Jeux olympiques: toujours pertinents, mais un modèle à revoir

Les Jeux olympiques d'hiver se tiennent à Beijing du 4 au 20 février.

Les Jeux olympiques d'hiver se tiennent à Beijing du 4 au 20 février.

Crédit : IOC/Greg Martin

En 5 secondes

Les chercheurs Jocelyn Coulon, Adrien Savolle et Michel Poitevin, de l’Université de Montréal, s’expriment sur la pertinence de tenir des Jeux olympiques et sur leur viabilité à long terme.

L’important n’est pas de gagner, mais de participer.

Si cette philosophie insufflée par le père des Jeux olympiques modernes, le baron Pierre de Coubertin, est toujours de mise, force est de constater que le Comité international olympique (CIO) fait l’objet de nombreuses critiques quant aux critères d’attribution des jeux, sans compter que de plus en plus de villes hôtes potentielles retirent leur candidature.

Dans le contexte de tensions diplomatiques entre la Chine et de nombreux pays dont le Canada, peut-on encore affirmer que les Jeux olympiques constituent un outil d’unification des peuples? Quels sont les objectifs que nourrit la Chine en tenant ces jeux et quelles pourraient en être les retombées pour le pays? (Soulignons que la Chine figure au 177e rang sur 180 de l’index de liberté de la presse établi par Reporters sans frontières!) Quels pays peuvent se permettre d’accueillir les Jeux olympiques, outre les États totalitaires? Et, enfin, tenir des JO est-il économiquement rentable ou soutenable pour les villes hôtes?

Les chercheurs Jocelyn Coulon, Adrien Savolle et Michel Poitevin, de l’Université de Montréal, nous font part de leurs observations.

Pourquoi ne pas s’en tenir qu’aux pays démocratiques pour accueillir les JO?

Jocelyn Coulon

Crédit : Amélie Philibert

«Les Jeux olympiques sont la quintessence du multilatéralisme, car ils réunissent tous les États et leurs représentants qui sont en compétition, illustre Jocelyn Coulon. Les Nations unies forment le seul autre forum qui regroupe autant de pays.»

Selon le chercheur du Centre d'études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), l’accent devrait être mis sur les athlètes et leurs performances et, bien qu’il soit souhaitable de dépolitiser les Jeux olympiques, il serait naïf de croire que les pays hôtes se priveraient de promouvoir leurs modèles et les valeurs qui les sous-tendent.

«On ne peut éviter que les Jeux olympiques soient politisés, mais le CIO pourrait inviter les athlètes sans inviter les États et abolir, par exemple, les hymnes nationaux et les drapeaux pour se concentrer sur les épreuves sportives, avance Jocelyn Coulon. Mais le CIO est pris en otage et ce n’est pas demain la veille qu’on trouvera une solution pour qu’il se dégage de ce cadre.»

Et si la solution résidait dans l’attribution des jeux aux seuls pays démocratiques?

«Encore faut-il définir quelle est la mesure de la démocratie, avertit le spécialiste de politique étrangère et de gouvernance mondiale. Lorsqu’on accorde les Jeux olympiques à un pays, on ne peut prédire s’il deviendra autoritaire 10 ans plus tard, lorsque les jeux auront lieu.»

En effet, lorsque le CIO a désigné la Chine pour tenir les jeux d’hiver de 2022, l’autre pays en lice était le Kazakhstan, «qui n’est pas parmi les 10 pays dont la démocratie fait consensus» et la course était serrée. «Les pays qui ont voté pour la Chine savaient que celle-ci a toujours été autoritaire et, à l’époque, Xi Jinping n’était président que depuis trois ans et la question des Ouïgours, tout comme celle de Taïwan, n'était pas encore l'enjeu humanitaire qu'elle est devenue maintenant», rappelle le chercheur du CÉRIUM.

«Cette question revient chaque fois qu’on organise un grand évènement mondial; mais si l’on ne considérait que l’aspect démocratique, il n’y aurait qu’une quarantaine de pays sur 193 qui pourraient aspirer à tenir les jeux, sans savoir s’ils seraient en mesure de les organiser, poursuit Jocelyn Coulon. Ce genre d’organisation nécessite des structures d’accueil et beaucoup d’argent et, avec le différentiel qui existe déjà entre les pays du Nord et ceux du Sud, si l’on ajoute un critère additionnel basé sur la démocratie, on ne tiendra les JO qu’entre nous!»

Redorer son image auprès du monde entier et de sa propre population

Adrien Savolle

À cet égard, le chercheur Adrien Savolle, affilié au CÉRIUM et au Centre d’études asiatiques de l’UdeM, rappelle que les cinq prochains Jeux olympiques auront lieu dans des États démocratiques: les jeux d’été de 2024 auront lieu à Paris (France), ceux de 2028 à Los Angeles (États-Unis) et ceux de 2032 à Brisbane (Australie), tandis que les jeux d’hiver de 2026 se tiendront à Milan (Italie).

«Au même titre que les États démocratiques qui concourent à faire rayonner leur pays en se plaçant au centre de l’intérêt international par la tenue des Jeux olympiques, l’objectif de la Chine est à la fois de promouvoir la fierté du peuple chinois à l’échelon intérieur et de redorer son image auprès des nations du monde», indique-t-il.

