Les vagues de chaleurs estivales mettent les réserves d’eau des Alpes sous pression

  • Forum
  • Le 30 juin 2020

  • Martin LaSalle
Occupant un territoire de plus de 260 000 km2, les Alpes alimentent en eau les rivières qui permettent d’abreuver quelque 170 millions de personnes en Europe.

Occupant un territoire de plus de 260 000 km2, les Alpes alimentent en eau les rivières qui permettent d’abreuver quelque 170 millions de personnes en Europe.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Les vagues de chaleur des dernières années diminuent l’approvisionnement en eau de surface dans les Alpes européennes, selon une étude à laquelle a pris part Christoforos Pappas, de l’UdeM.

En Europe, les vagues de chaleur, qui sont de plus en plus fréquentes, profitent à la végétation située en haute altitude dans les Alpes. Or, cette croissance végétale inhabituelle ‒ qui pourrait devenir plus commune avec les changements climatiques ‒ risque de détourner une partie de l’eau devant cheminer de rus en ruisseaux jusque vers les rivières en aval.

En effet, une étude de modélisation à grande échelle, à laquelle a pris part le postdoctorant Christoforos Pappas, du Département de géographie de l’Université de Montréal, confirme le «paradoxe de la sécheresse», selon lequel durant les périodes de sécheresse les plantes utilisent plus d’eau malgré des précipitations peu abondantes.

Rédigée par le chercheur Theodoros Mastrotheodoros, l’étude a été réalisée sous la conduite de Simone Fatichi, de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Climate Change.

Des canicules qui profitent aux plantes, au détriment de l’équilibre hydrique

Christoforos Pappas dans les Alpes suisses

Crédit : Christoforos Pappas

Occupant un territoire de plus de 260 000 km2, les Alpes alimentent en eau les rivières qui permettent d’abreuver quelque 170 millions de personnes en Europe.

Mais le ruissellement de l’eau du massif montagneux vers les rivières pourrait être réduit considérablement si le nombre et la fréquence des canicules en Europe s’accentuent et si la végétation continue d’utiliser davantage d’eau.

C’est que les canicules profitent à la végétation en haute altitude: comme elles favorisent la croissance de ces plantes qui ont alors besoin de plus d’eau, elles réduisent du coup le flux d’eau de ruissellement qui percole d’ordinaire jusqu’aux rivières.

Et en captant plus d’eau et d’humidité dans le sol et dans l’air, la végétation accroît le phénomène d’évapotranspiration ‒ soit la quantité d'eau transférée sous forme gazeuse vers l'atmosphère par l'évaporation au niveau du sol et par la transpiration des plantes.

Les chercheurs savaient que l’évapotranspiration était plus marquée en certains endroits dans les Alpes, mais l’équipe de Simone Fatichi est parvenue à quantifier le phénomène pour l’ensemble de la région alpine.

Une modélisation à haute résolution sur une énorme superficie

Pour ce faire, les chercheurs ont combiné les données recueillies par 1212 stations météorologiques réparties dans les Alpes sur une superficie de 257 000 km2, aux flux aquifères des rivières en aval, de 2001 à 2003.

«Le modèle numérique évolué auquel nous avons eu recours a permis d’obtenir une modélisation spatiale ultraprécise et à haute résolution des flux d’eau sur l’ensemble du territoire alpin», explique Christoforos Pappas.

Ainsi, les résultats de la simulation indiquent que, dans les zones montagneuses boisées situées entre 1300 et 3000 m d'altitude, les taux d'évapotranspiration étaient supérieurs à la moyenne dans de grandes parties des Alpes lors de la canicule de 2003.

De même, la hausse de l’évapotranspiration observée aux altitudes au-delà de 1300 m a entraîné une diminution de 32 % du ruissellement de l’eau vers les rivières, comparativement à la moyenne des autres saisons estivales.

«En analysant les résultats de la simulation, nous avons évalué que l'effet sur le ruissellement d'une augmentation de 3 °C de la température ‒ qui est susceptible de survenir d’ici la fin du siècle ‒ équivalait à une baisse de 3 % des précipitations, ce qui signifie qu'une légère diminution des précipitations peut avoir des conséquences sérieuses sur les ressources en eau», ajoute M. Pappas.

Il est à noter que, pour la seule saison estivale de 2003, le ruissellement d’eau a été 50 % moins important que la moyenne dans les Alpes. Parallèlement, les quantités de précipitations les plus basses ont été enregistrées de 1992 à 2008.

Des mesures à considérer dans le contexte des changements climatiques

«En fait, la température dans les Alpes augmente à un rythme accéléré: l’humidité diminue, l’évapotranspiration s’accroît, les glaciers fondent et la distribution des neiges se déplace vers des altitudes plus élevées, tandis que les températures extrêmes deviennent de plus en plus fréquentes», note le postdoctorant de l’UdeM.

Effectivement, les périodes de très grande chaleur ont été plus nombreuses et leur fréquence s’est accrue: après 2003, l’Europe a connu des canicules en 2010, en 2015, puis en 2018.

«Notre étude est importante, car, pour la première fois, on démontre par une modélisation à grande échelle l’effet potentiel des changements climatiques sur l’ensemble des ressources en eau des Alpes, conclut Christoforos Pappas. Dans un avenir proche, des épisodes comme la sécheresse de 2003 pourraient ne plus être classés comme extrêmes.»