Des profs et leurs combats contre la COVID-19
- Revue Les diplômés
Le 21 octobre 2020
- François Guérard, Martin LaSalle
Face à une crise d’une ampleur inégalée, des professeurs et professeures de l’UdeM se sont lancés dans la recherche de solutions. Quatorze d’entre eux nous font part de leurs réflexions.
La pandémie de COVID-19 a entraîné une mobilisation sans précédent à l’Université de Montréal. Au plus fort de la crise, de nombreux membres de la communauté universitaire sont montés au front, offrant leurs services dans les centres de soins, retournant à leur laboratoire ou prenant la plume et le micro pour éclairer les décideurs et le grand public.
Caroline Quach-Thanh
Comment nos anticorps se comportent-ils?
Port d’attache: Département de microbiologie, infectiologie et immunologie
Son objectif: étudier le risque de réinfection chez les personnes qui ont été atteintes de la COVID-19
«La grande question qu’on se pose présentement est de savoir si une infection à la COVID-19 nous protège pour de bon ou pas. La question de l’immunité naturelle est d’importance, car elle oriente les stratégies de la santé publique. Or, pour le moment, nous connaissons mal la réponse immunitaire des patients qui ont guéri de la maladie. Voilà pourquoi mon équipe suivra pendant une année près de 750 travailleurs et travailleuses de la santé de la grande région de Montréal qui ont été infectés par le virus, en les soumettant périodiquement à des prises de sang et à des questionnaires. Nous cherchons ainsi à déterminer s’il existe un risque de réinfection. Grâce à ce travail, nous pourrons peut-être découvrir si une protection se développe naturellement chez les personnes ayant été contaminées.»
Jean-Claude Tardif
À la recherche d’un traitement facilement accessible
Port d’attache: Département de médecine
Son objectif: prévenir les complications chez les patients atteints de la COVID-19
«Nous cherchons à garder les personnes atteintes de la COVID-19 loin des unités de soins intensifs. Dès la fin mars, nous avons lancé, à l’Institut de cardiologie de Montréal, une vaste étude internationale qui a reçu de solides appuis, dont ceux du gouvernement du Québec, des National Institutes of Health américains et de la Fondation Bill et Melinda Gates. Nous évaluons auprès de 6000 patientes et patients infectés de sept pays si la colchicine, un puissant anti-inflammatoire couramment utilisé en médecine, peut prévenir les complications inflammatoires graves pouvant mener au décès. L’étude est très importante, car le traitement sera accessible dès que les résultats seront disponibles, puisqu’on peut déjà se procurer de la colchicine à la pharmacie du coin.»
Benoît Mâsse
Le vaccin ne sera pas une solution miraculeuse
Port d’attache: École de santé publique
Son objectif: aider les autorités à planifier la distribution d’un éventuel vaccin
«La découverte d’un vaccin contre la COVID-19 sera célébrée par tous, mais cette nouvelle ne devra pas être perçue comme le signal que tout peut revenir à la normale dans l’immédiat. Certaines mesures de distanciation physique devront être maintenues pour encore quelque temps. Même si l’on produit mondialement 100 millions de doses dans les six premiers mois, ce qui est énorme, tout le monde ne pourra pas être vacciné. En outre, ce vaccin ne pourrait être que partiellement efficace, un peu comme le vaccin contre la grippe saisonnière, ce qui risque de créer un faux sentiment de sécurité au sein de la population. Dans nos modélisations de distribution d’un éventuel vaccin, il y a un seuil à partir duquel l’augmentation des comportements à risque annule l’effet d’un vaccin partiellement efficace. Nous aurons donc besoin de la collaboration de tous.»
Thierry Karsenti
Le Netflix de la pédagogie
Port d’attache: Département de psychopédagogie et d’andragogie
Son objectif: soutenir les parents qui accompagnent leurs enfants dans leurs apprentissages scolaires à distance
«En mars dernier, mon équipe et moi avons reçu le mandat du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de concevoir une plateforme pour permettre aux élèves de réaliser des activités pédagogiques pendant la suspension des cours découlant de la pandémie. Dix jours plus tard, la plateforme L’école ouverte était lancée. Nous l’avons conçue pour que parents et élèves puissent choisir l’année d’études et la matière à apprendre ou à consolider, un peu comme sur Netflix, où l’on trouve des contenus bonifiés quotidiennement. Au plus fort de la pandémie, plus de 20 millions de visiteurs du Québec et d’ailleurs y accédaient chaque jour: ce qui me réjouit, c’est que les parents se sentent concernés par l’éducation de leurs enfants! Avec les données que nous avons recueillies sur l’utilisation de la plateforme, nous y apporterons des améliorations.»
