Vous pensez connaître l'anglais? Pas si vite!

Crédit : Michelle Huot

En 5 secondes

Dans le monde, 360 millions de personnes ont l'anglais comme langue maternelle et 990 millions l'ont appris comme deuxième langue. Mais plusieurs ont du mal à se débrouiller avec le nouveau jargon.

L'anglais, dit-on, est la lingua franca moderne, et ce, depuis un certain temps. Les rudiments de sa grammaire sont faciles à saisir, les bases du vocabulaire anglo-américain sont simples à apprendre et l’enracinement de la langue à travers les cultures est répandu.

Il n'est donc pas étonnant que l'anglais soit aujourd'hui la langue la plus usitée dans le monde. D'Antigua au Zimbabwe, quelque 1,3 milliard de personnes la parlent, soit environ un homme, une femme et un enfant sur cinq sur la planète.

Pour la grande majorité d'entre eux, l'anglais est la deuxième langue; seules 360 millions de personnes l'ont comme langue maternelle. Il y a beaucoup plus de locuteurs natifs du mandarin et de l'espagnol, mais l'anglais reste la première langue pour ce qui est de sa portée mondiale grâce à son adoption par d'autres.

Heike Harting est l'une de ces personnes. Née et élevée à Berlin, elle enseigne l'anglais à l'Université de Montréal depuis 2003, se spécialisant dans la littérature et la critique canadiennes, les études littéraires postcoloniales et les études sur la diaspora et la mondialisation.

Une évolution liée à l’adoption des technologies

Malgré son expertise, la professeure ne cesse d'être étonnée par la nature changeante de la langue anglaise. «J'ai une fille qui vient d'avoir 18 ans, elle est étudiante en sciences au collège Dawson et elle est aussi très forte en anglais, et parfois, quand elle parle, je ne la comprends pas», raconte Mme Harting en riant.

«Elle utilise des mots comme donowall [ignorer quelqu'un], qui vient du japonais, et je n'ai pas la moindre idée de ce dont elle parle. Ou l'autre jour au ping-pong, elle m'a joué dans un coin, je n'ai pas pu atteindre la balle et elle a dit “Ha! I juked you!”»

L'argot, les néologismes et les emprunts à d'autres langues donnent à l'anglais moderne une richesse qu'on ne trouve pas dans d'autres langues plus codifiées et enrégimentées comme le français, où le changement est plus lent à être adopté officiellement. Une langue qui change plus vite que la capacité de ceux et celles qui la parlent à suivre le rythme pose toutes sortes de problèmes de communication, même pour les locuteurs les plus habiles.

La vitesse à laquelle de nouvelles formes d'anglais ont été mondialisées s’explique d’après la professeure Harting par la technologie, notamment par l'influence de plateformes mondiales comme TikTok et Instagram, de jeux vidéos comme Fortnite et Candy Crush et de musiques populaires comme le rap et le hip-hop.

«Une grande partie du newspeak, comme le dirait [George] Orwell, provient des communautés de joueurs et des médias sociaux ainsi que des aspects de la culture afro-américaine, qui se sont généralisés grâce à la musique enregistrée», souligne Mme Harting.

Les nouveaux termes sont adoptés si rapidement que les mots argotiques eux-mêmes ont une durée de vie plus courte qu'auparavant. «Il y a un an, si vous vouliez décrire une expérience incroyable que vous aviez vécue, vous disiez que c'était epic [épique], donne-t-elle en exemple. Maintenant, c'est pog, abréviation de pogger, un terme que les gens ont commencé à lancer sur Twitch, une chaîne de jeux vidéos. C'est vraiment typique de la génération Z.»

Les noms des plateformes elles-mêmes – Google, Zoom, Teams, WhatsApp – contribuent à un élargissement de la diffusion de l'anglais dans le monde, une diffusion dont les racines sont en partie un héritage du colonialisme anglo-américain, selon la professeure.

La décolonisation de l’anglais

«Mais l'anglais n'est plus celui reçu de la reine d'Angleterre, affirme Mme Harting. Dans mon domaine, nous disons que l'anglais suit une dialectique d'abrogation et d'appropriation: vous prenez un terme utilisé dans un contexte colonial, vous le démontez et vous vous le réappropriez dans un contexte mineur. Vous obtenez un anglais qui n'est plus hégémonique. Ceux qui l'ont appris en tant que deuxième langue renvoient maintenant à l'Empire leur propre version de l'anglais. C'est la décolonisation, en grand et en large.»

À la fin des années 50, avec la publication de romans africains écrits en anglais, comme Things Fall Apart du Nigérian Chinua Achebe, est apparu ce qu'on appelle le «palimpseste africain», c'est-à-dire un anglais recouvert d'une variété de dialectes africains. De même, dans les Caraïbes, il existe un «anglais jamaïcain continu» – continu parce que son évolution est constante et fluide – illustré par des œuvres telles que le classique créole pour enfants Sprat Morrison, de Jean D'Costa.

«En tant que personne ayant appris l'anglais comme langue étrangère, indique Mme Harting, je peux attester que les nuances de l'anglais s'expriment à travers votre vocabulaire – vous créez du sens, de la complexité et du capital linguistique par votre choix de mots. En allemand et en français, en revanche, c'est la complexité de la structure que vous êtes capable de manier qui donne du sens à votre expression, et non la complexité du lexique.»

À ses yeux, cette possibilité d’ajouter et de soustraire du vocabulaire dans la langue anglaise explique pourquoi elle est si poétique. L'un des inconvénients, bien sûr, c'est qu'avec autant de variétés d'anglais – pas une seule lingua franca, mais plusieurs – les gens peuvent avoir du mal à se comprendre, tout comme c’est le cas parfois entre Mme Harting et sa fille. «Mais c'est aussi vrai pour la culture en général, mentionne la professeure. Nous vivons aujourd'hui dans des sociétés multistratifiées qui mettent l'accent sur le particulier plutôt que sur l'universel.»

Toutefois, un peu d'incompréhension n'est pas forcément une mauvaise chose. Dans le monde des jeux vidéos par exemple, lorsqu'un joueur de Tokyo en affronte un autre de Lagos et un autre de Berlin, et qu'ils accueillent ensuite un joueur de Moscou, ils se comprennent parce qu'ils parlent le même «anglais des joueurs». Ils ne se sentent pas du tout obligés de faire comprendre aux étrangers leur «langue du jeu» – ce n'est simplement pas une priorité.

La langue, c'est la communication, et la communication, elle, évolue, déclare Mme Harting. Dans toutes ses incarnations et variations, il semble que l'anglais ait de beaux jours devant lui.

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