Redécouvrir la «vallée des trésors» iranienne grâce aux archives archéologiques de Philip Smith

Le site de Ganj Dareh, qui signifie «vallée des trésors», en Iran.

Le site de Ganj Dareh, qui signifie «vallée des trésors», en Iran.

En 5 secondes

Les archives de l’archéologue Philip Smith, sur le site iranien de Ganj Dareh, ont permis à Julien Riel-Salvatore de reconstituer en 3D une partie de ce lieu important du patrimoine historique.

Julien Riel-Salvatore a fait contre mauvaise fortune bon cœur face à la pandémie: ne pouvant se rendre sur les sites archéologiques italiens, dont il est spécialiste, le professeur du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal a étudié une partie de la collection orpheline d’artéfacts constituée par l’archéologue canadien Philip Smith.

Cette collection est issue de fouilles menées en Iran par l’ancien professeur de l’UdeM, de 1965 à 1974, sur le site néolithique de Ganj Dareh – qui signifie «vallée des trésors».

Ganj Dareh est un site archéologique important, car il a livré certains des premiers témoignages de l’humain vers la sédentarisation, le développement de l’agriculture et la domestication de la chèvre.

À partir de ces archives, Julien Riel-Salvatore a été en mesure de dresser des cartes numériques en trois dimensions de strates de sédiments mises au jour pendant les fouilles effectuées par Philip Smith. Ces cartes, qui montrent des parois de maisons, de puits, de foyers et de sépultures, font l’objet d’une étude parue récemment dans la revue PLOS ONE.

Un site témoin de la sédentarisation de l’humain

Julien Riel-Salvatore

Crédit : Amélie Philibert

Situé dans la province de Kermanchah, en Iran, le site de Ganj Dareh est un monticule de 7 m de haut et 40 m de diamètre qui aurait été occupé par l’humain il y a environ 10 200 ans sur une période de 300 à 600 ans. «C’est bref sur le plan archéologique, mais ce fut très dense sur le plan du progrès technique, indique Julien Riel-Salvatore. On y a notamment trouvé des objets en argile, des briques qui avaient été séchées au soleil ainsi que des outils de pierre taillée.»

Philip Smith s’est rendu sur place une première fois en 1965 pour y amorcer des fouilles. Celui qui a été l’un des premiers archéologues du Département d’anthropologie de l’UdeM est retourné à Ganj Dareh à quatre autres reprises, ce qui lui a permis d’excaver 20 % des cinq niveaux d’occupation du site.

«Après 1974, les fouilles ont été interrompues, mais Philip Smith a pu rapporter beaucoup de matériel, dont des ossements d’animaux et d’humains, des restes végétaux, des échantillons de sédiments et différents artéfacts», poursuit le professeur.

L’ensemble de ce matériel a été confié à trois établissements: les restes humains à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, les restes d’animaux à l’Institut Smithsonian, à Washington, tandis que la collection conservée à l’UdeM contient, entre autres, de nombreux échantillons sédimentaires, architecturaux et de charbon de bois, des outils en os, en pierre et en argile ainsi que les notes de fouilles du professeur Smith.

Récemment, l’analyse d’échantillons de collagène extrait d’ossements animaux a mis en lumière la présence de chèvres sur le site, une preuve de domestication animale par l’humain et, conséquemment, de sa sédentarisation. Plus encore, la datation de restes végétaux a révélé la présence d’orge et de lentilles cultivées. «Ganj Dareh était l’un des points chauds de la recherche sur la préhistoire et du passage à l’agriculture», ajoute M. Riel-Salvatore.

Des archives orphelines qui ont trouvé une «famille d’accueil»

À partir des archives de Philip Smith résultant des fouilles que celui-ci a effectuées de 1965 à 1974, Julien Riel-Salvatore a dressé des cartes numériques en trois dimensions de strates de sédiments du site de Ganj Dareh.

Ayant pris sous son aile cette collection qui sommeillait parmi les archives du Département d’anthropologie, Julien Riel-Salvatore et deux doctorants ont entrepris d’élaborer un modèle en trois dimensions d’une partie de la tranchée ouest de Ganj Dareh, mise au jour par Philip Smith.

Ce modèle a été construit à partir d’une petite partie du site, soit huit mètres carrés – l’équivalent de 10 % de la surface du lieu explorée par le professeur Smith; il permet de voir la stratification du site et d’étudier l’évolution des comportements humains à travers les couches sédimentaires.

«L’article publié dans PLOS ONE constitue un premier pas, précise Julien Riel-Salvatore. Il s’agit d’une démonstration de faisabilité de notre procédé, qui nous permettra de poursuivre nos recherches.»

Ainsi, une doctorante originaire d’Iran et trois étudiants de maîtrise en archéologie sont à pied d’œuvre pour faire parler l’ensemble de la collection de Philip Smith. «Sanaz Shirvani fait d’ailleurs partie des cinq lauréats d’une bourse prestigieuse offerte par la Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research, qui soutient des étudiantes et étudiants issus de pays où la formation et la recherche en archéologie restent à bâtir», poursuit le professeur.

Il y a encore beaucoup à faire au sein du Laboratoire d’archéologie de l’Anthropocène de l’UdeM, que dirige Julien Riel-Salvatore: la collection Ganj Dareh contient quelque 100 000 objets et échantillons!

À terme, il souhaite créer un dépôt virtuel qui contiendra des modèles 3D des artéfacts les plus significatifs de la «vallée des trésors» afin de pérenniser tout le matériel analogue qui pourra servir à la communauté archéologique internationale.

«Notre objectif ultime est de faire connaître un pan de l’histoire de l’humanité et de l’histoire iranienne, conclut Julien Riel-Salvatore. Il est important de rendre ces archives accessibles pour la communauté scientifique et pour les gens qui habitent cette région, car elles relèvent du patrimoine iranien. C’est pourquoi le site Web qui hébergera prochainement les résultats du projet sera traduit en français, en anglais et en persan grâce au soutien de la Direction des affaires internationales de l’Université de Montréal.»

  • Les notes de fouilles de Philip Smith contiennent des croquis, dont un illustrant les ossements d’un enfant et de deux adolescents. La disposition des corps semble indiquer qu’ils ont été inhumés dans une fosse funéraire, mais à des époques différentes et possiblement selon des rites variés. «L’un des corps est recroquevillé tandis que les deux autres sont allongés et, en comparant la disposition de ces corps avec les sépultures observées dans d’autres sites archéologiques de la région, nous souhaitons pouvoir reconstituer les pratiques funéraires des gens à cette époque et établir leur diversité», indique Julien Riel-Salvatore.