Mathieu Gaudet: pianiste et urgentologue

"Faire de la musique est un des plus beaux cadeaux qu'on puisse offrir à un enfant pour le préparer à son avenir" MATHIEU GAUDET

"Faire de la musique est un des plus beaux cadeaux qu'on puisse offrir à un enfant pour le préparer à son avenir" MATHIEU GAUDET

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Soliste, chambriste, chef d’orchestre et… spécialiste des soins aux malades en phase critique: Mathieu Gaudet est un virtuose qui a bien plus d’une corde à son arc.

Au moment de réaliser cette entrevue, une bordée de neige venait de tomber sur la ville et Mathieu Gaudet était ravi, car il pourrait profiter des joies de l’hiver avec ses trois enfants. C’est l’une de ses manières de se détendre après ses longues journées de travail à l’hôpital et derrière son piano.

On lui a déjà demandé si, lorsqu’il sortait de l’hôpital de Cowansville, où il est urgentologue, jouer du piano lui permettait de se détendre. C’est plutôt l’inverse pour ce musicien. Il trouve bien plus stressant, même en étant préparé, d’être sous les feux des projecteurs, seul, devant un millier de personnes à donner un concert qu’à l’hôpital au service des urgences. Là, il se sent comme un poisson dans l’eau: il connaît depuis longtemps les bons gestes à accomplir, se tient à jour et sait qu’il a, à ses côtés, toute une équipe prête à l’accompagner.

Étudiant en médecine et en musique

Aussi loin qu’il se souvienne, Mathieu Gaudet a toujours eu de la facilité en sciences et un amour profond pour la musique.

Lorsqu’il a eu 20 ans, il s’est trouvé à la croisée des chemins et a décidé d’étudier en musique «parce que, pour atteindre un haut niveau en musique, il faut se donner complètement à la fin de l’adolescence. À ce moment-là, on peut travailler huit heures par jour sans être accaparé par les obligations de la vie adulte». Il a alors étudié auprès de Julian Martin et de Leon Fleisher au prestigieux conservatoire Peabody de l’Université Johns Hopkins, à Baltimore.

À 27 ans, il a été lauréat de divers premiers prix et bourses. Malgré ses nombreuses réalisations musicales, Mathieu Gaudet ne se projette pas dans une unique carrière de musicien avec laquelle il pourrait combiner une vie de famille. Il retourne alors dans son Québec natal. Nostalgique de ses études de sciences, il s’inscrit au programme de médecine de l’Université de Montréal tout en poursuivant son doctorat à la Faculté de musique auprès de Paul Stewart. «Mes cours de musique et de médecine étaient à une dizaine de minutes de marche les uns des autres. C’était très agréable d’ailleurs, j’empruntais un petit sentier dans la forêt en arrière de l’Université pour me rendre dans les différents bâtiments.»

Certes, les débuts ont été assez prenants. «Quand on commence des études de médecine, on n’est pas tellement maître de son temps et particulièrement lorsqu’on fait l’externat avec des stages qui peuvent s’étendre de 6 h le matin jusqu’à tard dans la nuit.» Devenu résident, il a pu avoir des horaires qui lui permettaient de continuer ses multiples projets musicaux, dont la poursuite d’une maîtrise en direction d’orchestre avec Jean-François Rivest.

La discipline acquise en musique lui a servi pour la médecine et inversement. «Jouer d’un instrument de musique classique de façon avancée est extrêmement complexe. Cela permet de créer de nouvelles connexions neuronales et ainsi d’avoir le cerveau bien huilé quand vient le temps d’apprendre des choses plus prosaïques! Faire de la musique est un des plus beaux cadeaux qu’on puisse offrir à un enfant pour le préparer à son avenir.»

Musicien et médecin

On se pose tout de même la question instantanément: comment peut-on réussir à mener de front des carrières de musicien et de médecin? C’est notamment grâce à un immense travail d’organisation que Mathieu Gaudet y parvient. «Comme urgentologue, il faut couvrir les jours et les nuits. Si je travaille trois nuits de suite aux urgences, ce sera merveilleux si je trouve l’occasion de faire quotidiennement une heure de piano. Je vais me consacrer à la musique les jours où je ne serai pas à l’hôpital. La médecine d’urgence ne se pratique pas selon des horaires traditionnels de 8 h à 17 h, cinq jours par semaine. Cela me permet d’avoir chaque semaine des journées vouées exclusivement au piano. Et les concerts se planifient un ou deux ans à l’avance. Quand vient le temps d’établir mon horaire de quarts de travail aux urgences, je connais déjà mes dates de concert. Ainsi, je peux me libérer du temps avant un récital pour être reposé et entièrement disponible à ce moment-là.»

C’est ainsi que Mathieu Gaudet a pu présenter 20 concerts de musique de chambre à Terre-Neuve en 2003 au festival Gros Morne Summer Music, qu’il a cofondé, et qu’il a pu en donner non seulement dans l’ensemble des provinces canadiennes, mais également aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ses concerts sont régulièrement primés. Par exemple, l’un d’eux au Bic a remporté deux prix Opus, du Conseil québécois de la musique.

En parallèle, il a enregistré plusieurs albums. À la sortie de son premier disque, consacré à Rachmaninov, le critique musical Claude Gingras a dit qu’il possédait «la forte technique, le souffle, l’expressivité et le sens de la grande ligne et du détail que requiert cette musique».

L’intégrale des œuvres de Schubert pour piano

Schubert a été l’un des compositeurs romantiques les plus prolifiques avec plus d’un millier de compositions. Mathieu Gaudet travaille sur un ambitieux projet: l’enregistrement de l’intégrale de ses œuvres pour piano. Le premier volume a été en nomination au Gala de l’ADISQ en 2020 dans la catégorie Soliste et petit ensemble. Il prépare en ce moment le volume sept, qui marque la mi-parcours de cet immense projet et qui contient la Wanderer Fantasie, l’une des œuvres les plus explosives de Schubert et l’une des plus difficiles à jouer.

«Schubert est un compositeur que j’apprécie énormément. D’un point de vue pratique, il se prête assez bien à mon emploi du temps. Sa musique ne nécessite pas que je m’entraîne cinq heures par jour comme je le faisais par le passé en interprétant Rachmaninov. Le plus grand défi pour Schubert est la conception sonore. Je peux prendre le temps de mûrir ce discours loin du piano, quand je suis dans ma voiture pour me rendre à l’hôpital par exemple.»

Dans ce genre de projet, il y a le risque de se décourager avant d’arriver au bout. Pour éviter de tomber dans ce piège, Mathieu Gaudet a suivi les conseils d’un de ses amis et enregistré les pièces chronologiquement, ce qui lui permet de garder les plus grandes sonates pour les derniers albums. Tous ses prochains disques comprendront ainsi soit un impromptu, soit une sonate de la maturité. Chacun d’entre eux sera un évènement!

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