Les Scientifines: apprivoiser les sciences en acquérant des compétences
- UdeMNouvelles
Le 8 mars 2021
- Martine Letarte
Les Scientifines réalisent depuis bientôt 35 ans des activités scientifiques avec de jeunes filles de milieux défavorisés pour accroître la persévérance scolaire.
«Je voudrais être chirurgienne.» Cette phrase dite tout bonnement par Khadija illustre le chemin qu’elle a parcouru depuis trois ans avec Les Scientifines. Il faut dire que l’élève de sixième année est assidue. Chaque après-midi après l’école, elle se rend dans les locaux de l’organisme à but non lucratif pour y faire ses devoirs avec l’aide de l’animatrice et participer à l’activité scientifique proposée.
Pourtant, elle n’a pas toujours été passionnée de sciences. «Avant, je trouvais ça plate, mais maintenant j’aime ça.»
Les femmes demeurent largement minoritaires en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) au pays. D’après Statistique Canada, elles représentaient 34 % des titulaires d’un baccalauréat en STIM chez les 25 à 64 ans et 23 % des travailleurs en science et technologie en 2016.
L’objectif des Scientifines n’est pas de faire de toutes les filles des scientifiques. «Nous cherchons à stimuler leur intérêt pour les STIM et nous voulons qu’elles acquièrent une foule de compétences transversales utiles au quotidien, comme la capacité à cerner un problème, à trouver des solutions possibles et à évaluer les pour et les contre», explique Valérie Bilodeau, directrice générale des Scientifines.
C’est en 1987 que quatre chercheuses de l’École de travail social de l’Université de Montréal ont lancé l’organisme. «Elles voulaient agir auprès de filles issues de milieux défavorisés et elles ont réalisé qu’utiliser les sciences comme approche était un moyen concret d’augmenter leur estime d’elles-mêmes et de favoriser leur autonomisation», raconte Mme Bilodeau qui, formée en biologie, est devenue animatrice chez Les Scientifines en 2001 et directrice générale en 2009.
En plus d’avoir conçu un grand nombre d’activités scientifiques sur des thèmes variés, l’organisme propose un atelier de journalisme scientifique et aide les participantes à préparer un projet pour l’Expo-Sciences. Il a même accompagné une de ses protégées qui s’est rendue à la finale pancanadienne, puis qui a été invitée à l’APEC Youth Science Festival en Thaïlande.
De grands besoins
Les écoles où l’organisme est actif depuis des années sont dans l’arrondissement du Sud-Ouest, qui lui prête des locaux gratuitement. L’équipe mène aussi un projet pilote depuis deux ans à Saint-Léonard. «Dans ces milieux particulièrement multiethniques, défavorisés et où le taux de décrochage est très élevé, même si les parents sont remplis de bonne volonté, ils sont incapables d’aider leurs enfants dans leurs devoirs», constate Mme Bilodeau.
Pour convaincre les filles de venir faire leurs devoirs dans ses locaux et de participer à des activités scientifiques après l’école, il faut commencer par la base: créer un lien avec elles.
«Nous allons les chercher à l’école et nous marchons ensemble jusqu’à nos locaux où nous commençons par leur offrir une collation», indique Hélène Gadoury, animatrice intervenante chez Les Scientifines.
En fin de journée, le défi de capter leur attention et de canaliser leur énergie est grand. «Nous ne sommes ni l’école ni la maison: nous essayons de créer un espace sécuritaire où elles peuvent apprendre des choses, où leur curiosité est stimulée et où elles peuvent rêver, ajoute Mme Gadoury. Nous invitons d’ailleurs souvent des étudiantes en sciences à venir parler de leur parcours et donner des trucs pour persévérer. C’est important pour les filles d’avoir des modèles.»
Cibler les filles du primaire
Avec 125 participantes du primaire et de 15 à 20 du secondaire, l’organisme est d’avis qu’il faut agir tôt pour intéresser les filles aux sciences. Bien que Les Scientifines organisent quelques activités mixtes dans des écoles et bibliothèques (avant la pandémie), leurs efforts se concentrent sur les filles.
«Elles agissent souvent différemment des garçons, remarque Mme Bilodeau. Par exemple, si l’on met du matériel sur une table et qu’on demande de construire une voiture propulsée par l’air, en général les garçons sautent sur des morceaux et essaient des choses, alors que les filles réfléchissent d’abord à ce qu’elles feront. Elles ne deviendront pas les leaders du projet à cause de ça.»
Elle observe aussi que plusieurs filles veulent plaire aux garçons et osent moins dire leurs idées par peur d’être ridiculisées devant eux. «Elles sont généralement plus à l’aise entre filles, poursuit-elle. Mais les enseignants nous disent que l’assurance qu’elles gagnent avec nous paraît ensuite dans la classe mixte.»
Des résultats concrets
Pour mesurer l’influence des Scientifines, un sondage a été réalisé auprès d’anciennes participantes âgées de 18 et 25 ans. Plus de 100 ont répondu à l’appel et 95 % d’entre elles avaient obtenu un diplôme d’études secondaires, 39 % un diplôme collégial et 17 % un diplôme universitaire. De plus, 78 % étaient encore aux études, dont 23 % en science et technologie. Pas moins de 88 % des anciennes participantes ont affirmé que l’organisme avait accru leur persévérance scolaire.
«Nous avons aussi fait quelques entrevues individuelles et certains témoignages ont été bouleversants, raconte Valérie Bilodeau. Par exemple, nous avons appris qu’une jeune femme vivait des choses difficiles dans sa famille à l’époque et que la seule façon qu’elle voyait de se sortir de cette situation était d’étudier et elle est devenue ingénieure.»
Avec 13 employés, le financement est le nerf de la guerre pour les Scientifines. «Nous recevons des fonds des gouvernements provincial et fédéral ainsi que de fondations, mais nous voulons aller en chercher davantage auprès des entreprises», affirme Mme Bilodeau.
Les projets ne manquent pas. «L’an prochain, en plus de continuer nos activités dans Le Sud-Ouest, nous aimerions poursuivre notre travail à Saint-Léonard et même y ajouter deux groupes, conclut la directrice générale. Les besoins y sont grands.»