Les frontières des circulations migratoires africaines
- UdeMNouvelles
Le 5 juin 2025
- Virginie Soffer
Le professeur d’anthropologie Bob W. White présente son livre «Les frontières des circulations migratoires africaines».
L’Afrique est souvent perçue à travers le prisme des migrations forcées dues à la pauvreté et aux conflits, une image renforcée par les médias, qui diffusent des scènes de réfugiés tentant de traverser la Méditerranée. Cette vision, relayée par des discours d’extrême droite sur une prétendue «invasion» migratoire, perpétue des stéréotypes de misère et de violence associés au continent. La migration irrégulière vers l’Europe, notamment celle des Subsahariens, suscite une attention médiatique intense: les images choquantes de morts à Melilla en 2022 ou des traitements inhumains en Libye illustrent ce que Nicholas de Genova appelle le «spectacle de la frontière», une mise en scène dramatique de l’exclusion de groupes jugés indésirables.
Or, cette vision réductrice ne reflète qu’une partie de la réalité. La majorité des déplacements en Afrique s’opèrent à l’intérieur du continent, guidés par des logiques économiques, sociales et historiques complexes. Les politiques migratoires européennes négligent cette diversité des trajectoires et faussent la lecture des migrations africaines, lecture qui renforce les discours stigmatisant davantage les populations africaines. Le livre Les frontières des circulations migratoires africaines propose une interprétation renouvelée des dynamiques migratoires, loin des clichés, en explorant des dimensions longtemps laissées dans l’ombre.
Nous nous sommes entretenus avec Bob W. White, professeur au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, qui a codirigé ce livre.
Pourquoi ce livre?
Il y a de nombreuses recherches sur la mobilité et les migrants des pays du Sud vers les pays industrialisés du Nord, surtout dans le contexte des sociétés dites «de l’immigration» comme le Canada. Cette tendance à limiter notre regard sur les mouvements du Sud vers le Nord renforce une certaine vision du monde occidentalocentrique, c’est-à-dire axée sur les préoccupations et les perceptions du monde occidental. Elle peut également contribuer aux stéréotypes négatifs de l’opinion publique qui, à leur tour, vont avoir une influence sur l’évolution des politiques migratoires. Cette tendance est bien connue et très préoccupante. Pourtant, nous savons que les questions de migration existent partout: entre les continents, mais aussi à l’intérieur des continents.
Ce livre est le résultat d’un projet de recherche interdisciplinaire collaborative avec des chercheurs et chercheuses sur plusieurs continents. S’il atteint une partie de ses objectifs, il va permettre de comprendre des aspects de la migration transnationale qui ont été pour la plupart ignorés à cause des biais dans le monde de la recherche, mais aussi par les décideurs politiques. À travers ses pages, on essaie de mettre en lumière l’importance des migrations et trajectoires migratoires d’abord à l'intérieur du continent africain, qui sont de plus en plus une source de migration vers les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Le livre permet aussi de comprendre les dynamiques des frontières en dehors des pays du Nord, surtout à la faveur des nouvelles formes de migration, par exemple entre les pays d’Afrique subsaharienne et les pays du Maghreb, où de plus en plus de migrants subsahariens arrivent pour faciliter un projet migratoire vers l’Europe.
Vous expliquez que la majorité des migrations africaines se déroulent à l’intérieur du continent. Quels sont les facteurs qui expliquent cette réalité?
Cette réalité s’explique par plusieurs facteurs: il y a non seulement les situations de précarité écologique – par exemple la dégradation de l’environnement causée par le réchauffement climatique –, mais aussi les questions économiques – puisque la fragilité des économies dans plusieurs régions d’Afrique oblige les travailleurs à se déplacer pour trouver du travail – et les questions politiques, comme le conflit au Soudan ou dans l’est de la République démocratique du Congo. Mais il ne faut pas oublier que l’idée de partir de chez soi pour aller faire fortune ailleurs et offrir une meilleure vie à ses enfants est aussi une source d’inspiration et d’espoir dans les sociétés africaines. La migration a toujours existé en Afrique. Ça fait partie des relations sociales, des traditions orales et des réalités économiques de la région depuis très longtemps. Notre livre présente plusieurs textes qui expliquent les dynamiques de migration interne sur le continent. Mieux comprendre la mobilité des populations en Afrique, surtout notre rôle dans l’histoire de l’extraction de ressources humaines et naturelles sur le continent, c’est une façon d’humaniser les personnes et les communautés afrodescendantes. C’est incroyable de voir que les stéréotypes sur le continent africain se reproduisent dans le monde occidental.
À qui s’adresse cet ouvrage?
Cet ouvrage s’adresse aux chercheurs, étudiants et décideurs qui travaillent sur le phénomène des migrations internationales et transnationales. Il s’adresse aussi à un public occidental plus large, puisque, quand nous réfléchissons sur notre rapport avec l’autre, nous devrions être en mesure de mieux nous comprendre nous-mêmes. Dans un premier temps, nous avons voulu faire de la recherche avec des collègues en Afrique et non pas sur l’Afrique. Pour réussir ce pari, nous avons dû nous donner plus de temps pour créer des liens de confiance entre nous et produire quelque chose qui va au-delà des lignes déjà tracées par les canons de la recherche faite par et pour les Occidentaux. Nous avons conçu ce livre comme une rencontre des savoirs et nous espérons que les lecteurs seront au rendez-vous.
À propos de ce livre
Sous la direction d’Andrea Rea, Mamadou Dimé et Bob W. White, Les frontières des circulations migratoires africaines, Les Presses de l’Université de Montréal, 2025, 248 p.