«J'ai appris ce que signifie la belle vie»

Elisabeth Reynolds

Elisabeth Reynolds

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Nommée assistante spéciale du président américain Joe Biden, Elisabeth Reynolds, diplômée de l'UdeM, réfléchit à ce que son expérience chez nous lui a appris.

Elisabeth Reynolds commence par s'excuser. «Je suis désolée d'avoir dû reporter notre rendez-vous, mais c'est un tout nouveau monde pour moi ici, dit-elle de Washington. Je n’ai plus le contrôle de mon emploi du temps et je trouve cela très déconcertant.»

Nommée au début du mois de mars dernier assistante spéciale de Joe Biden pour le secteur manufacturier et le développement économique au National Economic Council, Mme Reynolds s’est installée à Washington après avoir travaillé longtemps dans le milieu universitaire. Elle était depuis 2010 chercheuse principale et directrice de l'Industrial Performance Center du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et chargée de cours au Département d'études urbaines et de planification du MIT.

Ses souvenirs sont encore vifs de ses années passées dans la métropole québécoise au milieu des années 90 pour faire sa maîtrise en économie à l'Université de Montréal. «Montréal a vraiment été un carrefour pour moi: j'avais un diplôme de premier cycle en science politique du Harvard College et je suis venue à Montréal pour travailler à l'Institut de recherche en politiques publiques [IRPP]. J’arrivais des États-Unis, j'avais travaillé à Londres après des études à l'Université de Cambridge et j'ai trouvé à Montréal une troisième façon de penser la politique économique et sociale.»

Elle explique qu’il ne s'agissait pas seulement d'une approche américaine axée sur le marché et le laisser-faire ni d'une approche européenne centrée sur le bien-être collectif. «C’était une approche qui combinait les deux: fiscalement plus conforme à celle des États-Unis, mais socialement plus conforme à celle de l'Europe.»

Aux yeux de l’assistante spéciale de Joe Biden, l'IRPP était un terrain fertile pour réfléchir et apprendre sur l'économie politique avec des collègues formidables. «Et il a révélé une lacune dans ma capacité à comprendre la politique publique, précise-t-elle. C'était l'économie et c’est pour cette raison que j'ai décidé à l’époque d’en faire mon autre domaine d'études.»

Le choix de l’UdeM

Acceptée dans des programmes de maîtrise dans deux autres universités, elle a choisi l'UdeM pour plusieurs raisons. «Il s'agissait d'un programme de deux ans qui me donnerait des bases durables en économie, il y avait un corps professoral de premier ordre – réputé aux échelles nationale et internationale – et je pouvais également améliorer le français que j'avais étudié au secondaire.»

Elle mentionne avoir eu d'excellents professeurs dont l'influence lui est restée jusqu'à ce jour, notamment l'expert en main-d'œuvre Thomas Lemieux, le spécialiste de la fiscalité François Vaillancourt et l'historien Leonard Dudley. Elle a suivi des cours qui lui permettaient d'explorer tous les sujets, des taux d'intérêt au chômage en passant par la micro- et la macroéconomie, ainsi que pour la première fois de sa vie la statistique. Elle se souvient que la plupart des documents écrits étaient en anglais. Le programme était donc comme un environnement «doux et indulgent pour quelqu'un comme moi qui ne maîtrisait pas totalement le français».

Elle affirme avoir acquis «non seulement un bagage solide en économie, mais aussi les fondements essentiels de son application. C'était une économie ancrée dans l'histoire et le monde réel, et c'était important pour moi parce que je voulais aller sur le terrain et utiliser ce que je savais pour apporter des changements à travers ma lentille de science politique».

L’intérêt pour les travailleuses

Supervisée par Thomas Lemieux (aujourd'hui professeur à l'Université de la Colombie-Britannique), Mme Reynolds a consacré sa thèse de doctorat au rôle croissant des femmes dans la main-d'œuvre américaine dans les années 80 et à l'écart salarial entre les hommes et les femmes. Cet intérêt pour les travailleuses remonte à son enfance. Elle a été élevée par un avocat plaidant et une enseignante devenue femme au foyer à Manchester, dans le New Hampshire. Cette ville autrefois prospère aux nombreuses usines de textile, où vivait une population importante de travailleurs immigrants canadiens-français, connaissait depuis un déclin industriel constant.

«Très tôt, j'ai été consciente de la perte d'emplois manufacturiers dans ma ville et de l'importance de créer de nouvelles perspectives de travail et de construire une classe moyenne forte, dont les femmes sont un élément central», se souvient Mme Reynolds.

Elle s'intéressait à la façon dont les femmes faisaient des choix en matière de travail et de famille. «Le parcours de ma mère, par exemple, était radicalement différent du mien. Le New Hampshire est aussi l'État où se déroulent les premières primaires présidentielles et donc, dès l'âge de 10 ans, j'ai participé à des campagnes pour les démocrates en faisant du porte-à-porte.»

Le respect du processus démocratique

Durant ses années en sol québécois, l’Américaine a été témoin de l'adoption de l'Accord de libre-échange nord-américain en 1994 et du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995.

«Mon séjour au Canada a été marquant, dit Elisabeth Reynolds. J'ai vu un pays leader mondial qui pouvait réellement soutenir les travailleurs et créer de bonnes conditions de vie pour la majorité de ses habitants. J'ai vu la démocratie en action – lorsqu'il y a un référendum sur le séparatisme avec un résultat de 51 % contre 49 % et que, le lendemain, tout le monde retourne au travail. Ce n'est certainement pas quelque chose que nous avons vécu aux États-Unis en janvier dernier», quand le Capitole a été envahi par les partisans du président défait.

«C'était impressionnant de voir un système politique à l'œuvre dans lequel des gens d'un côté se battaient pour en sortir et respectaient le processus pour le faire. C'est quelque chose que je n'ai jamais oublié.»

À Montréal, Mme Reynolds a également appris à bien vivre. «Le dimanche, je faisais une simple promenade dans le parc avec mes amis: tout était question de qualité de vie. Lorsque je suis retournée aux États-Unis [où elle a obtenu son doctorat au MIT en 2010], je n'en revenais pas des énormes portions de nourriture servies dans les restaurants. À Montréal, j'ai appris ce que signifie “la belle vie” sur tous les plans: social, politique, intellectuel et culturel. Ç’a été une période tellement importante pour moi.»

Restera-t-elle longtemps à Washington pour conseiller le président?

«Il n'y a pas de durée fixe pour ce travail», répond-elle. Elle ajoute en riant: «Tout ce qu'on m'a dit, c'est qu'en général les personnes occupant ce genre de poste restent quelques années avant de s'épuiser. Alors je m'y prépare!»

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