects de l’évolution du génome en lien avec la santé humaine. Originaire de Belgique, la chercheuse a effectué ses études postdoctorales à l’Université d’Oxford, en Angleterre, avant d’accepter un poste au Département de médecine de l’Université de Montréal en 2017. Elle est également professeure membre de l’Institut de valorisation des données (IVADO) et chercheuse boursière junior 1 du Fonds de recherche du Québec‒Santé à l’Institut de cardiologie de Montréal.
Elle donne actuellement le cours Génétique des populations et épidémiologie à la Faculté de médecine. Ses travaux sont financés par l’IVADO, Génome Québec et divers organismes internationaux.