Alain Roy
Gare au recul de l’égalité des sexes
Port d’attache: Faculté de droit
Son objectif: rappeler l’urgence d’entreprendre la réforme du droit de la famille au Québec
«Le prolongement de la pandémie risque d’inciter plusieurs mères à mettre leur carrière sur pause pour rester à la maison afin de s’occuper des enfants. Les pères continueront d’accumuler des avoirs et poursuivront leur ascension sociale et, si une rupture survenait, les femmes en union de fait se retrouveraient en situation précaire, puisque le droit de la famille ne les protège toujours pas. Le droit de la famille au Québec est désuet: réformé pour la dernière fois au début des années 80, il ne procure de protections juridiques qu’aux seuls conjoints mariés et unis civilement, à l’exclusion des conjoints de fait. Dans un contexte où plus de 40 % des couples québécois vivent en union de fait et où 60 % des enfants naissent hors mariage, et où les mères assument encore et toujours plus que leur part des tâches familiales, il y a certainement lieu de s’inquiéter. La réforme du droit familial est un dossier fondamental qui doit être mené prioritairement.»
Roxane de la Sablonnière
La conscience sociale au temps de la COVID-19
Port d’attache: Département de psychologie
Son objectif: suivre l’évolution des comportements sociaux des Canadiens en lien avec la pandémie
«À part les Autochtones qui ont vécu la colonisation, nous n’avons pas subi beaucoup de grands bouleversements au Canada jusqu’à ce jour. Pour des chercheuses comme moi, la pandémie de COVID-19 est une occasion de se demander si, par exemple, ici au pays, la cohésion sociale est possible en temps de crise. Au début de la pandémie, la grande majorité des Canadiens et des Canadiennes rapportait respecter les consignes sanitaires dans le but de limiter la propagation du virus. L’essentiel de la population est donc prêt à restreindre ses libertés individuelles afin de minimiser les répercussions de la COVID-19. Comment peut-on expliquer cela? Les résultats préliminaires de nos recherches montrent que la perception de la clarté et de la cohérence des politiques publiques a un effet important sur le comportement des gens. Il faudra en tenir compte lors des prochaines crises.»
Roxane Borgès Da Silva
De meilleures conditions pour les travailleurs de la santé
Port d’attache: École de santé publique
Son objectif: contribuer à la réflexion pour une meilleure organisation des soins de santé
«La pandémie a levé le voile sur les forces et les faiblesses de notre système de santé. D’un côté, le réseau a su se réorganiser rapidement pour libérer des lits afin d’être en mesure de faire face à une augmentation des hospitalisations liées à la COVID-19. De l’autre, les travailleurs et travailleuses de la santé ont accompli leurs tâches dans des conditions pas toujours propices à des soins sécuritaires et de qualité. Certains en CHSLD ont été laissés à eux-mêmes en pleine crise, beaucoup d’entre eux n’étaient pas formés pour porter des équipements de protection et, parfois, les mêmes personnes travaillaient dans différents établissements. Un changement de culture sera nécessaire au sein du réseau. Les clés du succès seront le rehaussement de la formation de l’ensemble du personnel et une meilleure planification des ressources humaines. Les solutions sont à portée de main, mais il faudra un effort de leadership important pour les appliquer.»
Laurence Monnais
Nous n’étions pas prêts
Port d’attache: Département d’histoire
Son objectif: sensibiliser les décideurs à l’importance de réinvestir durablement en santé publique
«Si l’histoire est jalonnée de fléaux infectieux mondiaux, de la variole à la grippe H1N1 en passant par le choléra et la peste, la pandémie que nous traversons met en relief l’impréparation des sociétés contemporaines occidentales face à un risque viral inconnu. Plus largement, elle révèle le peu d’intérêt que nous avons porté à la santé publique comme champ d’intervention institutionnalisé et dûment financé sur le plan national comme à l’échelle internationale. L’histoire de la lutte contre les maladies infectieuses depuis les années 60 – ces années qui ont annoncé l’âge d’or de la vaccination et la mise en place de systèmes de santé de plus en plus hospitalocentrés et ciblant les soins individuels – mérite en ce sens d’être explorée davantage pour mieux saisir la nature de cette négligence. Nous trouverions ainsi des pistes utiles pour réinvestir dans certains secteurs clés de la santé publique, qu’il s’agisse d’éducation aux gestes barrières à l’école ou de stockage de masques.»
Timothée Poisot
Localiser la prochaine pandémie
Port d’attache: Département de sciences biologiques
Son objectif: prévoir quand et où surviendra la prochaine pandémie
«Ce n’est pas pour être prophètes de malheur, mais nous estimons que toutes les conditions sont réunies pour que de nouvelles infections apparaissent: il s’agit de déterminer où et quand! Comme la plupart des maladies émergentes, l’origine de la COVID-19 est animale. On ignore toujours si le passage vers l’humain a eu lieu dans un marché public, mais un consensus se dessine autour de son point de départ, une chauve-souris. À partir de ce modèle de transmission, nous mettrons au point une cartographie des risques, dont l’un des volets sera destiné aux preneurs de décisions: en ayant une meilleure idée des risques courus par les populations humaines, ils pourront mettre en place des mesures préventives. Pour l’heure, le Québec n’est pas le territoire le plus menacé, mais cela pourrait changer si l’on multiplie nos contacts avec les milieux naturels et avec les espèces animales qui se déplacent en raison des changements climatiques.»
