Environ 40 % du personnel soignant se lave les mains efficacement

  • Forum
  • Le 21 avril 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
Le personnel de la santé se plie, en principe, au rituel du lavage des mains pour éviter la propagation des infections. Malheureusement, celui-ci n’est pas respecté partout de la même façon.

Le personnel de la santé se plie, en principe, au rituel du lavage des mains pour éviter la propagation des infections. Malheureusement, celui-ci n’est pas respecté partout de la même façon.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Pour Josiane Létourneau, les pratiques cliniques exemplaires en matière d’hygiène des mains devraient être adoptées par l’ensemble du réseau hospitalier.

Se laver les mains avant d’entrer dans la chambre d’un patient; se laver les mains avant une intervention; se laver les mains après avoir été en contact avec des liquides biologiques; se laver les mains après être sorti de la pièce.

Ce rituel du personnel de la santé, que celui-ci doit répéter autant de fois que nécessaire, n’est pas apparu avec la pandémie de COVID-19. On s’y plie, en principe, dans tous les hôpitaux pour éviter la propagation des infections. Malheureusement, il n’est pas respecté partout de la même façon. «Les différentes études [NDLR: toutes menées avant la pandémie de COVID-19] mentionnent que les mesures hygiéniques de base ne sont pas appliquées efficacement dans plus de 40 % des cas dans les hôpitaux, incluant le Québec, explique Josiane Létourneau, docteure en sciences infirmières et spécialiste de la prévention des infections. J’ai voulu savoir pourquoi certaines équipes arrivent à des taux beaucoup plus élevés.»

L’approche de la chercheuse emprunte un angle d’analyse original et relativement nouveau en milieu hospitalier: la «déviance positive». «C’est un concept de santé publique issu de la sociologie qui désigne des personnes aux comportements peu courants qui ont des effets positifs dans la communauté. À ma connaissance, il n’a jamais été repris dans les hôpitaux du Québec», dit Mme Létourneau dans une entrevue à UdeMNouvelles.

Le principe veut que, dans une population donnée, la majorité des gens mettent en application les mesures recommandées de façon traditionnelle; une minorité les ignore ou les applique à la légère. Une autre minorité, toutefois, prend très au sérieux les recommandations, les suit à la lettre et va même au-delà des consignes. C’était le cas dans l’unité de médecine-chirurgie observée par Mme Létourneau. «Tout le monde s’encourageait à améliorer l’hygiène et s’assurait de la disponibilité du matériel, de l’accès aux désinfectants par exemple.»

Des «déviants positifs» comme modèles

Josiane Létourneau

Dans sa thèse de doctorat sous la codirection des professeures Marie Alderson et Annette Leibing et soutenue à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, elle révèle que le leadership mobilisateur peut fortement influencer l’optimisation des pratiques et que la conscience professionnelle peut mener à des actions ayant un effet direct sur la survie des patients. Elle a tiré ces conclusions après avoir analysé les pratiques dans deux services d’un hôpital montréalais, la médecine-chirurgie et les soins palliatifs, et conduit des entretiens en profondeur avec 18 infirmiers et infirmières. Dans le premier cas, c’est l’infirmier-chef qui a eu un effet direct sur l’équipe de soins. Il a mis en place une procédure qui a été respectée par toute l’équipe de façon spectaculaire. «Le taux de respect des consignes de lavage des mains est passé de 10 à 70 % en un peu plus d’un an», résume Mme Létourneau.

Dans le cas de l’unité des soins palliatifs, les hauts taux de respect des consignes étaient le fait des infirmières elles-mêmes. «Ces dernières savent que leurs patients n’en ont plus que pour quelques semaines à vivre; elles ne veulent surtout pas transmettre de pathogènes à cette population vulnérable.»

Ces déviants positifs peuvent avoir une influence majeure dans un hôpital si leur comportement est imité par les collègues des autres services. Ces modifications peuvent faire en sorte que des patients seront protégés des infections nosocomiales. «Bien qu'un certain nombre de facteurs organisationnels puissent expliquer le faible respect de l'hygiène des mains, notamment la charge de travail, la pénurie de personnel et le manque de produits à la disposition des infirmiers et infirmières, les difficultés rencontrées pour améliorer ces pratiques montrent que les changements à apporter sont une tâche complexe», écrit-elle dans un article publié en 2018 dans la revue American Journal of Infection Control.

Elle a défini quatre étapes menant à l’adoption des nouvelles habitudes dans un milieu de travail. Après avoir désigné les déviants positifs, elle suggère d’explorer les facteurs qui peuvent expliciter les meilleures performances et d’évaluer la possibilité de les intégrer aux pratiques cliniques d’un plus grand nombre de personnes.

Déviance positive et coronavirus

Dans la situation actuelle, Josiane Létourneau croit que la déviance positive pourrait être mise à profit. Dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) aux prises avec une éclosion de COVID-19, le manque de personnel, de formation et d’équipement de protection individuelle a certainement contribué à la propagation du virus. «On parle beaucoup des CHSLD qui fonctionnent mal. Pourtant, certains ont réussi jusqu’à maintenant à passer à travers la crise sans transmission soutenue du virus. Voilà des endroits où les choses se passent beaucoup mieux. Pourquoi ne pas s’en inspirer?» demande-t-elle.

Après avoir travaillé pendant neuf ans comme infirmière en prévention des infections nosocomiales au CHU Sainte-Justine, Mme Létourneau est retournée aux études faire une maîtrise en santé communautaire. Par la suite, elle a été coordonnatrice en maladies infectieuses (incluant les infections nosocomiales) à la Direction de santé publique de Montréal de 2001 à 2010 et consultante en prévention des infections à l’Institut national de santé publique du Québec. De 2006 à 2014, elle a été chargée de cours au programme de deuxième cycle en prévention des infections à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, programme qu’elle a contribué à élaborer et à implanter. Elle vient de terminer un doctorat en sciences infirmières et entamera sous peu un postdoctorat à l’Université du Québec en Outaouais, où elle participera à une recherche sur les effets de la pandémie chez certains groupes de patients.

Alors qu’elle travaillait à la Direction de santé publique de Montréal, des enquêtes dans les CHSLD révélaient déjà une grande disparité dans l’application des mesures de prévention des infections. Aussi n’est-elle pas surprise de la voir éclater au grand jour. «Certains centres d’hébergement sont vétustes et comptent plusieurs patients par chambre. Le personnel n’est pas toujours bien formé et les équipements sont inadéquats et peu disponibles. Comment éviter la propagation de maladies infectieuses dans de telles conditions?»

Si elle avait les pouvoirs d’un ministre de la Santé, elle mettrait tout en place pour protéger nos aînés ‒ pandémie ou pas ‒ et s’assurerait de transposer les pratiques exemplaires dans l’ensemble du réseau.