Après deux ans de pandémie, la recherche sur la COVID-19 porte ses fruits
- UdeMNouvelles
Le 15 mars 2022
- Mylène Tremblay
Au plus fort de la pandémie, des chercheuses et chercheurs issus de différents horizons ont uni leurs forces pour proposer des projets de recherche inédits.
Financés par le programme du fonds «Combattre la COVID: de la prévention au contrôle» de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, les trois projets que nous vous présentons ont mené à de belles réalisations.
Les effets des mutations du SRAS-CoV-2 sur la réponse immunitaire
Au début de la crise sanitaire, la plupart des scientifiques avaient les yeux rivés sur les anticorps susceptibles de neutraliser le virus, laissant dans l’angle mort l’autre composant du système immunitaire: les lymphocytes T qui attaquent les cellules infectées. Et peu d’entre eux anticipaient les nombreuses mutations que connaîtrait le SRAS-CoV-2 et les effets de celles-ci sur les fameux globules blancs.
Au Caron Lab, un laboratoire où l’on travaille à détecter les nouvelles formes d’antigènes spécifiques aux tumeurs en vue de concevoir des vaccins contre le cancer, l’équipe a tout de suite perçu cette éventualité. «Nous savions que le virus allait muter», expose Étienne Caron, expert du système immunitaire adaptatif et professeur adjoint au Département de pathologie et biologie cellulaire de la Faculté de médecine de l’UdeM.
C’est à la suite d’un appel de David Hamelin, candidat à la maîtrise en bio-informatique à l'Université de Victoria, que l’équipe du laboratoire a décidé de mettre en place un important projet de recherche, intitulé «Analyse du paysage mutationnel des variants de SARS-CoV-2: implications dans l’évasion des épitopes des cellules T et la résistance au vaccin».
«David Hamelin souhaitait combiner son expérience en spectrométrie de masse avec sa passion pour l'informatique afin d’étudier les mutations du virus. Comme les travaux impliquaient beaucoup de séquençage génomique, je lui ai suggéré de contacter Julie Hussin, directrice du groupe de bio-informatique OMICS à l’Institut de cardiologie de Montréal. Il a établi un pont entre elle, experte en génomique des populations, et moi, expert en immunothérapie du cancer. De cette rencontre improbable est né le projet», relate Étienne Caron.
L’étude des mutations du SRAS-CoV-2
Ainsi, pendant que la communauté scientifique internationale se penchait sur les anticorps, la nouvelle équipe de collaborateurs, cosupervisée par le Dr Caron et la Dre Hussin, s’est mise à évaluer l'effet du paysage mutationnel du SRAS-CoV-2 sur la réponse des lymphocytes T dans le but de déterminer le rôle des mutations dans la gravité de la maladie, la résistance au vaccin et l'immunité collective.
À ce jour, des millions d’assemblages de protéomes du SRAS-CoV-2 échantillonnés dans plus de 100 pays ont été analysés à l’aide de l'apprentissage automatique et d’outils d'immunologie informatique. «Selon nos dernières observations, les mutations comportent des signatures moléculaires, ce qui expliquerait pourquoi certains individus sont plus susceptibles que d'autres de contracter la maladie, qu’importe leur âge et leur état de santé. Notre recherche vise maintenant à définir ces signatures pour savoir quels segments de la population prioriser pour la vaccination», résume Étienne Caron.
Bilan de pandémie: la recherche s’accélère, mais vivement le retour en présentiel!
Grâce à cette formidable mise en commun des ressources pour contrer la menace du virus, le projet a fait l’objet d’une publication et a permis de récolter de nouvelles subventions. «La collaboration inattendue entre Julie Hussin et moi a révélé de nouveaux axes de recherche tout aussi inattendus», se réjouit le Dr Caron.
S’il reconnaît tout le potentiel de la plateforme Zoom pour faire avancer la recherche – «il est maintenant possible d’inviter des gens de l’extérieur à participer à nos rencontres de laboratoire» –, il déplore néanmoins une fragilisation de l’esprit de communauté dans le milieu scientifique par un trop grand recours au virtuel.
Rien ne vaut un 5 à 7, une bière-pizza pour échanger des idées, illustre-t-il. Il va falloir des initiatives au sommet, comme cela s’est fait en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale, pour reconnecter entre eux les membres de la société scientifique.— Dr Étienne Caron
Pour connaître la suite de sa réflexion sur l’importance du retour en présentiel, lisez son article Pondering the power of connections in the post–COVID-19 era.
S’intéresser davantage aux personnes âgées en CHSLD pour mieux les soigner
Tandis que la première vague de COVID-19 déferlait sur les CHSLD, tous les projecteurs de la recherche se sont tournés vers les vaccins et les traitements prometteurs, laissant dans l’ombre les personnes âgées. Pourquoi cette sous-représentation d’une population aussi vulnérable dans les écrits scientifiques?
Au lieu d’attendre la réponse, des chercheurs du domaine du vieillissement, des gériatres et des médecins travaillant en CHSLD ont décidé de s’allier pour désigner les barrières qui freinent la réalisation de la recherche clinique dans les établissements de soins de longue durée et les unités d’hospitalisation en gériatrie.
Une communauté de médecins en CHSLD
Nommé à la tête du groupe d'experts de la COVID-19 sur les mesures pour aînés par le ministère de la Santé et des Services sociaux, le Dr Quoc Dinh Nguyen a temporairement délaissé tous ses travaux pour se mettre au service de la collectivité. «J’ai eu la ferme conviction qu’étudier cette population était la bonne chose à faire, confie le professeur adjoint de clinique au Département de médecine de l'UdeM et interniste-gériatre au CHUM. La pandémie a mis en relief l’extrême vulnérabilité des personnes âgées, dont le taux de mortalité a été très élevé pendant la première vague.»
