Allaitement et cellulaire: un danger pour les tout-petits?
- UdeMNouvelles
Le 1 août 2022
Selon le Dr Jean-François Chicoine, l’utilisation d’un appareil mobile pendant l’allaitement pourrait avoir un impact significatif sur le développement du système affectif, cognitif et social.
Allaiter, c’est du temps bien investi pour les bébés. Alors, profitons du moment présent et déposons les cellulaires, martèle le Dr Jean-François Chicoine. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la Semaine mondiale de l’allaitement maternel.
Consulter son cellulaire en allaitant est devenue monnaie courante. À titre de professeur agrégé au Département de pédiatrie de la Faculté de médecine au CHU Sainte-Justine, quel regard portez-vous sur cette pratique?
Les fondements d’une personne naissent de la proximité entre la maman et son bébé, sinon d’une autre figure d’attachement chaleureuse et prévisible. Le fait de se servir de son cellulaire en allaitant peut mettre en péril le développement des poupons, et ce serait la même chose avec un biberon, rien de moins! J’ai eu à examiner des bébés âgés de 3 à 5 mois qui ne regardaient pas les personnes dans les yeux. Les parents craignaient que leur enfant ait un problème neurologique ou oculaire. Ils n’avaient pas tort. Car un bébé qui ne regarde pas une personne ou un objet a soit un problème avec ses yeux, soit un manque de désir ou une difficulté à comprendre le réel, ce qui peut être le signe ou le départ pour un certain retard. Quand on questionne les familles, on s’aperçoit que ces enfants ne jouissaient pas d’un regard porté sur eux au moment du boire, chez ceux qui sont allaités, comme chez ceux nourris au biberon.
Imaginons un nourrisson qui implore sa maman avec ses yeux: «Regarde-moi, pas ton téléphone!» Comment décoder ce langage non verbal?
Quand une mère est distraite par son téléphone en allaitant, l’enfant ne profite plus autant de son visage. Et ça vaut aussi pour le père qui donne le biberon. Or, l’enfant s’accroche au visage qu’il voit le plus souvent — surtout la partie supérieure — dans ses premiers mois de vie. C’est la base du sentiment de sécurité. Ce processus neurophysiologique va permettre non seulement le développement des émotions, mais aussi celui de tout le système affectif, cognitif et social. À ce stade-ci, un enfant qui vit une insécurité — soit une non-réponse à ses besoins en raison de l’omniprésence du cellulaire — va finir par rechercher l’affection ailleurs ou s’autocentrer et développer un stress délétère. Si les «non-regards» ou absences temporaires du regard persistent, l’enfant risque de souffrir plus tard de problèmes motivationnels ou de désirs, voire d’un déficit attentionnel, simplement parce qu’il n’aura pas été l’objet de regard dans ses premiers mois de vie.
Est-ce qu’allaiter en toute conscience est une perte de temps ou du temps bien investi?
Le développement affectif, social et cognitif d’un bébé commence par le contact visuel. Toutes les bases de l’humanitude se développent dans ce geste de nourrir un enfant et de le contempler. Au-delà du lait, un bébé se nourrit de sensations visuelles dont il fera des perceptions, SA perception. Des études ont démontré qu’à partir du moment où celui-ci regarde son parent, son cortex cérébral et sa motricité s’activent. Il commence à réagir à la vue de l’autre. Cette relation de proximité lui procure une satisfaction. Son taux de cortisol (l’hormone du stress) et son adrénaline s’abaissent, et des hormones liées au plaisir et à la satisfaction naissent. C’est comme entamer une valse sentimentale qui permet au bébé de profiter pleinement de son repas.
Sachant que nos futurs médecins utilisent eux-mêmes beaucoup le cellulaire, quelle approche pédagogique préconisez-vous?
Nous avons une génération qui dépend énormément de cet appareil: c’est une toxicomanie ordinaire. J’enseigne à mes étudiantes et étudiants qu’il peut être un poison dangereux en raison de sa portabilité. L’utilisation excessive du cellulaire devient une dépendance dès lors qu’il nuit à la personne et à ses enfants. Par exemple, il ne faut jamais donner un téléphone à un enfant qui fait une crise dans une salle d’attente pour l’apaiser. Ce n’est pas un jouet!
Quel conseil donneriez-vous aux futures mères?
Profitez pleinement du moment présent lorsque vous allaitez et plongez-vous dans une ambiance agréable qui éveille les perceptions sonores, visuelles, auditives, olfactives et tactiles. Mais d’abord, prenez soin de vous, c’est la meilleure façon de faire grandir votre enfant. Les parents qui s’occupent bien de leur corps, qui font de l’entraînement physique, qui mangent bien, qui font l’amour et qui ont des amis vont mieux vivre la période de l’allaitement qui n’est pas toujours facile, mais qui est toujours porteuse.