Chronique du renouveau littéraire des années 30

Louis Dantin dans son bureau, vers 1938-1939

Louis Dantin dans son bureau, vers 1938-1939

Crédit : Yves Garon, « Louis Dantin, sa vie et son œuvre », thèse (Ph. D), Université Laval, 1960, 641 f. et un cahier de photographies, Bibliothèque Roger-Maltais, Université de Sherbrooke.

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L'abondante correspondance entre Louis Dantin et la jeunesse littéraire des années 30 vient d’être publiée. L’occasion de jeter un nouveau regard sur un pan méconnu de la littérature québécoise.

Une nouvelle facette de la fabuleuse correspondance du critique et poète Louis Dantin vient d’être mise au jour. Ce sont 318 lettres, pour la plupart inédites, datant des années 1927 à 1941. Ces écrits brossent un tableau de la modernité littéraire québécoise des années 30.

Le livre La correspondance entre Louis Dantin et la «jeunesse littéraire» des années 1930 se divise en deux parties. Dans une première se trouvent des lettres des éditeurs Albert Lévesque et Albert Pelletier. La seconde regroupe la correspondance de jeunes écrivains nés autour de 1900: Jovette Bernier, Robert Choquette, Alice Lemieux, Simone Routier et Éva Senécal.

Nous nous sommes entretenus avec Stéphanie Bernier, professeure au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, qui a publié cet ouvrage avec Pierre Hébert, professeur en lettres et sciences humaines à l’Université de Sherbrooke.

Peut-on lire chaque correspondance séparément? Pourquoi avoir publié toutes ces lettres dans un même recueil?

Oui, chaque correspondance peut se lire séparément. Les lettres peuvent également se lire toutes ensemble d’un bout à l’autre.

Après avoir copublié un volume sur la correspondance entre Louis Dantin et le poète Alfred Desrochers, Pierre Hébert et moi avons voulu montrer l’arrivée d’une nouvelle génération d’écrivains liés par le mentor qu’ils ont élus: Louis Dantin. Éparpillés au Québec et en Nouvelle-Angleterre, de jeunes poètes qui ne se sont jamais rencontrés et qui ne possèdent pas d’organe structurant lancent leur premier recueil dans les années 20 et s’engagent consciemment dans une carrière littéraire. Pour offrir au public une deuxième œuvre plus aboutie, ils sollicitent l’aide de ce célèbre aîné exilé aux États-Unis qui, par sa préface, a révélé Émile Nelligan. 

Dantin va les conseiller séparément tout au long de l’écriture de leur manuscrit. Ceux qu’Alfred DesRochers nomme «les Individualistes de 1925» grandissent sous la plume de Louis Dantin. C’est comme s’il tenait une sorte d’école d’écriture par lettre qu’il dirige avec bienveillance. Il ne se place jamais comme maître d’école, mais fait plutôt preuve de diplomatie en ménageant les susceptibilités de tous.

Ces correspondances permettent de suivre étape par étape les différents projets littéraires du groupe. Cela en fait une chronique épistolaire et littéraire très riche sur cette période, qui jusqu’à récemment était restée dans les limbes de l’avant-Révolution tranquille.

Jovette Bernier, Alice Lemieux, Simone Routier et Éva Senécal: plus de la moitié des épistoliers sont des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus?

Pour une femme dans la vingtaine dans les années 30 au Québec, aspirer à devenir écrivaine n’allait pas de soi. De nombreuses embûches, notamment familiales, se dressaient devant elle. Le recours au genre épistolaire était un moyen de dégager un espace de liberté pour qu’elle puisse mener à bien son projet. D’ailleurs signe d’émancipation, trois d’entre elles vont voyager en France.

Louis Dantin jouit d’un immense crédit. Alice Lemieux écrira par exemple: «Je suis bien fière que vous parlerez un jour de mes vers. J’ai dit si souvent, en France comme ici, que Dantin était notre seul critique. Les autres me coupaient les ailes.» Avec Jovette Bernier, on assiste à la révélation d’une grande épistolière.

Parlez-nous de la correspondance très intime entre Jovette Bernier et Louis Dantin.

Jovette Bernier s’engage dans l’écriture avec passion. Il s’agit d’abord d’une relation de mentorat entre une jeune élève de 25 ans et son maître sexagénaire. Puis elle évolue. Voici un extrait de ce qu'elle écrit à Louis Dantin: «L’opinion que je me fais de vous?... Je ne sais pas tout à fait: c’est comme un charme où il y a du rêve, de l’espoir, du désir, de la volupté, de l’amour, tout ce qui est âprement humain. J’aime tout ce que vous dites, ce qui me fait de la peine comme ce qui me fait plaisir.» Toutefois, pour cet ancien prêtre, Jovette est une amante de papier et leur relation ne se concrétisera pas au-delà de la correspondance. Leur passion semble réciproque bien qu’on n’ait pas accès aux lettres de Louis Dantin, ce qui ajoute au mystère de ces échanges. Leur passion amoureuse par lettres va ensuite se changer en un rapport de complicité.

Entre ces deux esprits libres qui avaient 40 ans d’écart se trouve un amour voué à l’échec, un amour impossible vécu ardemment par l’écriture. Ces lettres donnent alors une clé pour mieux comprendre comment l’écriture de Jovette Bernier s’est ensuite développée dans ses œuvres. La question de l’amour va traverser l’ensemble de ses textes et l’on s’aperçoit qu’elle utilise cette correspondance presque comme un laboratoire d’écriture amoureuse. Je pense que ça permet de jeter un nouveau regard sur l’œuvre de Jovette Bernier et d’envisager la lettre non pas seulement comme un support d’écriture utilitaire voué à la communication, mais vraiment comme un lieu d’écriture qui est investi de toutes parts par les écrivains dans la réalisation de leurs œuvres. 

Certaines de ces correspondances sont également l’occasion d’observer différentes perspectives sur l’utilisation de la langue française, n’est-ce pas?

Oui, nous voulions présenter un portrait fidèle de la réalité en restituant ces correspondances. Il va y avoir des polémiques très franches entre Louis Dantin et Albert Pelletier. Ils vont être en désaccord parce que l’enjeu linguistique se pose par rapport à la reconnaissance de la littérature canadienne-française en France. Les tenants du canadianisme intégral comme Albert Pelletier vont défendre l’utilisation d’une langue canadienne pour montrer les particularités de la littérature canadienne-française et se détacher du modèle français alors que Louis Dantin va promouvoir l’angle d’une langue française non dénuée de particularismes.

De plus, les enjeux entre la France et le Québec se reconfigurent lorsque les auteurs portent leur regard vers les États-Unis. On voit ainsi émerger, notamment dans la correspondance avec Robert Choquette, une nouvelle sensibilité à l’égard du continent américain. Il va signer un recueil de poésie qui s’intitule Metropolitan Museum, un nom jugé choquant par certains critiques canadiens-français. En effet, pourquoi donner à un recueil le nom de cet établissement muséal new-yorkais? Et à fortiori pourquoi choisir un nom anglais pour une œuvre francophone? Cette correspondance permet aussi de percevoir que l’appartenance au continent américain commence à faire surface dans les préoccupations des écrivains.

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