Quand chercheurs et Inuits s’unissent pour vacciner les chiens contre la rage

De concert avec des partenaires des communautés inuites à Kuujjuaq et Kuujjuarapik, ainsi que des communautés crie de Whapmagoostui, innue de Matimekush-Lac John et naskapie de Kawawachikamach, les chercheurs élaborent un programme collaboratif de protection de la santé animale et de la santé publique pour contrer la rage de même que d’autres maladies infectieuses chez les chiots.

De concert avec des partenaires des communautés inuites à Kuujjuaq et Kuujjuarapik, ainsi que des communautés crie de Whapmagoostui, innue de Matimekush-Lac John et naskapie de Kawawachikamach, les chercheurs élaborent un programme collaboratif de protection de la santé animale et de la santé publique pour contrer la rage de même que d’autres maladies infectieuses chez les chiots.

Crédit : Caroline Sauvé

En 5 secondes

Chez les Inuits, les chiens sont exposés à la rage et les enfants sont à risque de morsures. Les savoirs autochtones et la science vétérinaire unissent leurs forces pour répondre à cet enjeu de santé.

Depuis des générations, les chiens font partie du quotidien des Inuits. En plus d’agir comme moyen de transport efficace, ils ont sauvé la vie de nombreux chasseurs, que ce soit en les ramenant à la maison à travers les blizzards, en venant à leur secours lorsque la glace cédait sous leur poids ou encore quand ils étaient attaqués par des animaux sauvages.

Toutefois, l’ampleur des populations canines dans les communautés est aujourd’hui telle que les cas de morsures sont fréquents, tant entre les chiens eux-mêmes que chez les habitants: selon une étude menée il y a trois ans, 293 morsures par des chiens ont été rapportées sur le territoire du Nunavik de 2008 à 2017, touchant surtout des enfants de moins de 10 ans ainsi que des jeunes de 15 à 34 ans.

Si des attaques occasionnelles surviennent en raison de l’agressivité accrue des mâles en présence de femelles en chaleur, elles découlent aussi de la rage, transmise par des animaux sauvages comme le renard arctique et le renard roux – de plus en plus présent au nord en raison de la destruction de son habitat au sud et du réchauffement climatique.

Les premiers pas d’un programme en devenir

Sarah Berthe est une participante active du programme de vaccination contre la rage instauré par le MAPAQ et administré par la Faculté de médecine vétérinaire de l'UdeM.

Crédit : Caroline Sauvé

Dès 2008, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) sollicite la Faculté de médecine vétérinaire (FMV) de l’Université de Montréal pour que des chercheurs collaborent à la prévention de la rage au Nunavik et à la lutte contre cette maladie, et pallient le manque d’expertise vétérinaire dans ce vaste territoire de 500 000 km2.

Alors coordonnatrice du Groupe international vétérinaire de la faculté, Cécile Aenishaenslin participe à la création d’un projet en santé animale et en santé publique pour soutenir les communautés nordiques dans la prévention de la rage et les traitements des animaux.

«L’une des solutions souvent recommandées aux communautés est d’attacher leurs chiens, explique la professeure du Département de pathologie et microbiologie de la FMV. Mais cette mesure est peu respectée, car elle va à l’encontre des valeurs et des pratiques inuites en matière d’élevage des chiens et ne tient pas compte de la nécessité de les laisser libres pour qu’ils trouvent leur nourriture, dépensent leur énergie, diminuent leur agressivité territoriale et socialisent entre eux.»

De plus, la question des chiens est exacerbée par le souvenir d’évènements difficiles à oublier pour les Inuits.

«Dans les années 50-60, les gouvernements ont voulu réduire les nuisances liées aux chiens dans les villages et les politiques de contrôle mises en place ont donné lieu à l’abattage de milliers de chiens par la police, relate le professeur André Ravel. Encore aujourd’hui, ces évènements sont la source d’un vif traumatisme au Nunavik et sont possiblement responsables d’un manque de confiance à l’égard des administrations publiques.»

Naissance d’un projet collaboratif avec les Inuits

Depuis 2008, des chercheurs et des stagiaires de la Faculté de médecine vétérinaire se rendent dans les communautés et tissent des liens étroits avec les responsables inuits.

Ce qui mène, en 2015, à un premier projet pilote à Kuujjuaq qui vise à prendre le pouls des communautés vis-à-vis de la problématique des morsures de chiens et de la propagation de la rage.

Avec le soutien des Instituts de recherche en santé du Canada, une équipe multidisciplinaire est créée en 2018 pour élaborer un projet de recherche axé sur une approche participative qui intègre les connaissances autochtones et la science moderne aux stratégies de réduction des problèmes de bien-être physique, mental et social découlant des relations entre chiens et humains.

De concert avec des partenaires des communautés inuites à Kuujjuaq et Kuujjuarapik, ainsi que des communautés crie de Whapmagoostui, innue de Matimekush-Lac John et naskapie de Kawawachikamach, les chercheurs élaborent un programme collaboratif de protection de la santé animale et de la santé publique pour contrer la rage de même que d’autres maladies infectieuses chez les chiots, dont la maladie de Carré.

Des programmes à pérenniser

Depuis deux ans, chercheurs et Inuits s’affairent à répertorier et analyser les problèmes de santé associés aux chiens ainsi que les avantages de cette coopération dans les cinq communautés.

Ensemble, ils ont réfléchi sur les solutions potentielles, leur faisabilité et leur implantation. Ainsi, des vétérinaires participent à la formation de vaccinateurs locaux et à Kuujjuaq, où le programme est un peu plus avancé, une clinique est maintenant en activité grâce à la présence de la vétérinaire Nadeige Giguère.

Cette démarche a aussi permis de mettre en œuvre un projet éducatif auquel prennent part 11 enseignants du primaire au Nunavik pour sensibiliser les enfants aux comportements susceptibles de les mettre à risque de morsures ou de blessures infligées par les chiens.

En parallèle, la Faculté de médecine vétérinaire continue d’administrer le programme de vaccination contre la rage instauré par le MAPAQ dans les années 80.

D’abord confiée au responsable de la pharmacie de la FMV, Yves Rondenay, la direction de ce programme incombe à son collègue Guillaume Théberge depuis septembre 2019.

«La pandémie a ralenti la progression de l’offre de services vétérinaires, convient le DThéberge. Il n’y a pas eu de formation en personne en 2020, mais nous avons proposé un accompagnement à distance en continu aux personnes qui en ont fait la demande et nous avons implanté des services de télémédecine grâce au soutien de la fondation PetSmart Charities.»

Pour Caroline Sauvé, qui était stagiaire finissante au doctorat en médecine vétérinaire en 2019, l’expérience au Nunavik a été des plus marquantes. Elle et ses collègues ont visité 10 communautés où ils ont formé des vaccinateurs locaux contre la rage.

«J’ai été ravie de contribuer à l’acquisition d’une expertise locale pour assurer la continuité du programme, conclut celle qui est aujourd’hui vétérinaire. Plusieurs jeunes se sont impliqués à travers ce programme, et je me réjouis de savoir que certains nourrissent le désir de devenir vétérinaires pour accroître l’offre de services dans leurs communautés.»