Plus il y a de démocratie, moins la confiance règne!

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  • Le 29 avril 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
Selon une étude récente, plus un État est démocratique, moins les citoyens ont confiance en ses institutions.

Selon une étude récente, plus un État est démocratique, moins les citoyens ont confiance en ses institutions.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Un projet de recherche consistant à documenter les liens entre la confiance et la démocratie parvient à des résultats étonnants.

Plus un État est démocratique, moins les citoyens ont confiance en ses institutions. C’est la conclusion à laquelle est parvenue Claire Durand au terme d’une étude ayant pris en compte 2 millions de répondants dans 143 pays sur une période de 20 ans. Plus de 21 millions de réponses ont été intégrées dans la base de données provenant de sondages menés dans des États démocratiques (France, Canada, États-Unis) et autoritaires (Arabie saoudite, Turquie). «C’est possiblement lié à la liberté d’expression: lorsque la démocratie est acquise, les gens expriment davantage leur méfiance envers ceux qui les gouvernent», commente la spécialiste des méthodes quantitatives, professeure au Département de sociologie de l’Université de Montréal.

Il y a toutefois deux exceptions majeures à cette règle: le processus électoral et la police jouissent toujours de la considération des citoyens. «De façon générale, les gens croient aux élections; le processus par lequel ils votent pour des représentants politiques leur apparaît digne de confiance. Même chose pour la police. Vous enfreignez les règles, un agent vous intercepte et vous donne une contravention», prend-elle pour exemple.

Les partis politiques sont tout au bas de la liste des institutions auxquelles la population accorde le plus sa confiance, alors que l’Église trône habituellement au sommet. Au total, 16 institutions comme le gouvernement, le chef de l’État et l’armée ont été analysées avant de parvenir à cette constatation. L’un des intérêts de l’étude de Claire Durand est qu’elle tient compte de données issues de divers régimes politiques. «On dit souvent que la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple. On peut donc s’attendre à ce que plus un pays est démocratique, plus le niveau de confiance des citoyens de ce pays est élevé. Ce n’est pas ce que nous avons observé…»

Renversement des pôles

Claire Durand

Crédit : Amélie Philibert

Même si ses données n’incluent pas la crise actuelle, Mme Durand constate que les citoyens semblent avoir une attitude différente que celle qu’elle a notée dans sa méta-analyse sur deux décennies. «D’après ce que je peux voir au Québec, et cela vaut aussi pour les autres provinces canadiennes et au palier fédéral, les gens semblent se ranger du côté des dirigeants politiques. Ils se montrent même plutôt critiques du travail des médias sur les réseaux sociaux.»

En effet, la popularité des chefs d’État atteint des sommets. François Legault obtient une cote de satisfaction de 92 % dans un sondage récent de Léger Marketing. «La question de la confiance à l’égard des médias est intéressante et méritera d’être explorée dans des études ultérieures, mais elle n’était pas centrale dans notre analyse. Il faudra y revenir en comparant la situation avant avec celle après la pandémie», dit-elle.

Ce ne sont pas les consultations qui vont manquer aux chercheurs. La World Association for Public Opinion Research (WAPOR) a recensé pas moins de 59 sondages nationaux et 7 internationaux sur la question de la COVID-19.

Pourquoi la confiance?

L’idée d’étudier les liens de confiance entre les citoyens et leurs institutions apparaît capitale aux yeux de la chercheuse. Pour John Locke (1632-1704), «la confiance entre les dirigeants et les citoyens est au cœur de la légitimité des régimes politiques», rappelle Claire Durand. Pour l’homme de science américain Michael Levi, il s’agit d’un «lubrifiant du système social qui améliore son efficacité». Elle souligne que la confiance est mise à mal dans plusieurs régimes démocratiques. «La plupart des grands États démocratiques sont dirigés par des gouvernements qui n’ont pas été élus par la majorité. C’est le cas au Canada et aux États-Unis, notamment.»

Ancienne présidente de la WAPOR, Claire Durand avait été invitée à présenter ses résultats à une réunion du Comparative Survey Design and Implementation à Paris au début du mois de mars, lorsque la crise a forcé l’annulation de la rencontre. Revenue au pays, elle en a offert la primeur aux membres de la Chaire de recherche de l’UdeM en études électorales au début d’avril. Elle prévoit plusieurs publications sur cet axe de recherche dans les prochaines années.

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