Stéphane Aquin: revenir au MBAM par la grande porte

Stéphane Aquin

Stéphane Aquin

Crédit : Jean-François Brière

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Après avoir fait un saut au prestigieux Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, à Washington, Stéphane Aquin est rentré au bercail pour devenir directeur général du MBAM. Portrait.

Lorsque Stéphane Aquin se rend au bureau – l’un des plus beaux du pays, comptant quelque 45 000 œuvres d’art, dont des Rembrandt, Picasso, Dali, Renoir, Riopelle –, il traverse à bicyclette Le Plateau-Mont-Royal et une partie du centre-ville. Le nouveau directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) cadenasse son vélo et entre sans cérémonie dans le plus ancien musée du Canada, qu’il dirige depuis l’automne dernier.

«Je suis heureux d’être de retour à Montréal après six ans passés à Washington et je ne suis pas particulièrement angoissé devant les défis qui m’attendent, car je suis merveilleusement bien entouré», dit cet historien de l’art doublement diplômé de l’Université de Montréal (baccalauréat en 1985 et maîtrise en 1987).

Avenant, l’homme de 61 ans se prête volontiers à la campagne de presse qui marque son entrée en scène dans le navire amiral de la muséologie québécoise. Il sait que les regards seront braqués sur lui et qu’il a une «obligation de réussite».

Respecté dans le monde de l’art, particulièrement depuis qu’il a occupé un poste de direction au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, le musée national d’art moderne et contemporain des États-Unis relevant du prestigieux réseau Smithsonian, il n’avait pourtant jamais été une vedette de la scène culturelle canadienne. Tout a changé avec l’annonce de sa nomination à la suite du congédiement de sa prédécesseure dans un contexte de crise de gouvernance qui a fait grand bruit dans les médias. «On m’a même reconnu dans une pharmacie», s’amuse ce natif de Montréal qui met fin à 23 ans de régime français à la tête du MBAM (Guy Cogeval de 1998 à 2006 et Nathalie Bondil de 2007 à 2020).

Aquin, «mais pas aquinien»

Second fils de l’écrivain Hubert Aquin (1929-1977), l’historien de l’art a très peu connu son père. «Je suis aujourd’hui en paix avec Hubert Aquin. J’ai lu une partie de son œuvre, et c’est un immense écrivain, mais je n’en suis pas un expert. Je suis un Aquin… mais pas un aquinien», ajoute-t-il, sourire en coin.

Celui qui a grandi en Californie avec sa mère, Thérèse Larouche, et son frère aîné, Philippe, insiste sur ses origines modestes; sa famille ne roulait pas sur l’or. Sa mère l’a envoyé, avec son frère, dans un pensionnat catholique suisse pour leur assurer une éducation de qualité en français. «La vie de pensionnaire n’a pas été facile. On n’avait pas de famille en Suisse et puis le régime tranchait dramatiquement avec la vie californienne. C’était comme un voyage dans le temps, on était encore au 19e siècle, les trois messes par semaine, le silence dans le dortoir, les corrections physiques, les marches forcées dans les champs mouillés en février… Mais tout cela, c’est aussi l’expérience, ça forme!»

La nomination de Stéphane Aquin a été bien accueillie par le milieu culturel. «Son entrée en fonction est une bouffée d’air», a écrit Odile Tremblay dans Le Devoir. Jérôme Delgado, critique d’art visuel dans ce quotidien, souligne que le nouveau directeur général a longtemps fréquenté le milieu à titre d’observateur et de critique. «Il aime les artistes et ça paraît, affirme cet autre diplômé de l’UdeM (arts et sciences 1994). Son passé de critique et de chroniqueur l’aidera à bien comprendre le rôle social du Musée.»

La vengeance du décrocheur

Pourtant, Stéphane Aquin était tout, sauf un élève modèle et la direction d’un musée de classe mondiale (le 11e en Amérique du Nord et le 60e dans le monde) n’était pas dans son plan de carrière. Adolescent, il a fait quelques folies qui ne se racontent pas à micro ouvert. Et le pensionnat suisse, il l’a quitté avant l’obtention de son diplôme.

Il s'est tout de même épris d’art durant son séjour dans les cantons suisses. «Mon frère et moi avons été plongés dans la culture européenne classique. J’ai étudié le latin et l’allemand. En français, nous devions mémoriser des chapitres complets des œuvres de Corneille et Racine. Pour nos professeurs, Cyrano de Bergerac, c’était trop facile…»

Il revient au Québec dans les années 80 où il se fraie un chemin dans le milieu de la critique littéraire, puis comme critique d’art pour la revue Voir, de Montréal. Il y signe plus de 600 chroniques entre 1992 et 1998. Il s’intéresse à tous les aspects de la création sur les scènes régionale, nationale et internationale. Il publie aussi en anglais dans Applied Arts et Canadian Art, de Toronto.

Après sa maîtrise, sous la direction de Constance Naubert-Riser, il s’inscrit au doctorat en sociologie pour se pencher sur le rapport des gens avec l’art. Mais après avoir terminé la scolarité doctorale, il est happé par le marché du travail; il devient conservateur de l’art contemporain au MBAM, puis conservateur en chef au Hirshhorn Museum.

Il dit avoir appris des Américains, qui travaillent beaucoup en équipe. Dès son entrée en fonction à Montréal, il a créé un poste de directeur général adjoint pour partager les responsabilités de la gouvernance.

«Son expérience américaine le servira», approuve Jérôme Delgado. Il souligne que Stéphane Aquin pourrait être particulièrement doué pour revaloriser les collections d’art contemporain.

Mais le décideur pourrait nous surprendre. «Certaines collections du Musée doivent être valorisées davantage, comme les œuvres d’art décoratif, affirme-t-il. Et il faut rapprocher le Musée des artistes.»

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