Les horaires de travail atypiques provoquent des conflits familiaux

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  • Le 19 janvier 2021

  • Martin LaSalle
Les personnes qui ont des horaires de travail atypiques sont plus à risque de vivre des conflits familiaux pouvant altérer tant la stabilité du couple que la qualité de la relation parentale.

Les personnes qui ont des horaires de travail atypiques sont plus à risque de vivre des conflits familiaux pouvant altérer tant la stabilité du couple que la qualité de la relation parentale.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Une étude menée par des professeurs de l’École de relations industrielles de l’UdeM décompose les conséquences néfastes liées aux horaires de travail atypiques.

Travailler dans des quarts de travail de soir, de fin de semaine ou rotatifs comporte son lot d’inconvénients: les personnes qui ont des horaires de travail atypiques sont plus à risque de souffrir de symptômes dépressifs et d’épuisement professionnel… et de vivre des conflits familiaux pouvant altérer tant la stabilité du couple que la qualité de la relation parentale.

Si plusieurs études ont déjà montré que ces horaires atypiques peuvent affecter négativement la santé et les relations interpersonnelles, aucune n’avait encore permis de déterminer les mécanismes conduisant à ces effets délétères.

Considérant qu’en moyenne plus du quart de la main-d’œuvre est soumis à des horaires de travail atypiques dans les pays occidentaux, le professeur Victor Haines, de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, a voulu élucider cette question théorique susceptible de mener à des mesures concrètes dans les entreprises pour le mieux-être des personnes qu’elles emploient.

Plus de 9000 parents sondés

Victor Haines

Composée de Sylvie Guerrero et d’Émilie Genin, de l’UdeM, et de Pascal Doray-Demers, de l’Université Concordia, l’équipe de chercheurs du professeur Haines a extrait des données issues d’entrevues et de questionnaires auxquels ont répondu les participants de l’Enquête québécoise sur l'expérience des parents d'enfants âgés de 0 à 5 ans (EQEPE) 2015.

Pour les besoins de l’étude*, les chercheurs ont porté leur attention sur les réponses de 9150 parents ayant un emploi rémunéré, dont 29 % travaillaient selon un horaire atypique au moment de l’enquête.

De nombreuses variables ont été prises en compte, comme l’âge, la scolarité, le statut matrimonial, le nombre d’heures travaillées, le revenu et la santé perçue par les parents participants.

«L’information recueillie nous a surtout permis de mesurer la qualité relationnelle, les tensions ressenties et la qualité du rôle parental, explique M. Haines. Ce dernier point était évalué selon divers comportements parentaux reflétant soit le soutien et l’engagement, soit l’hostilité et la coercition.»

Une question d’insuffisance des ressources

L’analyse des données a été effectuée sous l’angle de la théorie de la conservation des ressources, formulée en 1989 par Stevan Hofbol: celle-ci stipule notamment que le stress psychologique résulte de la menace de perdre quelque chose ou encore d’avoir fourni un effort supérieur à la valeur du gain acquis.

«Du point de vue de cette théorie, les horaires de travail atypiques sont considérés comme une situation d’emploi qui menace l'état mental des individus et les ressources psychologiques dont ils ont besoin pour relever des défis ou obtenir des ressources supplémentaires», signale le professeur.

Par «ressources», on entend ici l’ensemble du réservoir d’énergie et de soutien psychologique auquel une personne peut avoir accès pour faire face aux facteurs de stress.

Victor Haines et son équipe ont ainsi démontré de quelle façon l’horaire de travail atypique est associé à une insuffisance de ressources qui provoque une séquence suscitant des tensions et des conflits.

«Les parents avec un horaire de travail atypique ont moins accès à des mesures de conciliation travail-famille dans leur milieu professionnel. Ces personnes rapportent aussi un moins grand soutien social à l’extérieur de leur milieu de travail, indique M. Haines. Cela entraîne davantage de conflits travail-famille et des tensions plus graves, dont découlent une qualité moindre du rôle de parent et plus de problèmes de santé.»

Cette séquence s’est avérée prédictive même en contrôlant notamment l’effet de plusieurs variables, dont le genre, l’âge, le niveau d’études, le revenu, le nombre d’enfants, le type de famille et le nombre d’heures travaillées.

Des pistes de solution… et quelques questionnements

Ces mécanismes étant maintenant connus, Victor Haines suggère des pistes de solution qui permettraient d’accentuer le bien-être individuel et familial de plus d’une personne sur quatre en situation d’emploi.

«Les employeurs doivent songer à mettre en place des mesures de soutien pour les gens dont les horaires de travail sont atypiques afin qu’ils puissent planifier leurs temps et ainsi réduire le risque de conflit, soutient-il. En outre, ces travailleuses et travailleurs doivent pouvoir compter sur leur famille et leurs amis pour obtenir davantage de soutien.»

Selon lui, la pandémie a permis de révéler le travail effectué par bon nombre de personnes en dehors des horaires normaux, et il souhaite qu’elle entraîne une réflexion sur les horaires atypiques.

«Nous avons une économie qui fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7… Les horaires atypiques comportent des coûts pour la société, la communauté et les familles. Il est peut-être temps de réfléchir au-delà du spectre économique pour penser au bien-être des individus soumis à ces horaires et de redéfinir le cadre du travail et des horaires», conclut-il.

* Victor Haines et coll., «Nonstandard work schedules, resource shortfalls, and individual/family functioning», International Journal of Stress Management, vol. 27, no 4, 2020, p. 346–357.

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