Un lexique pour les futurs ébénistes

Pour le chercheur, travailler sur un tel lexique comportait des défis particuliers. Plutôt que d’essayer de trouver «le» bon terme du point de vue linguistique, quitte à aller à l’encontre de l’usage, le mot devait plutôt décrire l’usage, sans le modifier.

Pour le chercheur, travailler sur un tel lexique comportait des défis particuliers. Plutôt que d’essayer de trouver «le» bon terme du point de vue linguistique, quitte à aller à l’encontre de l’usage, le mot devait plutôt décrire l’usage, sans le modifier.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Un professeur et une étudiante de l’UdeM élaborent un lexique pour l’industrie du meuble en collaboration avec un organisme d’insertion sociale.

«On avait l’idée de mettre en place un cours de français spécifique à notre industrie», dit Yolaine Plante, adjointe de direction chez Bois urbain, une entreprise qui favorise depuis 25 ans l’insertion socioprofessionnelle. L’organisme, qui s’adresse plus particulièrement aux jeunes et aux immigrants, voulait aider sa clientèle à mieux maîtriser la langue de travail et le vocabulaire propre à l’industrie.

C’est finalement un lexique qui a été produit, grâce au financement du programme Le français au cœur de nos ambitions, de l’Office québécois de la langue française. Le Lexique pour l’industrie du meuble québécois a été conçu par Patrick Drouin, professeur au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, et son étudiante en traduction Florence Bois-Villeneuve. «L’anglais en général prend de plus en plus de place en milieu de travail. Des initiatives comme celle-là sont importantes et nous avons voulu apporter notre contribution dans le domaine», confie Mme Plante.

De l’usage au lexique

Patrick Drouin

«Des gens de Bois urbain ont communiqué avec moi, et je trouvais le projet intéressant parce qu’on voulait concevoir un lexique proche de l’usage. C’est un peu différent de ce qu’on fait d’habitude», raconte M. Drouin. Pour le chercheur, travailler sur un tel lexique comportait des défis particuliers. Plutôt que d’essayer de trouver «le» bon terme du point de vue linguistique, quitte à aller à l’encontre de l’usage, le mot devait plutôt décrire l’usage, sans le modifier.

«Dans le cas de l’ébénisterie, il y a un vocabulaire qui est déjà bien établi», constate le professeur. Ainsi, le lexique s’est construit au fil d’échanges continus entre les concepteurs et les usagers (autant des employés de Bois urbain que des experts externes), une démarche loin des méthodes traditionnelles. «Souvent, on agit en vase clos. Là, on avait un accès quotidien aux spécialistes de Bois urbain», remarque-t-il.

Après avoir choisi les termes les plus utilisés et décidé du regroupement par thèmes, les concepteurs ont commencé le travail terminologique: recherche de sources, comparaisons. «Nous voulions orienter le vocabulaire sur l’usage québécois. Nous avons trouvé plusieurs choses sur Internet, mais ce n’était pas québécois», dit M. Drouin. Il fallait donc départager l’intuition et les interférences des termes franco-français ou anglais par exemple.

Les définitions devaient être simples et vulgarisées. «Le défi du travail du terminologue est de toujours recommencer à se familiariser avec un domaine», mentionne-t-il. La pandémie n’a pas facilité le travail, puisque les concepteurs du lexique ne pouvaient pas se déplacer pour voir les outils et les machines. De nombreux allers-retours entre les utilisateurs et les experts ont permis de lever les ambigüités. 

Pertinent pour tous

Au total, 200 termes courants ont été retenus et classés en regroupements logiques pour aider la compréhension, accompagnés de photos pour que les définitions soient le plus explicites possible. «Il a été conçu pour être facile à utiliser par le travailleur», souligne Yolaine Plante.

Le lexique devait être bien adapté à l’industrie manufacturière d’aujourd’hui: «Il existait un certain nombre de lexiques, mais l’accent était mis sur les meubles anciens et les outils artisanaux», précise Mme Plante. Des catégories ont également été ajoutées à la demande de Bois urbain, comme la section sur la sécurité au travail. «On n’aurait jamais pensé à ça, mais au quotidien, c’est important. Il y a une terminologie à employer tous les jours», observe Patrick Drouin.

Le lexique sera utile autant pour les petites que pour les moyennes entreprises. Elles pourraient le mettre à la disposition de leurs employés ou s’en servir comme outil de formation. Celui-ci s’insère donc parmi les outils de Bois urbain pour former les travailleurs de l’industrie du meuble en français.

Pour le chercheur, travailler sur ce genre de projet concret est très intéressant. C’était aussi une occasion de former une étudiante à ce travail de description et d’écriture de dictionnaire. «Mon laboratoire de recherche produit beaucoup de lexiques, mais avec une portée théorique. C’est rare, mais toujours enrichissant de décrire le vocabulaire d’un domaine qu’on ne connaît pas», résume-t-il.

Avec ce projet tangible, le chercheur et son étudiante ont pu rapidement voir le résultat de leur travail. «On a une influence directe, et ça, pour des terminologues théoriques, ce n’est pas évident. Ça fait du bien», conclut-il.