Quand bébé se fait attendre

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Un couple canadien sur six sera confronté à des problèmes de fertilité. Du 24 au 30 avril, la Semaine canadienne de sensibilisation à l'infertilité fait la lumière sur cette maladie encore taboue.

Pour plusieurs, concevoir un enfant est un projet relativement simple. Pour d’autres, le parcours est semé d’embûches. Au Canada, les problèmes de fertilité sont de plus en plus fréquents. Dans les années 80, la proportion des couples canadiens rencontrant des difficultés à concevoir un enfant était estimée à 5,4 %. Aujourd’hui, les données indiquent qu’elle s'élève à près de 16 %, soit un couple sur six. Si plusieurs raisons peuvent expliquer cette hausse, les choix sociétaux y joueraient un grand rôle.

L’âge serait un facteur déterminant, particulièrement chez la femme. Ainsi, le choix que font de plus en plus de couples de repousser à plus tard le moment d’avoir des enfants a une répercussion directe sur les troubles de fertilité. «Nous voyons dans les médias beaucoup d’histoires de femmes de plus de 40 ans qui ont des enfants, ce qui fait que nous pensons avoir toute la vie pour fonder une famille, dit Katherine Péloquin, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal. Mais la réalité est que, lorsqu’une femme approche la quarantaine, ses chances de concevoir sont diminuées de 50 %.»

Le directeur du Département de pathologie et biologie cellulaire de l’UdeM, Greg FitzHarris, s’intéresse précisément à cette situation. Il étudie les liens entre le vieillissement féminin et la détérioration des ovules afin de trouver des solutions qui permettraient aux femmes de tomber enceintes. «La question de l’âge de la femme et de l’infertilité m’intéresse, puisque c’est un facteur de plus en plus fréquent en clinique. Présentement, en laboratoire, nous utilisons des souris femelles âgées de six à huit semaines pour représenter les adolescentes, puis des souris de 18 mois pour représenter les femmes dans la mi-quarantaine. Lorsque nous examinons une vieille souris, nous retrouvons les mêmes problèmes que chez une femme plus âgée», explique-t-il.

Tous deux s’entendent également pour dire que plusieurs autres composantes peuvent intervenir dans les difficultés à concevoir un enfant. Des maladies, déséquilibres hormonaux et problèmes liés à la production d’ovules ou de sperme pourraient être en cause, en plus de divers facteurs auxquels les individus sont implicitement liés, tels que le poids et le tabagisme.

Un parcours en clinique éprouvant

Dans les couples qui vont en clinique de fertilité, le processus est vécu différemment, autant physiquement que psychologiquement, selon qu’il s’agit de l’homme ou de la femme. «Les femmes vont rapporter beaucoup plus de détresse psychologique que les hommes. Indépendamment de qui est touché par le problème de fertilité dans le couple, la majorité des actes médicaux se font sur le corps de la femme. Les médicaments, les injections, les hormones qui peuvent jouer sur l’humeur, en plus de l’inconfort des interventions et de tous les rendez-vous à la clinique… C’est surtout la femme qui vivra ces désagréments», affirme Katherine Péloquin.

La psychologue souligne que les hommes trouvent également le processus ardu, mais qu’il est difficile de quantifier le tout, puisque la majorité des recherches au sujet de l’infertilité sont faites selon une perspective féminine. «L’homme ressentira de l’inconfort au moment de fournir un échantillon de sperme, puisque les locaux où il devra s’exécuter ne sont pas nécessairement adaptés à ça. Il y a également la pression et l’anxiété de performance qui sont présentes, en plus du sentiment de ne pas toujours être inclus dans le processus. Ils vivront beaucoup de détresse par rapport à celle de leur partenaire, puisqu’ils sont conscients que c’est leur partenaire qui est soumise aux traitements. Il y a alors un sentiment d’impuissance», observe-t-elle.

Bien qu’environ 20 % de la clientèle des cliniques de fertilité soient des couples de même genre ou des femmes seules, ces individus ne sont pas nécessairement confrontés aux mêmes réalités que les couples hétérosexuels. «Pour eux, le parcours est différent parce qu’il n’est pas forcément teinté par des échecs, dit la professeure. Il s’agit plus ici d’un choix. Par exemple, un couple de femmes lesbiennes désireux d’avoir un enfant sait depuis le jour un qu’il devra passer par ce processus-là, alors que pour un couple hétérosexuel qui vit de l’infertilité médicale, c’est une surprise de devoir aller dans une clinique. C’est donc un choc pour lui.»

Une vie sexuelle chamboulée

En 2021, une étude à laquelle elle participait s’est penchée sur les effets de l’infertilité sur la sexualité des couples y étant confrontés. Il a été démontré que le processus en clinique de fertilité affectait également le désir et le plaisir autrement éprouvés lors de relations sexuelles. «Les couples aux prises avec un problème de fertilité ont tout un historique de relations sexuelles infructueuses, explique-t-elle. Au fil du temps, la sexualité devient mécanique. Elle est assujettie au cycle menstruel et n’est plus axée sur le désir.»

