Aimie Néron: plonger dans le passé

"Au Québec sur environ 120 scaphandriers nous sommes 4 femmes." AIMIE NÉRON

"Au Québec sur environ 120 scaphandriers nous sommes 4 femmes." AIMIE NÉRON

En 5 secondes

À la seule force de ses palmes, elle s’enfonce. Vaporeusement, les mètres défilent, la lumière se raréfie, la douceur du calme subaquatique s’installe.

Quand la vie semble plus belle sous l’eau et qu’on a pour idole de jeunesse Indiana Jones, il semble tout naturel de devenir archéologue subaquatique. Du moins, ce l’était pour Aimie Néron.

Titulaire d’une maîtrise en anthropologie de l’Université de Montréal, Aimie Néron est la seule femme au Canada à être archéologue subaquatique et scaphandrière. Elle met actuellement à profit son expertise unique au sein de l’Institut de recherche en histoire maritime et archéologie subaquatique (IRHMAS), de l’équipe d’archéologie subaquatique de Parcs Canada et des compagnies de plongée commerciale.

Le «monde du silence» raconté

L’archéologie subaquatique a pour objet d’étude tout type de structure submergée, qu’il s’agisse de quais, d’écluses, d’épaves de navires ou d’avions. Elle vise le même objectif scientifique que l’archéologie terrestre, soit explorer l’histoire de l’humanité.

Toutefois, en raison de son environnement relativement hostile, les techniques sur le terrain relèvent davantage de la plongée professionnelle et des sciences de la mer. «C’est une science multidisciplinaire, note Aimie Néron. On fait appel à l’histoire et à la géographie, bien sûr, mais il faut aussi comprendre les reliefs, les courants, les profondeurs, les sédiments. C’est pourquoi de nombreux instruments géophysiques sont utilisés, comme des échosondeurs, des sonars, des véhicules sous-marins téléguidés ou des magnétomètres.»

Recoller les morceaux

Photo: Marijo Gauthier-Bérubé (IRHMAS)

C’est le croisement des données et des disciplines qui permet ainsi d’esquisser un tableau global et de révéler les secrets des vestiges subaquatiques. «L’archéologie est un véritable casse-tête, mais vous ne savez pas si vous avez toutes les pièces et vous n’avez aucune idée de l’image sur la boîte!» ajoute l’archéologue en riant.

À la plongée se greffe également un important travail de détective: traitement des données, modélisation 3D, comparaison avec des plans anciens, analyse des archives, autopsie des artéfacts trouvés sous l’eau. Le tout afin de reconstituer le quotidien et l’environnement des générations passées.

«Sur les épaves, la culture matérielle nous renseigne sur une multitude d’éléments: les modes de l’époque, les hiérarchies socioéconomiques à bord, les loisirs des marins, l’architecture navale. Chacun de ces détails nous aide ensuite à dater, caractériser ou comprendre les épaves et les circonstances de leur naufrage.»

Et quand cette investigation porte ses fruits, c’est l’exaltation. Comme lorsqu’Aimie Néron et ses collègues de l’IRHMAS ont identifié des morceaux d’épave associés au fort Saint-Jean, situé au bord de la rivière Richelieu.

«C’est une découverte d’importance historique, puisque jusqu’ici nous croyions qu’il s’agissait d’éléments de quai, s’enthousiasme la plongeuse. Dans le contexte de la Richelieu et du fort, cette épave pourrait être liée à la guerre de l’Indépendance américaine ou à la guerre anglo-américaine de 1812.»

Se tailler une place dans un milieu difficile

Aussi enivrant et passionnant que puisse être le travail d’Aimie Néron, la plongée commerciale reste un métier ardu. «Être plongeuse professionnelle et scaphandrière n’est pas évident, confie-t-elle. En moyenne, les gens font ce travail pendant environ cinq ans, puis ils quittent la profession. C’est physiquement très exigeant, il y a beaucoup de déplacements et un accident sous l’eau peut rapidement devenir traumatisant.»

Elle mentionne aussi qu’il s’agit d’un domaine presque exclusivement masculin. «Au Québec, sur environ 120 scaphandriers, nous sommes 4 femmes.» Même constat pour son cours de plongée professionnelle autonome, donné à l’Institut maritime du Québec à Rimouski: parmi 30 candidats, sur lesquels seuls 12 ont finalement été choisis, Aimie Néron était la seule femme.

Inutile de dire que sa voix se teinte de fierté lorsqu’elle révèle avoir eu la chance d’être la première femme archéologue à plonger là où l’épave du HMS Erebus, un navire de la Royal Navy armé en 1826, a été découverte par ses collègues de Parcs Canada, dans le détroit de Victoria en 2014.

«J’entame cette année ma 15e saison d’archéologie subaquatique. Je ne me tanne pas. Je pourrais être dans l’eau tous les jours, pour moi, c’est quasiment méditatif. C’est l’endroit où je me sens le plus chez moi.»

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