Et sur le plan strictement sportif, la Chine a déployé beaucoup de moyens et d’efforts pour faire très bonne figure: aux derniers jeux d’hiver en Corée du Sud, le pays avait terminé en 16e position, avec une seule médaille d’or en patinage de vitesse sur courte piste chez les hommes.

«Les jeux d’été de Beijing, en 2008, ont été un énorme succès sur les plans diplomatique, sportif, économique et technologique, mentionne Adrien Savolle. À l’époque, les observateurs internationaux s’intéressaient beaucoup à la Chine, qui vivait une période de liberté relative, et les organisateurs chinois ont énormément joué sur l’histoire millénaire du pays, riche culturellement et ouverte sur le monde.»

Depuis, cette ouverture s’est notamment incarnée à travers les Instituts Confucius, par lesquels la Chine a signé différents accords avec de nombreux pays – notamment en Afrique – où elle investit des sommes colossales qui s’apparentent à un cheval de Troie, car elles lui permettent de s’infiltrer dans ces pays pour réformer leur système politique de l’intérieur.

«La Chine veut montrer que son modèle permet un développement économique et une modernisation des conditions de vie des populations que les démocraties libérales n’offriront jamais, quitte à contrôler l’information et à limiter la liberté d’expression», ajoute le chargé de cours du Département d’anthropologie de l’UdeM.

Plus encore, avec les routes de la soie numériques*, les entreprises chinoises ont noué de nombreux partenariats avec des universités étrangères, dont plusieurs au Québec. «Étant au service de l’État, elles utilisent des données captées par les caméras de surveillance installées partout dans le monde et en récoltent grâce à des applications téléchargées innocemment sur nos téléphones intelligents. La Chine expérimente ainsi un régime autoritaire numérique dans lequel s’implante, comme en Occident, un capitalisme de surveillance», signale Adrien Savolle.

«Alors que le monde entier tourne son regard vers Beijing pour les Jeux olympiques d’hiver, soyons conscients que cette compétition des normes et des technologies aura des répercussions bien plus importantes que le nombre de médailles obtenues par le pays hôte», avertit le chercheur.


* À ce sujet, lire l’article «La Chine en quête de l’or numérique», rédigé par Adrien Savolle et publié le 30 janvier 2022 dans La Presse+.

Quelles retombées pour les villes et pays hôtes?

Michel Poitevin

Si les motivations liées à la tenue des Jeux olympiques ont trait à des enjeux géopolitiques, est-il économiquement rentable de les accueillir, notamment pour les villes hôtes?

«À Lillehammer, où ont eu lieu les jeux d’hiver en 1994, il y a un musée où chaque tenue de Jeux olympiques, depuis 1896, est présentée dans autant de petits kiosques, illustre Michel Poitevin. Et lorsqu’on arrive au kiosque des jeux de Montréal de 1976, on parle surtout du déficit que ces jeux ont entraîné!»

Le maire de Montréal de l’époque, Jean Drapeau, avait convaincu la population que les Olympiques ne coûteraient «pas un sou aux contribuables». «Au final, il aura fallu 40 ans aux Québécois pour payer l’aventure olympique, qui s'est finalement élevée à trois milliards de dollars, en incluant la dette et les intérêts», rappelle le professeur du Département de sciences économiques de l’UdeM.

Et Montréal n’est pas la seule ville à avoir essuyé un déficit important. «Mis à part quelques cas exceptionnels, comme les jeux de Los Angeles en 1984 qui avaient été financés par le privé, l'organisation des Jeux olympiques est toujours un gouffre financier, car dès le départ il y a systématiquement une sous-évaluation de l’ensemble des coûts», insiste Michel Poitevin.

L’un des arguments avancés par le CIO pour justifier la tenue des jeux est de dire qu’il s’agit d’une occasion, pour la ville hôte, d’entamer des projets majeurs d’aménagement du territoire et de se doter d’installations sportives de pointe dont les effets seront durables pour son développement économique.

Le professeur Poitevin n’y voit que de la poudre aux yeux. «Plusieurs installations spécialisées demeurent sous-utilisées une fois les jeux terminés. À Montréal, on n’a qu’à penser au vélodrome, qui a changé complètement de vocation, ou encore au Stade olympique, qui est sous-utilisé et qui ne fait pas ses frais. Est-ce que les jeux étaient la façon la plus économique de se doter d’un biodôme? Sûrement pas! Quant au Stade, aucune équipe professionnelle présente ou à venir ne veut y jouer!»

Pour ce qui est des retombées économiques, «elles sont grossièrement surévaluées et de courte durée». Quant à la visibilité que les jeux conféreraient à la ville hôte, leur valeur n’est sans doute pas nulle, mais Michel Poitevin doute que ce soit la stratégie publicitaire la plus efficace pour attirer des visiteurs.

«La vérité est que si le CIO éprouve de plus en plus de difficulté à vendre les Jeux olympiques, c’est que son modèle est à revoir, conclut l’économiste. Peut-être devrait-on se tourner vers des sites permanents ou tenir les jeux dans les villes qui disposent déjà des installations nécessaires.»

Maintenant, place aux jeux!

 

 

Sur le même sujet

Jeux olympiques politique économie