Plonger dans la réalité carcérale des jeunes, un phylactère à la fois

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Au travers d’une bande dessinée, un professeur de l’UdeM offre une analyse sociologique du quotidien de jeunes contrevenants placés dans une unité de garde fermée d’un centre jeunesse de Montréal.

La bande dessinée Se battre contre les murs introduit le lecteur dans le quotidien de l’une des unités fermées de Cité-des-Prairies, un centre de réadaptation pour jeunes garçons situé dans le nord-est de Montréal.

Son auteur, le professeur du Département de sociologie de l’Université de Montréal Nicolas Sallée, s’est lancé le défi de poser un regard sociologique sur le fonctionnement de cette unité, avec la complicité de l’illustratrice Alexandra Dion-Fortin.

Pendant trois mois, le sociologue a passé une vingtaine de journées à arpenter Cité-des-Prairies pour en découvrir les rouages. «En plongeant au cœur des relations nouées entre les jeunes et leurs éducateurs, j’ai cherché à mettre en évidence les tensions entre les finalités de réhabilitation poursuivies par le personnel éducatif et les préoccupations sécuritaires inhérentes à tout établissement carcéral», explique le chercheur.

 

 

Ambivalence et euphémisme

Nicolas Sallée

Au cours de son enquête, qui repose également sur une exploration de l’histoire et des archives de l’établissement, Nicolas Sallée a ainsi constaté la dichotomie entre la visée de réinsertion du centre et sa dimension carcérale.

«Le centre a été bâti en 1963 selon des plans d’architecture d’une prison à sécurité maximale, précise le sociologue. La mission de réhabilitation des acteurs se heurte donc inlassablement à la structure carcérale du lieu.»

Nicolas Sallée ajoute que les jeunes vivent une sorte de double contrainte: une contrainte physique – incarnée par les portes, les grillages, les caméras de vidéosurveillance, etc. – et une contrainte spécifique à la réhabilitation – l’obligation de travailler sur soi et sur ses émotions, et de corriger ses pensées. «D’un côté, les jeunes bénéficient de nombreuses activités structurantes animées par du personnel qualifié et, de l’autre, ils sont soumis à une stricte discipline qu’on dit instaurer “pour leur bien”. Mais est-ce toujours le cas?» questionne-t-il.

Pour Alexandra Dion-Fortin, qui est également titulaire d’un diplôme en architecture de l’UdeM, le bâtiment peut presque être considéré, dans la bande dessinée, comme un personnage à part entière. «Dans chacun des chapitres, on traite de différents lieux qui incarnent tous des formes de la vie carcérale, comme les chambrettes qui ressemblent à des cellules, affirme l’illustratrice. Cette réalité teinte les dynamiques entre les intervenants et les jeunes.»

La mise en récit et en dessins de l’enquête de Nicolas Sallée rend donc saillante cette ambivalence, en plus de mettre en lumière le caractère «euphémisé» de cet établissement carcéral. «Le vocabulaire de la réhabilitation – on ne parle pas de cellules, de sanctions et d’isolement disciplinaire, mais plutôt de chambres, de conséquences et de mesures de retrait – tend à camoufler la violence propre à l’enfermement. Ça ne rend sûrement pas vain tout effort de réhabilitation, mais ça oblige à composer avec cette réalité», conclut le professeur.

Se battre contre les murs sera en librairies dès le 18 novembre.

Plus sur l’auteur et ses projets de recherche

Nicolas Sallée est également directeur scientifique du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté. Il mène des travaux sur la production des normes et la régulation des conduites dans les champs de la justice des mineurs, des troubles mentaux, du genre et des sexualités.

Son dernier article, paru dans le British Journal of Criminology, porte justement sur les pratiques disciplinaires dans les unités de garde fermée pour jeunes contrevenants de Montréal.

 

 

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