Elle note que, même lorsque le processus en clinique est terminé ou que le couple réussit à avoir un enfant, les effets négatifs peuvent persister: «Il peut parfois y avoir des répercussions à long terme sur la vie sexuelle du couple, puisqu’il y a une désensibilisation aux stimulus sexuels normaux. Les signaux du désir sont éradiqués. La sexualité est liée à la procréation ou bien est un rappel des échecs vécus par le passé.»

La spécialiste fait toutefois remarquer que certains couples ressortent plus forts et plus unis de l’épreuve, comme l’a démontré une autre de ses études, publiée en 2020. «Oui, ça a été les plus grosses difficultés de leur vie, mais les partenaires ont l’impression qu’elles les ont rapprochés. Il y a des couples qui vont vraiment bien à la base, dont les partenaires sont capables de se soutenir et de répondre aux besoins l’un de l’autre. L’adversité les soudera», signale-t-elle.

La FIV, une solution magique?

L’évolution du savoir médical et des technologies permet aujourd’hui d’offrir plus d’options aux couples infertiles, comme la fécondation in vitro (FIV). La Dre Péloquin rappelle toutefois que cela n’est pas aussi simple qu’il y paraît: «Les gens ont la perception qu’ils peuvent avoir des enfants longtemps et l’impression qu’ils peuvent aller faire un bébé in vitro, mais ils ne sont pas toujours conscients de ce qu’est un parcours en fertilité.»

Greg FitzHarris met également en garde contre la garantie de succès d’une fécondation in vitro. «Seul un certain nombre de spermatozoïdes et d’ovules peuvent évoluer pour devenir un bébé. Dans l'ovocyte, si l’ovule n’a pas le bon nombre de chromosomes, il n’y a rien qu’une clinique puisse faire pour changer cela. Même les personnes fertiles sont relativement infertiles par rapport aux autres mammifères», dit-il. Si son équipe et lui travaillent à trouver des solutions pour améliorer la qualité des ovules des femmes vieillissantes, il déconseillerait à celles ayant la possibilité de concevoir naturellement d’attendre que les problèmes surgissent. «Notre but est de trouver exactement ce qui ne va pas et d’élaborer les bonnes stratégies pour y remédier. Oui, à long terme, nous aimerions améliorer la qualité des ovules des femmes plus âgées et de celles ayant du mal à concevoir. Cependant, je ne voudrais pas donner l'impression que nos travaux permettront à toutes les femmes d’attendre la quarantaine pour faire des enfants et, si elles n’en sont pas capables, de se diriger vers la FIV. Cela consisterait à prendre des risques inutiles», indique-t-il.

Le professeur du Département d’obstétrique-gynécologie de l’UdeM remarque toutefois que le don d’ovules pourrait être une option à considérer pour les femmes plus âgées: «Si nous examinons les données de patientes dans la quarantaine subissant un traitement de FIV, nous verrons, en moyenne, que peu d'entre elles tombent enceintes. Mais si ces mêmes patientes reçoivent des ovules d'une donneuse plus jeune, leurs chances de concevoir augmentent considérablement. Le même sperme est utilisé, la femme plus âgée porte l’enfant, mais l’ovule plus jeune fait monter en flèche les chances de succès. C’est donc dire que l'âge est très important lorsque nous parlons de fertilité.»

Un sujet tabou

Bien que l’Organisation mondiale de la santé ait reconnu officiellement, en 2009, l’infertilité comme une maladie, le sujet semble encore peu discuté. «L’infertilité touche à une partie de l’identité de l’individu, dénote Katherine Péloquin. Donc, quand on rencontre des difficultés de conception, il peut y avoir beaucoup d’émotions qui sont vécues, telles que la culpabilité, la honte, le sentiment d’être inadéquat ou que son corps ne peut pas faire ce qu’il devrait normalement être en mesure de faire. Il y a aussi une portion de l’entourage qui ne comprend pas nécessairement ce que ça veut dire de ne pas être capable d’avoir un enfant quand on en veut un. Et parfois, les commentaires peuvent manquer de sensibilité.» Elle invite les personnes touchées par les problèmes de fertilité à poser leurs limites et conseille à celles qui les côtoient de questionner les principaux intéressés sur les comportements à privilégier. «Il est important d’être à l’écoute et d’éviter de donner des conseils», ajoute-t-elle.

Pour la psychologue, il serait surtout important de conscientiser la population à la fertilité et à ce qu’elle implique. «Il faut cesser d’idéaliser la maternité à n’importe quel âge en pensant que, lorsqu’une femme sera prête, ce sera facile. Ce ne le sera peut-être pas. Malheureusement, nous ne recevons pas beaucoup d’éducation sur la capacité de reproduction. Assez tôt, nous sommes éduqués en matière de protection et de moyens de contraception, mais très peu est dit sur l’horloge biologique, qui n’est pas éternelle. C’est important d’y réfléchir», conclut-elle.