André Charette
L’indépendance pharmaceutique est possible au Canada
Port d’attache: Département de chimie
Son objectif: résoudre le problème des pénuries de médicaments au pays en situation de crise
«La pandémie a révélé l’une de nos vulnérabilités nationales: nous dépendons d’autres pays pour l’approvisionnement en médicaments essentiels. Or, nous possédons ici la technologie et l’expertise pour produire à peu près n’importe quels ingrédients actifs pour les médicaments. Nous sommes parmi les leaders mondiaux dans la fabrication de molécules à petite échelle grâce à la synthèse en flux continu, une technique qui a été en partie mise au point à l’Université de Montréal et qui ne requiert pas d’installations importantes comme celles qui sont présentement utilisées un peu partout dans le monde. Il nous suffirait d’acheminer les molécules ainsi produites aux compagnies capables d’en faire la formulation destinée au marché. Pourquoi ne pas profiter de cette expertise? Nous ferions d’une pierre deux coups en sauvant des vies et en contribuant à l’économie locale.»
Gérard Beaudet
La ville tel un laboratoire
Port d’attache: École d’urbanisme et d’architecture de paysage
Son objectif: mettre en perspective les changements urbains relatifs à la pandémie
«L’histoire ne manque pas d’exemples de villes qui se sont transformées pour le mieux en réponse à des problèmes sociosanitaires d’envergure. Au 19e siècle, le mouvement hygiéniste a poussé Montréal à s’attaquer au problème de la promiscuité, notamment par la création de grands lieux publics, comme les parcs La Fontaine et du Mont-Royal.
«La crise actuelle nous offre l’occasion d’expérimenter un certain nombre de choses avec moins de résistance qu’au cours des dernières années, comme l’aménagement de rues piétonnes et l’extension du réseau de pistes cyclables. Verra-t-on une transformation durable de la ville au profit des piétons et des cyclistes? Cela reste à voir. Il faudra prendre le temps de mesurer les effets de ces initiatives et pérenniser ce qui s’avérera le plus prometteur.»
Sonia Lupien
Le stress comme outil d’adaptation
Port d’attache: Département de psychiatrie et d’addictologie
Son objectif: permettre aux gens de mieux gérer leur stress en situation de crise
«Cette pandémie constitue une situation sans précédent: pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous sommes toutes et tous exposés au même stresseur en même temps, et ce n’est pas terminé! Il est tout à fait normal de ressentir du stress en temps de crise. Je dirais même qu’un peu de stress est nécessaire, puisqu’il nous aide à nous adapter aux situations nouvelles et imprévues et à passer à l’action. L’humain est une formidable machine à s’adapter. Utilisons cet avantage, acceptons les choses telles qu’elles sont et prenons les mesures qui s’imposent. Autrement, on lutte contre le fait de ne plus pouvoir faire les choses de la même façon et c’est là que le stress devient nocif. La réponse de stress a aidé nos ancêtres à survivre aux mammouths; alors elle nous aidera aussi à survivre à cette pandémie!»
Hélène Carabin
Pour une seule santé
Port d’attache: Faculté de médecine vétérinaire et École de santé publique
Son objectif: faire comprendre que les santés humaine, animale et environnementale sont interdépendantes
«Cette crise nous enseigne qu’il n’y a pas d’un côté la santé de la faune et la santé des animaux domestiques et de l’autre la santé humaine. Il n’y a qu’une seule santé, qui est celle des écosystèmes à l’échelle planétaire. De nombreux phénomènes, comme les changements climatiques, l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture, modifient les interactions entre les espèces, ce qui est propice aux zoonoses, les maladies qui se transmettent de l’animal à l’humain. Pour prévenir de nouvelles catastrophes sanitaires, nous devrons assurer un équilibre durable entre la croissance des populations humaines, la santé, l’exploitation du territoire et la sauvegarde de notre planète.»
Tania Saba
Une nouvelle ère de télétravail
Port d’attache: École de relations industrielles
Son objectif: mieux comprendre l’adaptation au travail à distance
«Qu’adviendra-t-il du télétravail après la COVID-19? Je pense que la formule va demeurer. Les premiers résultats d’une étude que nous avons menée ce printemps auprès de 4000 personnes montrent que 52 % des personnes qui ont télétravaillé depuis le déclenchement de la crise désirent continuer de le faire. Les gestionnaires sont nombreux et nombreuses à découvrir que le télétravail peut favoriser la productivité, pourvu que certaines conditions soient réunies. Je note l’importance de maîtriser les technologies et de disposer du soutien organisationnel adéquat pour travailler à distance. Le grand défi revient à redéfinir certaines responsabilités et certains critères de performance pour clarifier les objectifs à atteindre. Tout aussi important est de maintenir, en dépit de la distance, un lien fort entre collègues; les personnes qui se sentent isolées et loin des centres de décision se disent moins productives. Le télétravail, adéquatement implanté, est susceptible de répondre à des priorités en matière de qualité de vie et de développement durable.»