La détresse psychologique est fréquente dans les métiers spécialisés de la construction et des manufactures

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  • Le 19 octobre 2020

  • Martin LaSalle
Geneviève Cloutier a découvert que l’identité professionnelle et sa fragilisation sont liées aux symptômes de détresse psychologique dans certains métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier.

Geneviève Cloutier a découvert que l’identité professionnelle et sa fragilisation sont liées aux symptômes de détresse psychologique dans certains métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier.

Crédit : Amélie Philibert (2016)

En 5 secondes

La détresse psychologique chez les travailleurs des corps de métiers spécialisés dans les secteurs de la construction et manufacturier découle de causes associées à l’identité professionnelle.

Une proportion non négligeable de travailleurs et travailleuses des métiers spécialisés de la construction et du secteur manufacturier vivent de la détresse psychologique et certaines causes de cette détresse sont associées à l’identité professionnelle.

C’est ce qui se dégage des résultats d’une étude menée par la chargée de cours Geneviève Cloutier, sous la direction du professeur Alain Marchand, tous deux de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal*.

Mme Cloutier a voulu explorer de quelle façon l’identité professionnelle et sa fragilisation sont liées aux symptômes de détresse psychologique dans ces métiers spécialisés: pour la chercheuse, l’omission du concept d’identité professionnelle dans la littérature scientifique constituait «une limitation importante dans la compréhension du phénomène de la détresse psychologique».

Incursion scientifique dans le monde de la construction

De mars 2016 et août 2017, Geneviève Cloutier s’est affairée à soumettre des questionnaires aux travailleuses et travailleurs spécialisés de la grande région de Montréal.

Le questionnaire visait à mesurer la détresse psychologique, les variables de l’identité professionnelle (estime collective du groupe professionnel, collectivisme-distance hiérarchique-intégration des différences, type de métier) et les variables de la fragilisation de l’identité professionnelle (justice interactionnelle, utilisation des compétences, autonomie décisionnelle, soutien social, demandes au travail et insécurité d’emploi).

Pour recueillir les données sur les chantiers de construction, elle a distribué des questionnaires qui, une fois remplis, devaient être déposés dans des boîtes sécurisées par un cadenas; en milieu manufacturier, elle les a remis au cours de rencontres sur la santé et la sécurité au travail.

Au total, 282 personnes de 21 métiers spécialisés ont répondu au questionnaire. Près de la moitié d’entre elles sont issues du secteur de la construction; seulement 21 femmes ‒ ou 7,4 % de l’échantillon ‒ ont pris part à l’étude.

Identité professionnelle et détresse psychologique

Alain Marchand

Crédit : Amélie Philibert

Le concept d’identité professionnelle fait référence à l’ensemble des pratiques et coutumes qui favorisent la reconnaissance dans l’exécution de ses tâches ainsi que l’affirmation de soi dans la sphère du travail.

Et dans les secteurs de la construction et manufacturier, où les métiers spécialisés sont principalement occupés par des hommes (électricien, électromécanicien, peintre, maçon, grutier, opérateur de machinerie lourde par exemple), l’identité professionnelle est enracinée dans des valeurs de compétition, de force, de puissance et d’affirmation de soi.

Or, la crainte de perdre ces valeurs ou le sentiment de diminution de sa compétence et la baisse éventuelle de l’estime de soi notamment peuvent engendrer de la détresse psychologique.

Ainsi, Mme Cloutier et M. Marchand ont observé dans un premier temps que les fortes demandes au travail et l’insécurité d’emploi constituent des éléments de l’identité professionnelle qui entraînent de la détresse psychologique.

De même, le fait de s’identifier fortement à son métier s’accompagne d’une plus grande inquiétude de perdre ses valeurs masculines et d’un risque accru de ressentir de la détresse psychologique «entre autres avec l’arrivée des femmes dans le champ d’activité».

Sur ce plan, les données indiquent que les femmes sont plus touchées par la détresse psychologique dans les métiers spécialisés.

«Nous avons remarqué que, à l’inverse, plus il y a intégration des différences dans un métier, moins il y a de détresse psychologique et plus les relations sont harmonieuses entre collègues», précise Geneviève Cloutier.

C’est le cas parmi les peintres et les électriciens, où la présence des femmes est plus grande et où l’on observe des valeurs plus intégratrices, selon les auteurs de l’étude.

Enfin, l’âge s’est avéré un élément significatif dans cette étude: plus une personne qui exerce un métier spécialisé est jeune, plus elle ressent de la détresse psychologique.

Des pistes de solution pour les employeurs et les syndicats

Pour Geneviève Cloutier, les conclusions de l’étude mettent en lumière l’importance d’agir sur les dimensions identitaires afin de réduire les symptômes de détresse psychologique dans les métiers spécialisés.

«Une avenue pour diminuer la détresse psychologique est de s’intéresser aux conditions de l’organisation du travail, dit la chercheuse. Le milieu de la construction est réputé pour susciter de forts niveaux de stress, d’anxiété et de dépression, particulièrement en raison des environnements de travail incertains et des relations interpersonnelles complexes.»

Elle insiste aussi sur le fait que les employeurs et les syndicats ont un grand rôle à jouer dans la culture des métiers, par exemple en valorisant les métiers spécialisés et en intégrant davantage les valeurs d’inclusion et d’ouverture aux différences.

«Contrairement au secteur manufacturier, où existent souvent des politiques de tolérance zéro, peu de travailleurs et travailleuses du secteur de la construction distinguent ce qui est acceptable ou non en matière de harcèlement; un cours sur le harcèlement et la violence devrait être intégré à leur formation professionnelle», conclut Geneviève Cloutier.

 

* Intitulée «L’influence de l’identité professionnelle sur la détresse psychologique dans les métiers spécialisés des secteurs de la construction et manufacturier au Québec», l’étude a été récemment publiée dans la Revue canadienne de santé publique.

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