Afin de constituer une communauté de médecins de CHSLD et de faire entendre leur voix, il a fait équipe avec ses collègues, le Dr Philippe Desmarais, professeur adjoint de clinique au Département de médecine et interniste-gériatre au CHUM, la Dre Pierrette Gaudreau, professeure titulaire au Département de médecine et directrice du Laboratoire de neuroendocrinologie du vieillissement au Centre de recherche du CHUM, la Dre Marie-France Forget, future gériatre au CHUM, ainsi que le Dr Olivier Beauchet, professeur titulaire au Département de médecine, médecin à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM) et directeur de laboratoire au Centre de recherche de l’IUGM.
Et pour assurer une présence sur le terrain, l’équipe a noué une collaboration avec Sophie Zhang et Catherine Richer, cochefs adjointes de l’hébergement au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. «En discutant avec les différents acteurs, on a réalisé à quel point le personnel de la santé se sent démuni et limité dans ces milieux de vie. Il y a un réel besoin d’établir une infrastructure et un réseau», observe le Dr Nguyen.
Un tremplin vers d’autres subventions
Les données recueillies dans le cadre du projet «Mieux étudier les personnes âgées en CHSLD et en gériatrie pour mieux les soigner» constituent une pierre d’assise pour la recherche en CHSLD et un tremplin vers de nouvelles subventions. La recension permettra notamment d’établir une feuille de route de solutions et de recommandations.
Notre objectif est de bâtir un écosystème québécois de recherche auprès de nos aînés en contexte de pandémie et au-delà. De sorte que, si une autre vague frappe le Québec, on aura les outils nécessaires pour y faire face. Il ne faut pas oublier que cette population demeure fragile et mérite toute notre attention.— Dr Quoc Dinh Nguyen
Prévenir le déconditionnement des aînés grâce au programme PACE
Les deux tiers des personnes âgées québécoises se disent inactives et sédentaires. Avec l’isolement et les restrictions imposés par la COVID-19, le problème du déconditionnement lié au manque d’activité physique s’est aggravé de manière dramatique, ce qui entraîne des effets sur la perte d’autonomie.
Sachant que l’exercice est une façon efficace de prévenir le déclin physique et mental chez les gens âgés, Mylène Aubertin-Leheudre, professeure associée à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l'UdeM et directrice associée à la recherche clinique au Centre de recherche de l’IUGM, s’est demandé pourquoi on ne le prescrirait pas à celles et ceux qui souffrent de déconditionnement.
La kinésiologue en a discuté avec la gériatre Marie-Jeanne Kergoat, professeure à la Faculté de médecine, chercheuse clinicienne et directrice du service de consultation externe de cognition de l’IUGM, qui a trouvé l’idée fort à propos. Le hic: un manque de connaissances, d’outils et de ressources professionnelles pour la mettre à profit.
Mylène Aubertin-Leheudre a saisi la balle au bond. «Avec la Dre Kergoat, le Dr Thien Tuong Minh Vu, gériatre au CHUM, et l’ergothérapeute Nathalie Veillette, de l’École de réadaptation, on a mis en branle un projet visant à créer un outil interactif pour faire bouger les aînés de façon sécuritaire et leur permettre ainsi qu’à leurs proches aidants de suivre et de voir les séances d’activité physique en ligne», résume-t-elle. Le projet s’intitule «Prévenir le déconditionnement des aînés fragiles suivis au Centre ambulatoire de gériatrie: implantation d’un programme d’activité physique adapté à distance via l’outil PACE».
Un programme simple et efficace
Créé au Laboratoire du muscle et de sa fonction par une équipe de kinésiologues et de chercheurs en collaboration avec les équipes de soins, le programme PACE fonctionne de manière simple, en présentiel ou par Zoom.
Le ou la médecin questionne la personne âgée pour évaluer son degré de mobilité. Selon les résultats obtenus, l’un des 35 programmes d’activité physique lui sera prescrit et enseigné en ligne par un ou une kinésiologue. Pendant 12 semaines, la personne aura une série d’exercices ciblés à faire chaque jour à la maison – mobilité des membres inférieurs, flexibilité du tronc, équilibre, endurance musculaire, etc. – combinés avec une marche de 15 à 30 minutes selon son profil.
Un suivi téléphonique permettra d’adapter les exercices ou l’intensité du programme au besoin. «Il s’agit d’une prescription, mais au lieu que ce soit une pilule, c’est une dose d’exercice», illustre Mylène Aubertin-Leheudre.
Une amélioration des capacités fonctionnelles
Proposé à une quarantaine de personnes, l’outil donne des résultats concluants, selon les données préliminaires, et est très apprécié des participants. «On est passé de personnes très sédentaires à risque de vivre avec des incapacités à des personnes considérées comme actives qui ont amélioré leurs capacités fonctionnelles», se réjouit la kinésiologue.
Une version améliorée du programme PACE est en cours d’élaboration, basée sur les commentaires des patients, des proches aidants et des médecins, et sera implantée à plus grande échelle au Québec, mais aussi ailleurs. De plus, l’outil sera bientôt présenté en France comme une référence en matière de vieillissement.
La pandémie a stimulé une recherche qui ne se serait jamais faite autrement. Elle nous a appris qu’il est possible de créer et d’intervenir différemment.— Mylène Aubertin-Leheudre