Gare aux GAFAM!
- UdeMNouvelles
Le 3 juin 2022
- Virginie Soffer
Avant de quitter le CÉRIUM, le journaliste, professeur retraité et ancien directeur général de l’information de Radio-Canada Alain Saulnier a lancé un appel à résister aux géants du numérique.
À l’occasion d’une causerie organisée par le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) le 31 mai, Alain Saulnier a discuté de son dernier livre, Les barbares numériques, avec la doctorante en communication à la Faculté des arts et des sciences Amandine Hamon. Un ouvrage qu’elle qualifie de «percutant» avec un propos engagé et une mise en garde, voire un cri d’alerte, contre ceux qu’il appelle les «barbares numériques.»
Les barbares numériques, ce sont pour Alain Saulnier les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), ces géants qui ont envahi tout un territoire pour s’y installer avec leur manière de procéder. Les conséquences fiscales, sociétales, environnementales et culturelles sont désastreuses. Selon lui, il est encore temps de résister.
Des réflexions amorcées à l’UdeM
Les réflexions de M. Saulnier se sont amorcées en 2012, quand il est devenu professeur au Département de communication de l’UdeM après avoir été directeur général des services français de l’information à Radio-Canada.
«J’avais certaines préoccupations, notamment au sujet de Facebook. Je commençais chaque session universitaire par une observation sur l’état des médias dans un de mes cours. Et très rapidement, je me suis aperçu que ce n’était pas suffisant et qu’il était impératif d’y ajouter les relations que les médias entretenaient avec les géants numériques. Et cela a changé toute la perspective. Mais je n’ai pas développé d’aversion pour les réseaux sociaux. Car grâce à Facebook, grâce à Twitter et à mes étudiants et étudiantes, j’ai été constamment abreuvé d’informations pour enrichir mes connaissances sur le dossier. C’est le point de départ de ce livre. Je voulais susciter une prise de conscience, car on s’est laissé avoir au Canada en ouvrant la porte à ces puissances, sans réaliser ce qu’on faisait», dit-il.
Résister à une prise de contrôle fiscale, culturelle et environnementale
«Combien de millions de dollars n’ont jamais été versés au fisc du Canada par ces géants?» demande Alain Saulnier. Il ajoute que, pour «protéger la folle aventure des Français en Amérique du Nord», il est nécessaire de résister afin de préserver une souveraineté culturelle. Une résistance qui sera aussi environnementale. «C’est complètement fou de voir ce déferlement de paquets qui proviennent d’Amazon, tuent les commerces et produisent des déchets. Ne peut-on pas trouver une solution?»
Le livre d’Alain Saulnier fait la genèse des occasions manquées par le gouvernement pour règlementer les géants du numérique. Il demeure optimiste, affirmant qu’il n’est pas trop tard pour réformer les lois. S’il était adopté, le projet de loi C-11 pourrait par exemple permettre de modifier les lois sur la radiodiffusion, faciliter ainsi l’accès à du contenu canadien et soutenir les créateurs des minorités culturelles et autochtones.
Un appel à faire contrepoids lancé aux journalistes
Alain Saulnier a été associé à la création, avec André Lafrance et Guy Angrignon, du diplôme d’études supérieures spécialisées en journalisme à l’Université de Montréal. Il y a enseigné pendant 10 ans. Selon lui, le métier de journaliste a grandement évolué ces dernières années avec l’arrivée des médias sociaux. «Auparavant, ce qui motivait les journalistes, c’était d’être les premiers à annoncer une nouvelle. Ils ont perdu cette course: ce ne sont plus eux les premiers, ou plutôt elles – la profession s’étant féminisée. Les médias n’ont pas pris acte que les médias sociaux peuvent leur damer le pion. En 2011, Éric Scherer publiait l’irrévérencieux A-t-on encore besoin des journalistes? Aujourd’hui, si les journalistes veulent encore avoir une place dans l’environnement médiatique, il devient impératif qu’ils se réinventent. Ils ne peuvent pas juste relayer, aller chercher le pour et le contre sur un sujet comme les changements climatiques», mentionne-t-il.
«Être journaliste ne consiste pas seulement à rapporter l’information. C’est creuser, c’est aller chercher des faits probants, c’est débusquer des histoires qui ne sont pas connues, souligne-t-il. Les journalistes doivent agir pour rétablir les faits. Et l’avantage principal des journalistes est de réussir à mettre les choses en perspective.»
Militant pour le journalisme d’enquête, Alain Saulnier poursuit: «Une des choses les plus extraordinaires que j’ai pu faire durant ma carrière a été de créer l’émission Enquête avec mes collègues de Radio-Canada: elle a conduit à la création de l’Union permanente anticorruption, de la commission Charbonneau et entraîné la démission de maires malhonnêtes, comme Gilles Vaillancourt à Laval.»
Un adieu au CÉRIUM
Alain Saulnier a enseigné de 2012 à 2022 à l’Université de Montréal, où il a été un mentor pour de très nombreux étudiants et étudiantes. Durant la pandémie, il a créé avec ses collègues Guy Angrignon et Michaël Monnier la plateforme Agence de presse 21, pour laquelle ils viennent de remporter un prix d’excellence en enseignement. Au Centre d’études et de recherches internationales de l'UdeM (CÉRIUM), il a notamment été producteur délégué de l’émission de décryptage de l’actualité internationale Planète Terre, devenue par la suite Arrêt sur le monde. Celui qui a toujours su «mélanger parfaitement délicatesse et fermeté», selon les mots de Frédéric Mérand, quitte maintenant ce centre de recherche international de haut vol après plus de 10 années.
Avec lui s’en vont aussi Fédéric Mérand, qui a été directeur scientifique du CÉRIUM durant 8 ans, et Magdalena Dembinska, qui en était la directrice académique depuis 2012. Grâce à eux, le Centre a reçu des scientifiques de toute la planète, mais aussi des ministres, des commissaires européens et d’anciens premiers ministres. Frédéric Mérand dirigera désormais le Département de science politique et Magdalena Dembinska part en année sabbatique après avoir accueilli des étudiantes ukrainiennes sur le campus. En faisant leurs adieux au CÉRIUM, tous deux ont rappelé l’importance de se faire des amis en ces temps géopolitiquement troublés.