Des femmes permettent au télescope spatial James-Webb de devenir réalité
- UdeMNouvelles
Le 3 décembre 2021
- Virginie Soffer
De nombreuses femmes ont joué un rôle primordial dans l’élaboration de l’instrument le plus complexe construit à ce jour.
Le télescope spatial James-Webb, l’observatoire spatial le plus puissant et le plus complexe à ce jour selon la NASA, sera lancé autour du 22 décembre. Derrière cette prouesse technologique se trouvent de nombreuses femmes.
Pour en apprendre davantage, nous avons rencontré Nathalie Ouellette, coordonnatrice de l’Institut de recherche sur les exoplanètes de l’Université de Montréal.
Au Canada, la gestionnaire du projet à l’Agence spatiale canadienne [ASC] est une femme. Pouvez-vous nous en dire plus?
Oui, il s’agit de Luminita Ilinca Ignat. Titulaire d’une maîtrise en sciences appliquées, option Mécanique des fluides, de Polytechnique Montréal, elle a travaillé durant la moitié de sa carrière à l’ASC sur le faramineux projet qu’est le télescope spatial James-Webb.
Cette ingénieure en aérospatiale a vu les nombreux revirements de l’instrument canadien, qui a un historique très particulier. Au début, le Canada devait simplement fournir un composant pour un instrument américain ainsi qu’un détecteur de guidage. Puis, ce composant s’est transformé en un instrument à part entière… qui n’a pas pu fonctionner au bout du compte. Le Canada a eu une année pour concevoir et fabriquer un nouvel instrument qui pourrait être posé sur le dos de notre détecteur de guidage, et c’est Mme Ilinca Ignat qui a supervisé ces opérations.
Elle sera à Kourou [Guyane française] pour le lancement du télescope.
Et du côté de la recherche, y a-t-il eu de nombreuses femmes?
Le télescope James-Webb comporte quatre instruments scientifiques extrêmement complexes et pour chacun d’entre eux il y avait un chercheur principal. On a atteint la parité, car deux responsables sont des chercheuses: Marcia Rieke et Gillian Wright.
Marcia Rieke est professeure d’astronomie à l’Université de l’Arizona. Elle a travaillé à la création de la Near Infrared Camera [NIRCam], qui sera capable de visualiser la lumière infrarouge et pourra ainsi fournir des images des premières galaxies formées après le big bang et recueillir des informations sur leurs aspects et leurs couleurs. La NIRCam aidera également les astronomes à mieux comprendre la formation d’étoiles et de leurs systèmes planétaires.
Gillian Wright est directrice de l’UK Astronomy Technology Centre à Édimbourg. Elle a travaillé sur le Mid-Infrared Instrument [MIRI], qui permet de regarder dans le moyen infrarouge plutôt que dans le proche infrarouge. Le moyen infrarouge étant bloqué par l’atmosphère terrestre, il est essentiel d’aller dans l’espace pour le voir. Le MIRI possède à la fois une caméra et un spectrographe qui voit la lumière dans la région de l'infrarouge moyen du spectre électromagnétique, avec des longueurs d'onde qui sont plus longues que ce que nos yeux perçoivent. Gillian Wright a dû faire face à un autre défi technique: un instrument qui est chauffé va rayonner lui-même dans le moyen infrarouge. Le MIRI va ainsi devoir être refroidi à -267 °C, ce qui est encore plus froid que la température à laquelle le seront les autres instruments, soit -233 °C!
D’autres femmes ont-elles joué des rôles scientifiques majeurs?
L’équipe scientifique est très grande et, comme dans les sciences physiques en général, il y a beaucoup d’hommes. Cela dit, plusieurs femmes ont eu un apport scientifique majeur. Je peux mentionner Begoña Vila et Heidi B. Hammel.
Begoña Vila est l’ingénieure système principale du détecteur canadien de guidage de précision et de l’imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge à la NASA.
Heidi B. Hammel est quant à elle la scientifique interdisciplinaire responsable de l’exploration planétaire. Elle a étudié les planètes externes de notre système solaire, leurs anneaux et leurs lunes avec le télescope Hubble et d’autres.
Du côté des responsables de la communication scientifique, trouve-t-on de nombreux visages féminins?
Oui, nous sommes plusieurs femmes responsables des communications partout dans le monde. Par exemple, aux États-Unis, Amber Straughn a un profil assez analogue au mien. Elle est la scientifique chargée des communications pour la mission Webb au Goddard Space Flight Center de la NASA. Et Alexandra Lockwood occupe les mêmes fonctions au Space Telescope Science Institute, à Baltimore, où se trouve le centre des opérations scientifiques du télescope.
Et que ressentez-vous à l’idée de faire partie de cet immense projet?
Je suis entrée dans le projet en 2018, donc récemment. Lorsque le projet était au début de la participation canadienne il y a une vingtaine d’années, j’étais au secondaire! On entendait parler des télescopes qui allaient remplacer Hubble.
Au fil de ma carrière, j’ai suivi les nombreux questionnements sur James-Webb. À cause de compressions budgétaires, il semblait même y avoir des doutes par moments quant à son lancement. Je voyais ces problèmes de façon détachée en me disant que je ne pourrais jamais faire partie d’un projet aussi grandiose. Quand j’ai appris que la mission allait bien, je me suis dit qu’un jour j’allais pouvoir, peut-être, utiliser les données de James-Webb. Mais je ne pensais jamais être aussi engagée dans le projet. Quand mon poste a été annoncé en 2018, j’ai postulé et j’ai été ravie de l’obtenir.
C’est une mission historique et je me trouve extrêmement privilégiée de faire partie, à mon échelle, de l’histoire de l’astronomie. Il s’agit du télescope spatial le plus puissant jamais créé. Au-delà de l’astronomie, on pourrait même dire que c’est la machine la plus complexe que l’humain a jamais créée. Le lancer à bord d’une fusée à 1,5 million de kilomètres sans pouvoir le réparer si quelque chose ne fonctionne pas, c’est épique.
Olivia Lim, étudiante à l’UdeM, a obtenu le temps d’observation le plus long sur le télescope au Canada pour étudier la possibilité de vie extraterrestre. Pouvez-vous nous en parler?
Olivia Lim, étudiante au doctorat à l’Université de Montréal sous la direction de René Doyon, a obtenu par concours le plus de temps pour un programme d’observations générales au cours de la première année d’activité du télescope. C’est un projet très excitant!
Elle va observer quatre planètes du système Trappist-1, qui se trouve environ à 39,5 années-lumière de la Terre. Ce système comporte sept planètes qui ont à peu près la taille de la Terre. Trois d’entre elles se trouvent à bonne distance de leur étoile pour qu’il n’y fasse ni trop chaud ni trop froid, c’est-à-dire pour qu’elles se trouvent en zone habitable. Peut-être pourra-t-on y trouver de la vie? Elle va étudier la composition de ces planètes, de leurs atmosphères en particulier, en espérant y découvrir des molécules intéressantes pour la vie comme la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone et l’ozone.
Une caractéristique importante de son programme est qu’il n’y aura pas de période d’accès privilégié aux données, ce qui signifie que les données seront immédiatement disponibles pour toute la communauté astronomique.