Accompagner les femmes ayant vécu ou à risque de subir une mutilation génitale

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Une activité est organisée le 7 février pour sensibiliser la communauté à la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines.

Bilkis Vissandjée

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En 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a désigné le 6 février Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales. Afin de souligner cette journée, le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec, en collaboration avec la Fédération des communautés culturelles de l’Estrie et Action femme Afrique de l’Outaouais, organise une rencontre le lundi 7 février afin de discuter de l’état des lieux des mutilations génitales féminines/excision (MGF/E) au Québec. L’une des conférencières invitées est Bilkis Vissandjée, professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et membre de l’équipe de l’Unité de santé internationale de l’École de santé publique de l’UdeM (ESPUM) depuis de nombreuses années.  

À cette occasion, nous lui avons posé quelques questions*. 

*Dans le cadre de cet échange, l’expression «mutilation génitale féminine/excision» (MGF/E) sera employée afin de faire référence à ces pratiques traditionnelles. Différents termes peuvent être utilisés dans ce contexte et il est important que le choix des mots se fasse selon une approche inclusive et respectueuse des complexités éthiques et des trajectoires différenciées des femmes et des filles concernées.

Pouvez-vous brosser un tableau des MGF/E dans le monde ainsi qu’au Québec en 2022 et des complexités associées au contexte de la pandémie de COVID-19?

Les mutilations génitales féminines/excision, selon la définition adoptée par l’Organisation mondiale de la santé en 1997, sont «des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales». Alors que les MGF/E sont considérées comme une violation des droits des jeunes filles et des femmes à l’échelle mondiale, ces pratiques persistent, avec plus de 200 millions de femmes et de filles ayant été exposées à une forme de MGF/E. Ces pratiques sont signalées dans au moins 30 pays d’Afrique ainsi que dans certaines régions du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Amérique du Sud. La pandémie de COVID-19, qui a exacerbé les situations de précarité sociale et économique chez de nombreuses personnes à travers le monde, a d’ailleurs donné lieu à une hausse notable de ces interventions sur des jeunes filles. Ainsi, en plus des 4 millions de femmes et de filles à risque de subir une forme de MGF/E annuellement, la pandémie pourrait en exposer 2 millions de plus au cours de la prochaine décennie.

Au Canada, bien qu’aucun rapport relatif à la prévalence de ces pratiques traditionnelles n’ait été publié à ce jour, les données du recensement de 2016 de Statistique Canada mettent en évidence le contexte d’immigration actuel et le nombre croissant de femmes qui, originaires des pays où ces interventions sont courantes, s’établissent au Québec et au Canada.

Quel est l’objectif de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines?

La Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines vise à intensifier l’action mondiale de lutte contre ces pratiques dans le but de les éliminer. À cet effet, de nombreuses activités sont organisées, notamment dans les pays considérés comme à haute prévalence de MGF/E; ces activités peuvent prendre la forme d’actions communautaires conjuguées à des appuis aux services et politiques de santé. C’est, entre autres, ce qui est réalisé par l’Unité de santé internationale de l’ESPUM dans le cadre du projet Yellen, au Mali.

Dans les régions d’accueil de l’immigration, incluant le Québec, la journée du 6 février est une occasion pour sensibiliser le public au caractère impératif de mieux comprendre les complexités s’inscrivant dans les trajectoires des femmes et des filles ayant vécu une MGF/E afin de voir à des initiatives et approches inclusives de soutien et d’accompagnement, entre autres dans le secteur de la santé et des services sociaux. En effet, au Québec, le tiers de la population immigrante, dont les femmes ayant subi une MGF/E, a moins de 24 ans et près de 40 % est âgée de 25 à 34 ans. Il s’agit donc de femmes qui sont et seront en âge de procréer dans les prochaines années, ce qui peut engendrer une hausse dans le recours à des services gynécologiques et obstétricaux pour ces femmes ayant vécu une MGF/E.

Quels sont les défis rencontrés par le personnel de la santé et des services sociaux dans l’offre d’un soutien et d’un accompagnement personnalisés et équitables?

Une fois dans la société d’accueil, certaines femmes et filles ayant vécu une MGF/E sont confrontées à des défis d’accessibilité à des ressources en santé adaptées à leurs besoins, parfois complexes. Bien que la pratique des MGF/E soit interdite au Canada (projet de loi C-27 sanctionné le 25 avril 1997), la réponse du système de santé et des services sociaux aux expériences et besoins de ces femmes et filles reste peu documentée. Les éléments connus à ce jour font état d’une insatisfaction dans l’expérience clinique tant pour les femmes que pour le personnel de la santé et des services sociaux sur les plans de la reconnaissance, de l’engagement, de l’accompagnement et du suivi en ce qui concerne l’offre de soins gynécologiques et obstétricaux adaptés et éthiquement sensibles.

Ce personnel serait également exposé à certaines difficultés lors des interactions cliniques pour ce qui est des aspects liés à la communication en contexte d’écart linguistique, du recours à la médiation culturelle et à l’interprétariat dans leurs établissements de santé et de services sociaux. Il existe d’ailleurs de nombreuses ressources lui étant destinées afin de le soutenir dans l’accompagnement de femmes et de filles ayant vécu une MGF/E, telles que des lignes directrices formulées par l’Organisation mondiale de la santé, certains ordres professionnels ou associations médicales, notamment la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Mais ces ressources seraient mal connues et inégales quant à leur accessibilité.

Quelles sont les approches à privilégier au Québec pour accompagner les femmes et les filles ayant été exposées à une forme de MGF/E dans une perspective de sensibilité à leurs réalités?

D’une part, établir une relation de confiance est impératif afin d’ouvrir la porte à une relation clinique empreinte de respect et de sensibilité à l’identité culturelle et aux expériences de la femme ou de la fille lorsqu’il s’agit de discuter d’un sujet aussi complexe et délicat. Ce climat de confiance requiert de se questionner soi-même et de se recentrer sur sa pratique par un certain exercice de pratique réflexive. Il y a également le caractère impératif d’une collaboration interdisciplinaire et intersectorielle dans une perspective de consolidation de ressources et d’expertises afin de travailler en amont pour une offre de soins équitables, personnalisés et répondant aux besoins de chaque femme ou fille.

Avez-vous des exemples d’initiatives déjà en place au Québec afin de soutenir le personnel de la santé et des services sociaux?

Le projet RHCforFGC «Sharing Actions and Strategies for Respectful and Equitable Health Care for Women with FGC» constitue l’un des 13 consortiums du Réseau européen de recherche GENDER-NET Plus. Par le biais d’une approche internationale et transnationale entre la Belgique, l’Espagne, la France, la Suède, la Suisse et le Canada, ce projet vise à renforcer l’offre de soins, le soutien et l’accompagnement de femmes et de filles ayant subi ou à risque de subir une MGF/E.

Des activités sont également menées par le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec. Cet organisme, fondé en 2011, a mis en place en 2015 un comité multisectoriel afin d’offrir aux femmes un espace sécuritaire pour leur permettre de partager leur expérience relative aux MGF/E.

Vous pouvez en apprendre plus au sujet des mutilations génitales féminines/excision à la rencontre du 7 février entre 13 h à 15 h.

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