Hausse de la participation des Autochtones aux institutions démocratiques canadiennes

Crédit : Arnaud Jaegers sur Unsplash

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La thèse doctorale présentée en août 2021 par Simon Dabin nous apprend que la participation électorale des Autochtones a dépassé 50 % aux élections fédérales de 2015 et de 2019.

Si les résultats de la recherche de Simon Dabin semblent surprenants, c’est parce qu’il est le premier à s’être penché sur le sujet: «Il y a quelques études, mais elles portent sur le fait qu’ils [les Autochtones] ne participent pas aux élections plutôt que sur ceux et celles qui y participent», précise Simon Dabin, stagiaire postdoctoral au Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones, dont l’un des pôles est à l’Université de Montréal, et chargé de cours en science politique à l’UQAM.

C’est grâce à un séminaire donné par Martin Papillon, professeur agrégé au Département de science politique de l’UdeM, que Simon Dabin s’est intéressé aux questions autochtones. «Quand j’ai fait ma maîtrise et même mon baccalauréat en philosophie des politiques à l’Université de Montréal, on n’entendait pas parler des études autochtones. Ce n’est plus le cas», dit-il en soulignant qu’il a l’impression de parler d’une autre époque. Ainsi, durant ce dernier séminaire de maîtrise, Martin Papillon a fait lire au groupe Paix, pouvoir et droiture, un manifeste autochtone (Éditions Hannenorak, 2014) de Taiaiake Alfred. «Il est très certainement l’un des plus grands penseurs du décolonialisme au Canada. Son livre a vraiment bouleversé mes convictions, mes certitudes et, à partir de ce moment, j’ai commencé à lire sur les penseurs autochtones, sur l’histoire canadienne dans une perspective autochtone. Ça m’a passionné et j’ai décidé d’entreprendre un doctorat sur ces questions sous la direction de Martin Papillon», résume l’étudiant.

Cela dit, ce n’est que trois ans après avoir commencé à travailler sur sa thèse qu’il a décidé de changer de sujet: «J’avais écrit un article sur le vote autochtone dans un séminaire de politique canadienne au début de mon doctorat [en 2015]. L’article a été publié pendant que je travaillais sur mon autre projet de thèse et j’ai bien vu qu’il était original. D’une certaine manière, le sujet s’est presque imposé.»

Renouveau participatif

Crédit : Université de Montréal

Dans le résumé de sa thèse intitulée «La participation des Autochtones aux institutions démocratiques canadiennes», Simon Dabin écrit que la participation électorale des Autochtones vivant dans des réserves est au-dessus de 50 % depuis deux élections fédérales (soit celles de 2015 et de 2019). Sa recherche lui a également permis de constater une augmentation du nombre de candidats autochtones depuis 2008 et l’élection d’un nombre toujours plus élevé de députés autochtones à chaque élection depuis 2011. Il considère ce renouveau participatif comme une occasion sans précédent de brosser un tableau de la relation complexe qu’entretiennent les Autochtones avec les institutions démocratiques canadiennes et de s’interroger sur sa signification.

Cette relation complexe est exposée dans sa thèse par le biais de trois articles. Le premier est consacré à la participation des Autochtones au sein des institutions coloniales et à la volonté d’autodétermination de ces peuples, le deuxième traite du comportement électoral des Autochtones à partir de données quantitatives et le dernier porte sur la représentation des intérêts autochtones par les députés s’identifiant comme Autochtones élus sous la 42e législature du Canada (élection fédérale de 2015).

Un phénomène qui mérite d’être étudié

Simon Dabin a choisi l’élection fédérale de 2006 comme point de départ de ses recherches sur l’évolution du vote autochtone pour une raison pratique: «C’est à partir de 2005 que l’Assemblée des Premières Nations a demandé l’aide d’Élections Canada pour faire progresser le vote dans les communautés. Je suis en train d’essayer de remonter plus loin, mais c’est compliqué.» Il a ensuite analysé les résultats des scrutins de 2006, 2008, 2011, 2015 et 2019.

L’objectif du spécialiste des questions autochtones n’était pas de se prononcer sur l’augmentation de la participation autochtone aux élections fédérales, mais de faire voir que le phénomène existe. «Il y a des Autochtones qui participent aux élections, il y a de plus en plus de députés autochtones, il y a des sénateurs et il y aura peut-être même une juge autochtone à la Cour suprême qui sera nommée dans les prochaines semaines, indique-t-il. Je suis toujours un peu dérangé par les études qui essentialisent d’un bord ou de l’autre les Autochtones. Ils ne peuvent pas être réduits à une action, une stratégie ou une idéologie. Regardons ce qu’ils font plutôt que de les juger à priori sur leurs actions.»

Il va sans dire que Simon Dabin poursuit ses recherches sur le sujet. D’ailleurs, selon lui, il est normal qu’en science politique on commence à s’y intéresser, car les Autochtones vont certainement avoir un poids démographique et électoral de plus en plus grand. «Ça prendra des années, mais ça arrivera parce qu’il y a de plus en plus de circonscriptions où ils représentent de 30 à 50 % de l’électorat. Il y a de plus en plus de députés, il y a davantage de stratégies différentes, d’une certaine manière, dans les mouvements autochtones. Il y a aussi davantage d’alliances, on l’a vu avec la nation Wet’suwet’en, dont les revendications ont été soutenues par beaucoup de manifestations d’allochtones», souligne-t-il.

Il fait référence aux efforts de la nation Wet’suwet’en pour empêcher le projet de gazoduc Coastal GasLink de traverser leur territoire ancestral, situé dans le nord de la Colombie-Britannique. Des manifestations d’allochtones en soutien à des Autochtones auraient été inimaginables il y a encore 10 ans, croit le docteur en science politique. «Il n’y avait pas tant de mobilisation allochtone pour appuyer le mouvement Idle No More à l’époque. Il se passe quelque chose, il y a des relations différentes, il y a des façons d’entrevoir l’avenir différemment. Je pense qu’il faut voir ces actions-là et les étudier», remarque-t-il.

Ces changements, il les voit depuis quelques années. Il mentionne entre autres l’ouverture à l’UdeM en 2015 du salon Uatik pour les étudiantes et étudiants autochtones. Il a aussi vu les premières semaines autochtones à l’Université. «Au début, il y avait 10 personnes et l’autre jour on m’a raconté qu’il y avait 80 personnes à chaque activité. J’ai été chargé de cours en politique autochtone au Département de science politique de l’UdeM pendant quatre ans et j’ai vu l’évolution de mes classes. Ce sont encore de petits groupes, mais il y a quand même une évolution dans la jeunesse qui donne un peu d’espoir», conclut celui qui a hâte que d’autres personnes travaillent sur le même sujet que lui parce que c’est cela, la science «et qu’il y a sûrement beaucoup de choses que je n’ai pas vues ou pas dites dans ma thèse».

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