La course contre la montre pour la mise au point d’un vaccin
- Forum
Le 26 mars 2020
- François Guérard
La communauté scientifique internationale se mobilise pour mettre au point un vaccin contre la COVID-19. Andrés Finzi revient sur les défis de cette course contre la montre.
Comme beaucoup de ses collègues, le professeur Andrés Finzi, du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal, réoriente ses activités de recherche ces jours-ci pour s’engager dans la course au vaccin contre la COVID-19. Il nous fait part de l’état de la recherche et des défis à relever.
Les grandes entreprises pharmaceutiques estiment qu’il faudra environ 18 mois pour produire un vaccin contre la COVID-19. Que pensez-vous de ce délai?
Bien malin qui pourra prédire le moment où l’on aura un vaccin efficace et sécuritaire contre cette nouvelle maladie. Pour l’instant, nous n’avons aucun moyen de le savoir. Au début de l’épidémie du VIH/sida dans les années 80, on nous promettait un vaccin dans une période de deux ans et nous l’attendons toujours, 30 ans plus tard. Il y a des raisons d’être optimiste dans le cas de la COVID-19, car les chercheurs ne partent pas de la ligne de départ. Le virus qui cause cette maladie porte le nom de SRAS-CoV-2. C’est un cousin très proche du coronavirus à l’origine de la pandémie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère] de 2003. Or, depuis maintenant 17 ans, des virologistes à travers le monde étudient le SRAS.
En quoi les recherches sur le SRAS nous aident-elles à comprendre le nouveau virus?
Nous connaissons le talon d’Achille du SRAS-CoV-2, ce qui est en soi une grande avancée. Le SRAS-CoV-2 est doté d’une couronne caractéristique, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’appelle «coronavirus». Les glycoprotéines S, qui lui donnent cette forme de couronne, agissent comme des clés que le virus utilise pour entrer dans la cellule saine et l’infecter. Nous connaissons également le récepteur ou, pour poursuivre l’analogie des clés, la serrure. Le SRAS-CoV-2 utilise ses clés beaucoup plus efficacement que le virus du SRAS le faisait ‒ par comparaison, on pourrait dire qu’elles sont huilées ‒, ce qui pourrait expliquer pourquoi ce nouveau virus se transmet aussi rapidement dans la population. Un vaccin qui ciblerait de façon efficace les glycoprotéines S, en d’autres mots qui empêcherait les clés d’entrer ou de tourner dans la serrure, a des chances de fonctionner.
À quelle étape du développement d’un éventuel vaccin sommes-nous actuellement?
De nombreux projets de recherche sont menés de front dans le monde et l’on étudie toutes les possibilités, que ce soit des vaccins à base de virus inactivés, de protéines recombinantes ou autres ‒ vraiment tout est sur la table. Et nous avons assisté récemment à quelque chose d’incroyable: des articles parus dans les revues Science et Cell nous permettent de voir des images tridimensionnelles de la clé à très haute résolution. Les chercheurs ont réalisé en quelques mois ce qui a requis environ 20 ans de travail dans le contexte de la recherche sur le VIH! Donc, pour la première fois, nous pouvons visualiser notre cible. Maintenant, il nous faut trouver une façon de dire au système immunitaire comment produire des anticorps pour bloquer la fonctionnalité de la clé. On ne sait pas encore comment le faire, bien que des tests prometteurs aient été effectués sur des animaux, notamment sur des lapins.
Si ces tests s’avèrent concluants, quelles seront les prochaines étapes?
Il faudra nous assurer, dans une première phase d’essais sur les humains, que le vaccin n’est pas toxique. S’il ne cause pas d’effets secondaires importants, nous pourrons passer à une deuxième phase d’essais sur des personnes qui sont à risque d’être infectées pour voir si elles sont véritablement protégées du SRAS-CoV-2. Par chance, ou plutôt par malchance, nous n’aurons pas de mal à trouver de telles personnes. Il sera crucial de bien faire les choses, sans brûler aucune des étapes. Si l’on commence à administrer à la population un vaccin qui ne s’avère pas totalement efficace, le virus sera de retour une fois les mesures de distanciation sociales levées et nous retournerons à la case départ. Lorsque nous aurons un vaccin efficace et arriverons à l’étape de la production de masse, les choses devraient aller très rapidement: nos capacités de production à l’échelle mondiale sont impressionnantes.
Comment qualifieriez-vous la coopération scientifique internationale dans cette course au vaccin?
Elle est exceptionnelle et sans précédent. À titre d’exemple, le transfert de matériel de recherche entre deux établissements peut prendre quelques jours, voire quelques semaines, car il faut établir des ententes à cet effet. Eh bien, je viens d’écrire à un collège allemand au sujet du SRAS-CoV-2 et, cinq minutes plus tard, j’obtenais son accord pour recevoir le matériel très rapidement! La solution ne viendra pas des Allemands, des Américains ou des Chinois, mais du travail concerté de toute la communauté scientifique.
Le gouvernement canadien vient d’annoncer un financement de 275 M$ pour la recherche sur le coronavirus et les mesures médicales pour combattre la COVID-19. Que représente cet effort dans la guerre scientifique qui est en cours?
Le gouvernement, par les Instituts de recherche en santé du Canada, a réagi très rapidement pour que se mettent en branle des équipes qui se penchent sur différentes problématiques liées à la COVID-19, dont la mise au point d’un vaccin. Ce qui permet à beaucoup de chercheurs de réorienter leurs activités pour contribuer à l’effort de guerre. Mon domaine d’expertise est l’étude de l’interface entre les glycoprotéines de l’enveloppe du VIH et son récepteur. Dans les prochains mois, dans mon laboratoire, je poserai le même type de questions sur le SRAS-CoV-2, mais en mode accéléré. Il est parfaitement louable de libérer des sommes substantielles pour la recherche en temps de crise, mais il est tout aussi important de financer la recherche fondamentale de façon permanente, car personne ne sait d’où viendra la prochaine pandémie. Si l’on peut apprendre quelque chose de cette crise, c’est qu’en matière de recherche il ne faut jamais baisser la garde.