Les plantes mangeuses de sable font l’objet d’un article dans «Science»
- Forum
Le 4 septembre 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
Une recherche sur les végétaux d’Australie, à laquelle l’Université de Montréal a contribué, est publiée cette semaine dans la revue «Science».
Parmi les éléments essentiels à la croissance des plantes, le silicium ‒ ou Si, le nom savant du bon vieux sable ‒ arrive en fin de liste. «En général, il est peu abondant dans les tissus de végétaux, sauf chez certaines espèces, qui l’accumulent dans leurs feuilles comme protection contre les herbivores. Pour ces derniers, c’est un peu comme s’ils croquaient du sable dans leur salade», illustre Étienne Laliberté, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, qui publie dans Science, cette semaine, un article qui fait la lumière sur un aspect méconnu de cette relation complexe entre les plantes et le silicium. Le premier auteur est un étudiant au doctorat de l’Université de Liège, en Belgique, Félix De Tombeur, et les coauteurs viennent du Panama, d’Australie et de France.
Un vieux débat subsiste sur le rôle des plantes dans le cycle du silicium. Traditionnellement, les plantes n’étaient pas considérées comme importantes dans le recyclage de cet élément. Or, les résultats des chercheurs montrent que «la rétention du silicium par les plantes pendant la rétrogression de l'écosystème soutient son cycle terrestre». En d’autres termes, les plantes qui savent manger du sable permettent de conserver cet élément dans les sols.
C’est sur les côtes occidentales d’Australie, près de Perth, que les observations ont été faites grâce aux travaux qu’Étienne Laliberté et son équipe mènent sur place depuis 10 ans. «La région a une particularité géologique: elle n’a pas subi de glaciations depuis des millions d’années et le climat y a été relativement stable. Le sol qu’on y voit en surface est parmi les plus anciens de la planète», explique-t-il.
Sol pauvre et grande biodiversité
Une partie de l’histoire géologique et biologique du monde se déroule sous les pieds des chercheurs à cet endroit, car des sols plus récents ont aussi été déposés au cours des derniers millénaires, de sorte qu’on trouve des sols «bébés», «adolescents», «adultes» et «vieux» sur quelques kilomètres à l’intérieur. Par comparaison, au Canada, les sols sont au stade de la petite enfance, même si le sous-sol (surnommé Bouclier canadien) est parmi les plus vieux du globe.
Ce qui frappe l’observateur qui met les pieds dans cet écosystème océanien, c’est la richesse de la biodiversité végétale. La végétation, principalement arbustive, est un peu comme une forêt tropicale miniature. N’y a-t-il pas un paradoxe apparent dans une région reconnue pour son sol peu fertile? «En effet. La grande différence, c’est le temps. À cet endroit, il n’y a pas eu d’extinctions massives dues aux glaciations pendant le Pléistocène. La nature a mis dans certains cas des millions d’années à évoluer dans ce milieu exceptionnellement stable. Ce qu’on y découvre est donc le résultat d’une longue période d’adaptation.»
Le silicium est l’élément le plus abondant de la croûte terrestre après l’oxygène. Il entre dans la composition du plancton, qui l’absorbe pour en faire son squelette, mais peu d’organismes vivants en font leur régime principal. Chez les plantes, la prêle des champs, qu’on trouve au Québec, est une des exceptions notoires.
En Australie, Félix De Tombeur a patiemment amassé des échantillons foliaires sur cinq sols d’âges différents et analysé leur composition chimique. C’est ce qui lui a permis de mieux comprendre un phénomène étonnant. Alors que, dans les jeunes sols, les plantes ne jouent pas un rôle majeur dans le recyclage du silicium, dans les vieux sols infertiles, les plantes l’accumulent dans leurs feuilles sous des formes solubles, ayant ainsi une fonction clé dans le cycle. L’étude montre que les processus biotiques sont importants, par opposition à la théorie abiotique, mais que cela dépend de l’âge des sols. «Sans clore le débat, notre article démontre qu’il y a un peu des deux hypothèses dans l’explication scientifique», conclut Étienne Laliberté.