Beaucoup de migrants à statut précaire et sans assurance maladie à Montréal se perçoivent en mauvaise santé
- Forum
Le 14 mai 2020
- Dominique Nancy
Environ la moitié des migrants sans assurance maladie de la région de Montréal considèrent que leur santé n’est pas bonne, selon une étude dirigée par le professeur Patrick Cloos, de l’UdeM.
Une étude sur la santé des migrants à statut précaire révèle qu’une proportion importante des immigrants sans assurance maladie de la région de Montréal considèrent leur santé comme mauvaise ou passable. On observe aussi dans cette population plusieurs besoins en matière de soins de santé qui ne sont pas satisfaits.
«Dans notre étude, 45 % des immigrants sans assurance maladie ont perçu leur santé de façon négative. C’est un pourcentage énorme et beaucoup plus élevé que les chiffres des études canadiennes précédentes, qui ont rapporté des taux de 8,5 % et 19,8 % parmi les immigrants récents et de longue date respectivement, et 10,6 % parmi les personnes nées au Canada», dit Patrick Cloos, professeur à l’École de travail social et à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui a dirigé les travaux.
Les résultats de cette recherche, qui ont fait l’objet d’une publication dans l’édition d’avril de la revue PLOS ONE, démontrent hors de tout doute l’influence négative sur la santé à la fois de l'absence d'assurance maladie et de la précarité du statut migratoire de certains. La notion de précarité renvoie ici à un statut légal mais temporaire (par exemple les travailleurs étrangers temporaires, les visiteurs, les étudiants de l’extérieur du pays) ou à un statut non autorisé (c'est-à-dire des individus «sans papiers» ou dont le permis ou le visa est expiré).
L’enquête transversale a été menée entre juin 2016 et septembre 2017 auprès de 806 migrants sans couverture médicale à Montréal: 54,1 % ont été recrutés en milieu urbain et 45,9 % à la clinique de Médecins du monde; 54 % avaient un statut légal temporaire au Canada et 46 % ont déclaré ne pas avoir de statut autorisé.
Situation précaire et absence de couverture médicale
Cette recherche est la première grande étude empirique effectuée sur les déterminants sociaux de la santé perçue des migrants en situation précaire, sans assurance maladie et résidant à Montréal. L’équipe du professeur Cloos a recueilli des données auprès de personnes âgées de 18 ans et plus qui ne sont ni citoyennes canadiennes ni résidentes permanentes, qui ne sont pas couvertes par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et qui n’ont pas accès au Programme fédéral de santé intérimaire, dont les bénéficiaires sont les demandeurs d’asile et les individus auxquels le statut de réfugié a été accordé.
Le recrutement a été réalisé à la clinique de Médecins du monde. L’équipe a également innové en recourant à une trentaine d’auxiliaires de recherche de différentes origines qui ont sollicité plus de 20 000 personnes dans l’espace urbain ou par l’entremise d’organismes communautaires, d’églises et lors d’activités culturelles à Montréal.
Un questionnaire comportant une centaine de questions sur leurs caractéristiques sociodémographiques, socioéconomiques et psychosociales, leurs déterminants sociaux (conditions de vie et de travail) ainsi que leur santé, leurs besoins en matière de soins de santé et l'accès à ces soins a été distribué aux 806 participants. Ceux-ci étaient originaires d’Asie, des Caraïbes, d’Europe, d’Amérique latine, du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne et des États-Unis. L'âge moyen était de 37 ans. «Ce qui nous intéressait était la santé perçue. On a donc demandé aux gens d’évaluer leur propre santé, indique M. Cloos. L’objectif était de mieux comprendre les facteurs associés à une santé considérée comme mauvaise ou passable.»
Parmi les personnes ayant un statut légal, 36 % ont déclaré percevoir leur santé de façon négative. Chez celles sans statut légal, le taux grimpe à 54 %. L’étude révèle par ailleurs que près de 70 % ont dit avoir des besoins non comblés en matière de soins de santé, soit parce qu’elles n’ont pas eu accès à ces soins pour des raisons financières, soit parce qu’elles ne sont pas allées à l’hôpital ou dans une clinique par crainte d’une déportation possible.
Selon le professeur, les circonstances suivantes sont associées à une plus grande probabilité de perception négative de la santé: ne pas avoir fait d’études universitaires, disposer d’un faible revenu familial, n’avoir personne à qui demander de l’argent, percevoir du racisme, être en détresse psychologique, avoir un besoin de soins non comblé et avoir eu un problème de santé au cours des 12 derniers mois.
Parmi les femmes, être née au Moyen-Orient et les mauvaises conditions de logement sont liées à une plus grande probabilité de perception négative de la santé. Parmi les hommes, être né en Afrique subsaharienne augmente la probabilité de percevoir sa santé négativement. Il faut également noter qu’une proportion non négligeable des participants ont déclaré souffrir d’une maladie chronique, dont certaines représentent un facteur de risque dans le cas de la COVID-19.
Bref, les migrants en situation précaire, en particulier ceux sans assurance maladie et dont le séjour n’est pas autorisé, font face à des écarts de santé liés à leur faible statut socioéconomique, à la difficulté d’accéder aux soins de santé et à un contexte de précarité sociale.
Dans le contexte de la COVID-19
«Avec la crise sanitaire actuelle, certains migrants pourraient se trouver encore plus fragilisés», signale Patrick Cloos, qui précise que l’étude quantitative parue dans PLOS ONE a été menée antérieurement à la pandémie de COVID-19. Malgré les mesures mises en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux au cours des dernières semaines pour favoriser l’accès au dépistage du coronavirus et aux soins en cas de contamination pour tous les résidants avec ou sans assurance maladie, il semble subsister des inégalités attribuables au statut migratoire.
Un article du Devoir rapportait en effet récemment le cas de migrants en situation précaire et sans couverture médicale qui se sont rendus à un hôpital et à qui l’on a demandé la carte de la RAMQ et de l’argent pour avoir accès à un test de dépistage. «L’article du Devoir vient confirmer nos doutes. D’un point de vue théorique, il y a une reconnaissance de la situation de ces personnes par le gouvernement, mais ça ne semble pas se passer comme cela sur le terrain. Nous entamerons d’ailleurs une étude qualitative sur le sujet incessamment. Nous voulons voir si les migrants sont réellement admissibles à la gratuité des soins.»
Selon le professeur Cloos, il est nécessaire d’instaurer des politiques sociales pour garantir l'accès aux ressources, aux soins de santé et aux services sociaux à tous les résidants du Québec, sans égard au statut migratoire. «Dans une logique de santé publique à la fois pour les migrants en situation précaire et pour la population du Québec, il faut rendre l’accès aux soins de santé vraiment universel, indépendamment du statut migratoire.»
Outre M. Cloos, les chercheurs et chercheuses Elhadji Malick Ndao, Josephine Aho, Magalie Benoît, Amandine Fillol, Maria Munoz-Bertrand, Marie-Jo Ouimet, Jill Hanley et Valéry Ridde sont signataires de l’étude publiée dans PLOS ONE. Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada.